Et de trois ! L214 a encore frappé. Cette fois, on quitte le département du Gard pour s’intéresser à un petit abattoir intercommunautaire des Pyrénées-Atlantiques, celui de Mauléon-Licharre. On ne s’attardera pas à commenter les images sordides, atroces, qui portent à elles seules la honte de l’espèce humaine, et que, pour ceux qui ont besoin de voir, et/ou de revoir, l’on peut visionner ici.

Depuis le temps qu’homo sapiens est apparu, on sait de quoi il est capable. Cela ne devrait donc pas nous étonner. C’est pourtant l’étonnement, mêlé d’indignation, qu’a joué le directeur de l’abattoir qui a rapidement désigné deux coupables, deux « abrutis » qui auraient ainsi jeté l’opprobre sur une équipe de 37 personnes ! Et peut-être bien, allez savoir, sur une profession entière. « Abrutis » est un terme sûrement adéquat, mais très réducteur…

Les veaux à l'abattoir de Mauléon. Photo L214

Les veaux à l’abattoir de Mauléon. Photo L214

L’abattoir de Mauléon-Licharre qui produit (cela vous parlera-t-il davantage qu’à moi ?) 3.000 tonnes de viande chaque année, se prévaut d’un travail où est mise en avant la qualité. Il est certifié bio, fournit des « toqués », des AMAP, bref présente toutes les garanties d’un établissement convenable, où les animaux sont tués « proprement »… Sauf que, comme le rappelait fort pertinemment Brigitte Gothière, fondatrice et porte-parole de l’association L214, la mort infligée à quelqu’un qui n’a pas demandé à mourir et qui possède un fort instinct de survie ne peut être qu’un acte violent. En matière d’abattoir, on aurait tort de penser qu’il puisse y avoir des morts douces. A ce sujet il y a une idée reçue qui m’a toujours fait bondir, et qui de surcroît est même parfois évoquée par de prétendus « amis des bêtes ». Ce poncif minable veut que nous soyons reconnaissants envers les animaux qui nous donnent leur vie… Mais ils ne nous donnent rien du tout ! Nous la leur prenons, leur vie. Nous la leur volons, nous la leur arrachons, de force, avec moult brutalité, avec une totale inhumanité, comme on leur arracherait le cœur avec les dents. Que personne n’ose venir prétendre le contraire, à l’image de ces éleveurs matois qui font semblant de verser une larme lorsqu’ils envoient leurs animaux à l’abattoir !

Et que l’on arrête de se donner de bonnes raisons de commettre des crimes, du genre « il en a toujours été comme cela ; vous ne parviendrez pas à rendre l’humanité végétarienne ; nous avons besoin de viande ; et que deviendraient les éleveurs si… Etc. » Est-ce parce qu’une chose a toujours existé qu’elle doit exister encore, pis, si elle est nocive ? Est-ce parce que l’humanité a toujours consommé la chair des autres (voire la chair de ses semblables) qu’elle doit continuer ? Avons-nous vraiment besoin de viande ? Alors dans quel état de déliquescence physique devraient se trouver les végétariens et autres végétaliens ? Enfin, l’élevage, au moins en Europe, est bien malade… Il vit d’aides publiques, il subsiste grâce à l’argent du contribuable. Pour ma part, je n’ai pas la moindre envie de financer l’entrecôte de mon voisin. De surcroît, l’élevage est loin d’être pourvoyeur d’emplois. La mécanisation des exploitations a eu raison des effectifs en hommes… C’est vrai, tant qu’il y aura de la viande et autres produits animaux chez le marchand, la plupart des consommateurs continueront à consommer. Moins, peut-être, mais ils en consommeront tout de même. Et il n’existe aucune bonne raison de penser que, tant que les être humains auront droit de vie et de mort sur les animaux, ils n’en profiteront pas rien qu’un tout petit peu pour exercer quelques pulsions sadiques qui stagnent dans leur cerveau reptilien et ne demandent qu’à s’exprimer librement.

Il existe des lois qui disent qu’on ne doit pas faire souffrir les animaux inutilement (que signifie faire souffrir « utilement » ?… Le dentiste me fait souffrir utilement lorsqu’il me soigne une dent, par exemple, mais les animaux vont-ils souvent chez le dentiste ?). Ces lois ne disent cependant pas qu’on ne doit pas les faire souffrir DU TOUT. Tous ces textes sont fort ambigus et ont pris soin de ménager certaines des parties. On veut bien concéder aux animaux (pas à tous, cependant) le droit de ne pas être pris pour des souffre-douleur, à condition que cela ne nuise en rien à nos activités préférées : déguster de la chair animale, chasser, jouer à l’apprenti scientifique avec la vie des bêtes, regarder un « beau » spectacle, etc.

Donc, tant que les hommes seront des hommes, et tant qu’il y aura des abattoirs, l’on peut s’attendre à ce que semblables exactions se produisent. D’ailleurs, il s’en produit sans doute plus souvent qu’on ne veut bien le croire.

Le sang des bêtesBien avant les vidéos diffusées par L214, on le savait déjà, d’ailleurs. Le film documentaire de Georges Franju, Le sang des bêtes, était clair là-dessus. Il date de la bagatelle de 67 ans (à l’époque, le cinéaste avait écrit : « Quand je suis allé la première fois là-dedans, je suis rentré chez  moi, j’ai pleuré pendant deux jours, j’ai caché tous les couteaux, j’avais envie de mourir. ». En 2009, les éditions L’Harmattan publiaient un ouvrage qui, depuis lors, fait référence. Ces bêtes qu’on abat  (voir le lien) était l’œuvre d’un enquêteur de l’OABA dans les abattoirs français. Ce livre représente le compte rendu de ses quinze années (de 1993 à 2008) de présence dans les établissements de France et de Navarre. En le lisant, on mesure la détresse des animaux, leurs souffrances, leur immense peur, leur grande solitude. Mais, à l’époque, qui s’est soucié de cela ? Il fallait pour que tout cela fût crédible, que ces horreurs bénéficient du label « vu à la télé ». Les images, toujours les images. Ce sont elles qui nous sauveront ou qui nous perdront.

Il n’existe qu’une façon de mettre fin à toutes ces horreurs que nous devons porter comme un fardeau, qui que nous soyons, parce que, quels que soient nos choix de vie, nos choix éthiques, nous faisons partie d’une espèce hyper prédatrice. Les tortionnaires, que nous le voulions ou non, sont nos frères… Il n’existe, donc, qu’une seule façon de mettre un terme à la honte : et c’est de mettre fin à l’élevage, de fermer définitivement les abattoirs pour en faire des refuges…

Mais tous les animaux ne seront pas sauvés pour autant. Ce n’est pas parce que l’on ne mangera plus un seul morceau de viande que le respect pour les autres espèces, la compassion, la bienveillance, seront à l’ordre du jour… En France, on ne mange en principe ni les chiens ni les chats, pourtant, les maltraitances qu’ils subissent, la cruauté avec laquelle ils sont trop souvent traités, nous montre s’il en était besoin que le véganisme n’est pas une panacée universelle. Nécessaire mais pas suffisant… Que la condition préalable pour que nous renoncions au meurtre, c’est la reconnaissance de l’autre – celui que nous identifions comme un « animal » – en tant que personne à part entière. Nous devons lutter pour cela.

Mais ceci est une autre histoire.

Laissons plutôt la parole à Jean-Luc Daub : « Les enquêtes d’abattoir sont difficiles à réaliser. Il faut se lever tôt dans la nuit et trouver son chemin pour arriver à l’abattoir. Il faut ensuite se rendre dans un environnement plus ou moins hostile. Il faut affronter un milieu où règne l’horreur, et cela même lorsqu’un abattoir respecte toutes les normes. Nous pataugeons dans le sang. Nous devons supporter les cris des animaux, de ces êtres innocents qui sont apeurés et qui sont dans la détresse. »

Ne supportons plus cela…

Josée Barnérias