C’est une histoire où la froideur administrative le dispute à la lâcheté et au renoncement. Un petit chien, Canaille, est mort dans des conditions d’autant plus sordides qu’il se trouvait dans un refuge animalier où non seulement rien n’a été tenté pour le sauver, mais encore où une fin inéluctable était programmée d’avance.

Le 26 octobre 2016, un homme était retrouvé mort dans son véhicule, sur un parking de la ville d’Issoire, dans le Puy-de-Dôme. A côté de lui, un chien. D’après les premières constatations, et aussi grâce au témoignage de la personne qui avait donné l’alerte, on était en mesure de penser que le décès était survenu au moins quinze jours plus tôt. Depuis environ deux semaines, en effet, on entendait dans le quartier des aboiements en continu dont on ne savait d’où ils provenaient… En eût-on cherché l’origine, il est probable qu’on l’eût trouvée…

Il semble alors que le fait qu’il ait « mangé de la chair humaine » faisait de lui un monstre…

On ignore tout des circonstances du décès de cet homme, on ne connaît ni son nom ni son âge. Et ce n’est pas ici le propos. En revanche, un court article sur le journal local faisait état de la présence d’un « chien de petite taille », qui avait « en partie dévoré » l’homme qui, selon toute vraisemblance, était son maître. Il était ajouté que le chien « devrait être accueilli dans un refuge avant d’être euthanasié ».

Notre attention a été attirée par la formulation de l’article. En effet, il est logique dans pareil cas que le chien soit transféré dans une fourrière (en l’occurrence, c’est un refuge animalier du secteur, SOS Animaux, qui sous-traite le service fourrière de la Ville d’Issoire). Mais pourquoi, sans qu’il soit fait état d’une réquisition officielle, que ce soit de la part du maire ou du procureur de la République, présumer que cet animal sera de toute façon condamné à mort ? Nous avons trouvé cela pour le moins surprenant. Et que lui reprochait-on ? Il fallait que nous en sachions davantage sur les circonstances de cet événement. Pour nous, à La Griffe, il était en effet hors de question de laisser mettre à mort un chien sans que l’on en connût les raisons.

lg-pinscherL’article du journal était paru le 27 octobre, mais nous n’en avons pris connaissance que le lendemain. Nous avons donc, le vendredi 28, appelé le refuge SOS Animaux pour avoir quelques informations. Nous avons appris qu’il s’agissait d’un pinscher nain * (tel que celui qui apparaît sur la photo à gauche), et que, « de toute façon, il serait euthanasié ». Impossible de savoir exactement pourquoi. Il semble alors que le fait qu’il ait « mangé de la chair humaine » faisait de lui un monstre…

Car, pour survivre, le chien avait dû se mettre sous la dent ce qu’il y avait à sa portée… Depuis quand le fait de consommer de la chair morte, fût-elle d’origine humaine, est-il passible de la peine de mort ? La plupart des gens mangent tous les jours des animaux morts, et l’on n’en fait pas tout un plat. Dans l’autre sens, il semble que la chose ne soit pas admise. Le plus étonnant, c’est qu’une association de protection des animaux pût prêter foi à des idées reçues d’une telle grossièreté.

Qu’importait. Nous avons dû nous contenter des quelques mots que l’on avait bien voulu nous lâcher, le refuge, apparemment, n’étant pas disposé à communiquer sur cette histoire.

Nous rappelions tout de même le lendemain, le samedi, avant le long week-end de Toussaint qui s’annonçait. On nous répondait sans beaucoup d’enthousiasme, sur un ton à la limite de la discourtoisie. C’était évident, nos questions gênaient, pourtant, tout ce que nous voulions, et nous l’avons clairement exprimé, c’était sauver ce petit chien qui, jusqu’à preuve du contraire, ne s’était rendu coupable de rien d’autre que d’avoir voulu survivre (à moins qu’il ne fût établi que c’était lui qui était à l’origine de la mort du monsieur, ce qui évidemment n’était pas le cas). Cette fois, la personne que nous avons eue au bout du fil évoquait des « risques sanitaires » dont on se demandait bien quelle aurait pu être leur nature… Et puis, tout à trac, la même personne nous déclarait que l’avis des services vétérinaires de la DDPP (Direction départementale de la protection des populations) allait être sollicité… Étrange, et inhabituel, comme démarche, mais soit.

Nous savions que le chien allait être gardé en fourrière pendant deux semaines. Lors de ce séjour forcé, un vétérinaire devrait par trois fois l’examiner pour vérifier qu’il n’était pas atteint de la rage… Précaution compréhensible mais, en l’état, assez ridicule…

Il nous fallait absolument créer un dialogue avec les responsables du refuge qui ne semblaient pas du tout être sur la même longueur d’ondes que nous. Nous décidions alors d’adresser un courrier postal, en envoi recommandé, à la présidente du refuge, afin d’être sûrs qu’elle nous lise. Le lundi 31 octobre, la lettre était envoyée. Nous y écrivions, en substance, ceci : « Nous, à La Griffe, trouvons injuste que ce chien soit sacrifié pour de mauvaises raisons. Votre association jouit d’une excellente réputation. Ne la ternissez pas en commettant un acte qui risquerait bien de jeter une ombre sur vos actions, par ailleurs irréprochables.

Je vous propose très solennellement par la présente de prendre ce petit chien en charge dès sa « levée d’écrou », à moins que quelque fait nouveau ne s’y oppose, ce dont vous ne manquerez pas, je n’en doute pas, de m’informer. Cette prise en charge dégagerait SOS Animaux de toute responsabilité. »

La responsable de l’association nous apprenait alors ce que l’on ne nous avait pas dit jusque là : le pinscher se montrait « agressif »…

Ce que nous proposions était en fait impossible à obtenir, car nous apprenions alors qu’un animal ne pouvait être confié par un refuge à une autre association qu’à la condition expresse que cette association soit également gestionnaire d’un refuge. Nous pensions alors pouvoir nous mettre en quête d’un(e) adoptant(e).

La semaine devait passer sans que nous n’obtenions d’autres informations. Le samedi 5 novembre, nous rappelions le refuge dès l’ouverture, à 14 heures. Et, enfin, la présidente nous rappelait, à notre demande, vers 17 h 30. Conversation polie, sans plus. La responsable de l’association nous apprenait alors ce que l’on ne nous avait pas dit jusque là : le pinscher se montrait « agressif »… Pour elle, il allait de soi qu’il était impossible de placer un tel chien, sous peine de risquer d’avoir de gros ennuis au cas où il mordrait quelqu’un…

Evidemment, l’argument était de taille sans doute à nous déstabiliser, voire à nous décourager. Ce ne fut pas le cas, parce que nous avions conscience que ce qui avait été vécu par cet animal, et ce qui avait suivi (la capture par les pompiers, l’enfermement dans des conditions que nous supposions difficiles) était en mesure de créer des troubles du comportement qui pouvaient ne pas être irréversibles. Une chance, pensions-nous, devait être laissée à ce chien qui avait déjà beaucoup souffert. Et puis il y avait ce symbole : nous n’étions pas sûrs que la véritable raison que le refuge avait de vouloir s’en débarrasser n’était pas d’ordre irrationnel. Il n’était pas question de laisser des considérations obscurantistes, archaïques, des croyances infondées prendre le pas là où il est question de cause animale. Une cause, quant à nous, que nous estimons à la pointe de l’évolution des mœurs, inséparable de l’intelligence et de la réflexion qui devraient avoir cours dans toute entreprise humaine…

Lorsque nous avons raccroché, nous n’étions pas plus avancés. Décidément, le dialogue avait peine à s’instaurer, si toutefois il fût instaurable, ce dont ce qui a suivi devait définitivement nous dissuader.

Le lundi 7 novembre, puis le mercredi 9, nous risquions de nouveau un coup de téléphone pour demander des nouvelles du petit chien et proposer notre aide pour une éventuelle solution. L’on nous répondait sans la moindre ambiguïté et sur un ton excédé que cette histoire « ne nous regardait pas » et que le refuge « ferait ce qu’il voulait ».

Nous n’allions pas nous satisfaire de cette sortie qui nous semblait impolie et injuste. Aussi, le lundi suivant, le 14 novembre, par une journée d’automne froide, sombre et humide comme un tombeau, une petite équipe de trois personnes de La Griffe se mettait en route pour le lieu-dit La Prade, sur la commune du Broc, où se trouve, en bordure de route, le refuge SOS Animaux. Logiquement, le petit chien avait terminé son « séjour » en fourrière et aurait dû être transféré dans la partie « refuge » du site. Nous étions bien décidés à demander à le voir.

En fait, il était terrorisé, et essayait de m’impressionner pour me faire fuir

En arrivant dans le petit local qui fait office d’accueil, nous ne savions trop à qui nous adresser, trois ou quatre personnes étant présentes. On était un peu dans la situation de Jeanne d’Arc déboulant au château de Chinon pour y débusquer le roi planqué parmi les courtisans. A la cantonade, nous demandions poliment, et après nous être présentés, de pouvoir nous entretenir avec un ou une responsable du refuge. Il se trouvait que la vice-présidente était là. Après avoir échangé quelques mots sur la raison de notre visite, elle nous répétait que le chien était agressif, qu’un refuge, en région parisienne, avait eu de gros ennuis car l’un des chiens qu’il avait fait adopter, un bull-terrier, avait mordu ses adoptants, etc. Nous lui faisions remarquer qu’un pinscher n’est pas un bull-terrier… A notre grande surprise, elle acceptait de nous faire voir le chien, nous conduisant dans un endroit un peu isolé du refuge où se dressaient quelques box. La section fourrière. Arrêt devant un box grillagé sur la porte duquel était inscrit « Canaille ». Je demandais à notre guide si c’était bien le nom du chien. Elle répondit par l’affirmative. On l’appelait. Mais Canaille restait obstinément invisible, là-bas, dans le réduit sombre au fond du box, dont le bas de la porte en bois était en grande partie rongé par les pensionnaires qui avaient dû se succéder au fil des années et ne pas trouver la prison à leur goût. Je prenais alors l’initiative de pénétrer dans le box, malgré les mises en garde de la dame. J’entrouvrais la porte. Canaille était là, dans cette semi-cave obscure et insalubre, couché dans une corbeille en plastique bleu. Couché ? Pas vraiment, car dès qu’il me vit, il se dressait courageusement sur ses pattes, aboyait et grognait tout en montrant ses crocs, qui étaient immaculés, d’où je conclus que le chien devait être jeune. Mais il n’avançait pas. En fait, il était terrorisé, et essayait de m’impressionner pour me faire fuir. Je lui parlais, pendant deux ou trois minutes, et puis il se calma.

Il n’était ni opportun ni utile de prolonger cette visite dont je sentais qu’elle n’augurait rien de bon. Je faisais tout de même remarquer à notre guide que les gamelles du chien étaient vides : ni eau ni nourriture. Que les conditions de détention n’étaient pas excellentes. Elle encaissait. En fait, je crois que ces box ne sont pas chauffés, comme ils devraient l’être dans un refuge où l’on se soucie d’installer un confort minimum pour les pensionnaires, d’autant plus qu’en Auvergne, les hivers sont souvent rigoureux. Un pinscher, du fait de son poil ras, est très sensible au froid. Nous ravalions le malaise et le chagrin qui ne demandaient qu’à nous submerger, et nous prenions congé.

Cette visite nous avait également renseignés sur un point que nous ignorions. Il n’y avait pas vraiment de réquisition d’euthanasie pour ce chien, mais ce n’était guère mieux, car sa mise à mort était soumise au bon vouloir du refuge, ou du maire. Or, le maire d’Issoire n’est autre que le vétérinaire du refuge… Un peu comme si un juge remplissait également les fonctions de bourreau. Et ce vétérinaire-là est également inscrit sur la liste de ceux qui, dans le département, sont habilités à faire passer des tests d’évaluation comportementale dans le cas de chiens présumés dangereux… La situation s’annonçait délicate, d’autres éléments, que nous ne divulguerons pas, nous installaient dans cette certitude.

Un refuge peut-il se substituer à une fourrière sans y laisser une part de son éthique, de sa vocation ?

Le mercredi 16 novembre, à 15 h 24, un courriel était envoyé au maire d’Issoire, dans lequel nous déclarions ceci : « Quant à nous, rien ne pourrait nous être plus réconfortant qu’une issue heureuse à cette terrible histoire et nous nous engageons à aider SOS Animaux à trouver un(e) adoptant(e) fiable, aux conditions qu’exigera SOS Animaux, de façon à ce que, si ce chien devait présenter par la suite des troubles du comportement, cela ne soit en aucun cas reproché à l’association gestionnaire du refuge. » Nous ne pouvions être plus clairs…

Et c’est le lendemain, en fin de matinée, qu’un coup de téléphone de la présidente de SOS Animaux, dont nous avions attendu toute la semaine qu’elle nous contacte, nous apprenait la nouvelle : Canaille avait été « euthanasié ». Stupeur, et puis non. Parce qu’il était évident que, depuis le début, nous avions affaire à des gens qui ne feraient rien pour tenter de sauver cette pauvre bête. Question d’amour-propre, ou plutôt d’orgueil ? Peut-être. Canaille avait été brisé comme un jouet que l’enfant capricieux préfère casser plutôt que de voir un autre gosse s’en emparer… Qui sommes-nous, nous, La Griffe, petite association toute nouvelle sur le secteur, pour prétendre dicter à un refuge qui a depuis longtemps assis sa notoriété, la façon dont il doit se conduire ? Ou alors peur de se voir reprocher d’avoir lâché dans la nature un « monstre » mangeur d’homme ? Tout est possible. Nous n’obtiendrons jamais aucune explication à cette attitude qui nous a paru indigne de gens qui prétendent protéger et secourir les animaux.

A ce sujet, une question se pose avec beaucoup d’acuité : un refuge peut-il se substituer à une fourrière sans y laisser une part de son éthique, de sa vocation ? Je le pensais, avant, il y a longtemps. Je ne le pense plus aujourd’hui. Je crois que les deux fonctions sont divergentes. La vocation d’une fourrière professionnelle, ce qui n’empêche en rien « l’humanité » de ceux qui y travaillent contre un salaire, est d’assurer l’ordre public en accueillant les animaux qui errent sur la voie publique ou sont réquisitionnés pour des questions de dangerosité, par exemple. Une fourrière est comme une prison, lorsqu’on y entre on ne sait quand on va en sortir, ni dans quel état. Les murs des fourrières sont absolument opaques et rien ne doit en principe filtrer de ce qu’il s’y passe. C’est un lieu où les états d’âme ne font pas partie du travail et dont les décisions sont soumises à une administration, une collectivité, celles-ci étant prestataires de service. Un refuge, c’est différent. Un refuge, c’est un abri, un havre, un recours… Un refuge, c’est fait pour accueillir, pour aider, pour sauver, pour respecter et pour aimer aussi. Enfin, ce devrait… Ce devrait aussi être géré par des gens chez qui l’empathie et la compassion tiennent lieu de ligne de conduite. Bien sûr, il n’est pas interdit d’être réaliste, car parfois la réalité tape fort sur les convictions, sur les bonnes intentions, et peut les réduire en charpie si l’on n’est pas assez fort pour la tenir en respect. Mais il est clair que fourrière et refuge sont assez antinomiques…

L’histoire de Canaille illustre bien tout cela. Il y a un an et demi, La Griffe avait sorti d’une fourrière un chien qui avait dû subir une situation analogue et qui aurait bien pu être condamné à mort. Le traitement qui lui avait été réservé, au sein des locaux de cette fourrière « professionnelle », était plus humain que celui qui a été infligé à Canaille.

Nous sommes déçus et blessés de n’avoir pas réussi à sauver Canaille, mais également de n’avoir pu engager avec l’équipe de SOS Animaux un dialogue basé sur l’intelligence et le respect, à défaut de bienveillance. Dommage pour lui, et dommage pour nous tous, qui croyons chaque jour nous battre pour que le monde soit moins méchant…

Josée Barnérias

∗ Le pinscher est un chien nain qui, à l’origine, a été créé pour éliminer les nuisibles et, en particulier, les rats. Dans sa région natale, en Allemagne, ce chien est connu sous le nom de Zwergpinscher. Ces chiens sont communicatifs, joueurs, énergiques, amicaux, futés, réceptifs. Ils font environ 25 ou 30 cm au garrot.

La Griffe a mis en ligne une pétition pour exiger « la transparence dans les fourrières »…