Monsieur le Président,

 

je vous fais une lettre…

 

Les-taurins-Vles-2005.jpgLamina Reon habite dans le Gers. Elle fait partie de ces « Sudistes » qui ne supportent pas que l’on assimile leur région à la « culture » tauromachique. Militante, elle a été, comme nous tous, ulcérée par la légitimisation, par le Conseil constitutionnel, de la corrida, sous prétexte de « tradition locale ininterrompue ». Une légitimité par ailleurs contestée…

Lamina a rédigé une lettre à François Hollande, Président de la République, pour lui faire part de son indignation, qui est aussi la nôtre. Compte tenu de la qualité de ce courrier, nous avons demandé à son auteur de nous autoriser à la publier sur le blog de La Griffe.

La voici.

 

LETTRE OUVERTE À FRANCOIS HOLLANDE

 

 

Monsieur le Président de la République,

 

Le 21 septembre 2012, le Conseil constitutionnel a rendu sa décision n° 2012-271 QPC sur l'inconstitutionnalité du septième alinéa de l'article 521-1, concernant la légalisation « locale » de la corrida.

Il en ressort que nous, les Français du Sud, sommes des citoyens de deuxième classe qui n'ont pas droit à la même protection légale que nos concitoyens de Paris, de Nantes ou de Strasbourg – et cela en seule raison de nos origines ethniques et géographiques. Le Conseil ne donne aucune justification pour cette sentence formellement discriminatoire, autre qu'un nébuleux « intérêt général » dont la nature n'est pas précisée – et pour cause, parce qu'il n'existe pas. En quoi peut bien consister « l'intérêt général » de tolérer (voire de subventionner avec de l'argent public) des infractions « locales » qui, sur le reste du territoire français, sont punies de deux ans de prison ferme et de 30.000 euros d'amende ? Et en quoi consiste « l'intérêt général » de refuser à 10 % des Français les moyens légaux de se défendre, et de défendre leurs enfants, des actes de délinquance sur leur territoire ?

Pour comprendre la genèse de ce baratin, il faut se rendre, non pas aux explications du Conseil (par ailleurs non existantes), mais aux observations du Premier ministre en date du 13 et 30 juillet 2012 à l'intention du Conseil constitutionnel, textes qui ont manifestement servi de base pour ce verdict aberrant.

 

 

 

                                                LG-Corrida-J-Lescure.jpg                                                Photo Jérôme Lescure (Minotaure films)

                                     et, en haut, un document Lamina Reon.

 

Monsieur Ayrault y fait allusion à la situation en 1951, année où l'infâme alinéa 7 a fait son apparition dans le Code pénal. Monsieur Ayrault fait état d'une opposition constante et violente de la part des délinquants taurins à la loi en vigueur (qui, jusqu'à cette date, interdisait les corridas partout en France). À en croire Monsieur Ayrault, leur agitation terroriste a amené l'État à trafiquer la loi et à « localement » dépénaliser des actes de délinquance dans un souci « d'apaisement » – et tant pis pour la population locale !

 

Bien entendu, cette « explication » n'en est pas une. Même si Monsieur Ayrault donnait une image correcte des conditions en 1951 (ce qui est fort douteux), on ne peut pas raisonnablement comparer la situation de 1951 à celle de 2012. En soixante ans, les mentalités ont évolué (pas celle de Monsieur Ayrault, à ce qu'il paraît, mais celles des autres Français) et les rôles se sont inversés. Aujourd'hui, ce ne sont plus les aficionados qui sont « révoltés », mais les anti corrida. Leur opposition incessante et bruyante à des spectacles de sang, bien que strictement non-violente, est considérée comme une provocation insupportable par les aficionados. Aujourd'hui, aucune corrida ne se déroule sans affrontement plus ou moins violent entre les parties, plusieurs procès sont en cours contre des aficionados qui se sont physiquement attaqués aux manifestants anti corrida, et les forces de l'ordre locales sont de plus en plus dépassées par cette constellation explosive. La seule façon de mettre fin à ce développement dangereux aurait été d'annuler la mutilation de l'article 521-1 et de le rendre conforme à notre Constitution.

 

Le Conseil constitutionnel a illégalement, et avec une irresponsabilité civile impardonnable, refusé d'agir dans l'intérêt général.

 

Par ailleurs, pour mieux faire passer son argumentation bidon, Monsieur Ayrault insinue que les habitants des régions du Sud sont forcément tous des amateurs de la tauromachie. Bien évidemment, cette
assimilation diffamatoire n'existe que dans la fantaisie de Monsieur Ayrault. Tous les sondages récents confirment que 80 % d'entre nous n'ont jamais mis un pied dans les arènes et 60% désirent activement l'abolition de la corrida.

 

Il faut donc clairement distinguer entre deux types de « Sudistes » :

 

1) Les habitants normaux des régions du Sud qui font leur travail, payent leurs impôts, respectent la loi républicaine, ne maltraitent ni leurs enfants, ni les animaux et ressemblent, à tous égards, à n'importe quel autre citoyen français. Ils constituent la grande majorité.

 

2) Une petite bande de délinquants qui terrorisent la région avec leurs rites de sang dégoûtants et leur idéologie fascisante, qui, depuis de nombreuses années, s'opposent avec violence à la loi républicaine en vigueur (comme Monsieur Ayrault le confirme explicitement), portent atteinte à l'ordre public (comme le souligne Monsieur Ayrault), poussent leurs enfants à la violence et la cruauté, salissent la réputation de nos régions et la notion même de tradition et de culture ; et qui, dans n'importe quel autre endroit sur le sol français, seraient EN PRISON ! (Et de grâce, qu'on arrête de nous raconter que quelqu'un qui est un délinquant à Paris se transforme, par intervention divine, en enfant de ch?ur dès qu'il se trouve à Vic-Fezensac !)

 

Je vous assure que nous, les habitants civils (voire civilisés) des départements concernés n'ont aucune sympathie pour ces délinquants-là. Mais nous sommes des gens non violents et nous n'avons pas l'intention de sortir les fusils pour chasser les hors-la-loi de notre territoire.

 

Nous attendons de l'État français qu'il nous rende les instruments LÉGAUX pour nous débarrasser de ceux qui refusent de s'inscrire dans une société civilisée et démocratique !Si l'article 521-1 n'avait pas été trafiqué et était conforme à la Constitution, je vous assure qu'il n'y aurait plus de corridas dans le Sud de la France, et cela depuis bien longtemps.

 

La suite de ce mélodrame débile est parfaitement prévisible. L'affrontement entre délinquants taurins, encouragés par le « bon » exemple d'un État qui ne respecte même pas sa propre Constitution, d'un côté, et résidents locaux et anti corrida de l'autre, va reprendre avec force. Si, par la suite, il y a des blessés, voire des morts, que ce soit parmi les aficionados, les anti corrida ou les gendarmes, M. Jean-Louis DEBRÉ, Président, M. Jacques BARROT, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Guy CANIVET, Michel CHARASSE, Renaud DENOIX de SAINT MARC, Mme Jacqueline de GUILLENCHMIDT, MM. Hubert HAENEL et Pierre STEINMETZ en seront entièrement responsables.

 

Après la sentence bananière du Conseil constitutionnel, la corrida a cessé d'être une simple affaire de protection animale. De toute façon, elle n'a jamais été un phénomène isolé. Elle n'est que la pointe de l'iceberg – l'expression visible de la corruption de nos institutions qui, à l'instar des délinquants des arènes, ne respectent que la loi du plus fort.

Monsieur le Président, vous avez été élu sur votre promesse de combattre l'injustice sociale et territoriale instituée par vos prédécesseurs et nous vous avons fait confiance. Or, l'un de vos premiers actes, par l'intermédiaire de votre Premier ministre, est de cimenter l'inégalité territoriale et de donner un camouflet à tous ceux qui, en France, croient encore en la possibilité d'un État de droit et d'une justice équitable.

 

Monsieur Chirac, Monsieur Sarkozy et Monsieur Strauss-Kahn ont déjà fait de leur mieux pour salir et ridiculiser l'image de la France à l'étranger. Si vous voulez éviter de vous inscrire dans cette noble tradition,trois mesures s'imposent d'urgence :

1) L'abolition immédiate de la corrida par voie parlementaire. C'est aujourd'hui la seule façon d'éviter la violence civile qui sera la suite directe de la corruption du Conseil constitutionnel.

2) La démission immédiate du Premier ministre. Un haut fonctionnaire qui se fait porte-parole de la délinquance n'a pas sa place au sein d'un gouvernement démocratique.

3) La réforme de fond du Conseil constitutionnel.

Je suppose que je n'ai pas à préciser les raisons qui rendent évidente la nécessité urgente de cette mesure…

                                                                       Lamina Reon (Gers)