En 2011, La Griffe avait organisé, place de Jaude, à Clermont-Ferrand, une manifestation de protestation contre l'inscription de la corrida au PCI.

En 2011, La Griffe avait organisé, place de Jaude, à Clermont-Ferrand, une manifestation de protestation contre l’inscription de la corrida au PCI.

La corrida a été, sans tambour ni trompette, retirée de la liste d’inscription au Patrimoine culturel immatériel français

De la même façon que la chose, à l’époque, en 2011, était arrivée sur la pointe des pieds (seule la réaction unanime de rejet des associations de défense des animaux avait attiré l’attention sur cette étrange initiative qui semblait relever davantage du cynisme et du copinage que de la culture), voilà qu’elle est partie pareillement… Un jour, la corrida y est… Le lendemain, pouf pouf pouf, elle n’y est plus !

Un coup pour rien. C’était pourtant bien joué, en dépit de ficelles un peu grosses. La tauromachie, ou ce qu’il en reste, commence, on dirait, à perdre du terrain. Mais que c’est long !… Que c’est lent !… Combien de victimes fera-t-elle encore dans les arènes françaises avant d’être reléguée à tout jamais dans les oubliettes d’une histoire somme toute plutôt nauséabonde. Qui, dans quelques décennies, osera se vanter d’avoir été aficionado ?

En attendant, pas question de baisser la garde. Car cette petite avancée n’est guère consistante. La corrida n’est plus au PCI, soit. Mais au fond, qui savait qu’elle y était, mis à part les « pro » et les « anti », directement concernés ? C’est là, d’ailleurs, que le bât blesse. Dans son ensemble, la population ne trouve pas la corrida vraiment à son goût, mais ne la refuse pas non plus. En général, on considère que, lorsqu’on ne vit pas dans les départements de l’extrême sud de la France, on n’est pas concerné.

La Griffe a pu s’en rendre compte lors d’une distribution de flyers anti-corrida à l’entrée des concerts, lors du festival Europavox, à Clermont-Ferrand. Indifférence polie…

Les militants, eux, ne désarment pas, et c’est heureux. Les manifestations vont reprendre de plus belle pour protester contre l’horreur de la corrida, d’autant plus horrible qu’elle tente de se dissimuler sous des falbalas artistico-culturels. A Rodilhan et à Rieumes, et dans d’autres villes encore, le CRAC Europe attend ses invités.

Mais la manifestation dont on aimerait vous parler aujourd’hui, c’est celle qui, justement, n’a pas eu lieu… Un rassemblement citoyen non déclaré, par conséquent non autorisé, avait été prévu, via les réseaux sociaux, à Nîmes, le 23 mai, à l’occasion de la feria de Pentecôte. Ce jour-là, à l’aube, une voiture dans laquelle avaient pris place cinq passagers – parmi lesquels des adhérents de La Griffe – a pris la route depuis l’Auvergne, direction la préfecture du Gard, pour raison de « solidarité avec les taureaux ». Sur place, les manifestants devaient retrouver d’autres indignés…

Arrivée vers 10 h 45. Une soixantaine de personnes étaient venues au rendez-vous. Mais elles n’étaient pas seules. A proximité, une bonne dizaine de fourgons de la CRS étaient sagement alignés, attendant leur heure. Les manifestants, eux, étaient dispersés un peu partout sur la place. Les uns après les autres, ils étaient interpellés par des policiers en civil, et interrogés. « Vous êtes contre la corrida ? » Contre : mauvaise pioche. Le mauvais coucheur était invité à rejoindre ses camarades au milieu d’un cercle formé par deux rangées de CRS dos à dos. Comme cela, on ne pouvait pas prétendre qu’il n’y avait pas eu d’attroupement. Car l’attroupement, en France, est considéré comme un délit lorsqu’il n’est pas autorisé (le délit est une infraction d’une gravité intermédiaire entre la contravention et le crime et il est jugé dans un tribunal correctionnel).

L’un des Auvergnats raconte : « On a attendu ainsi pendant une heure ou deux, et puis on nous a fait monter par petits groupes dans les camions. Sans l’avoir demandé, j’ai visité l’intérieur d’un fourgon cellulaire… Des cages conçues pour héberger des terroristes ou de dangereux criminels, dans lesquelles on ne peut ni bouger si se lever, les plus grands d’entre nous étant même forcés de baisser la tête, tant le plafond est bas. Là aussi, attente interminable… On a ensuite été conduits au gnouf (au commissariat, NDLR), et placés par groupes de huit dans des cellules prévues normalement pour une seule personne. »

Les quelque soixante interpellés ont été auditionnés un par un, après qu’on leur eut notifié leur garde à vue (dans le cadre d’un délit – ici l’attroupement illégal – on procède à une garde à vue sur ordre du procureur de la République, celle-ci pouvant durer jusqu’à 24 heures, voire bien plus longtemps dans certains cas).

On peut supposer que le but de la manœuvre était d’éviter un affrontement entre aficionados et manifestants, et par conséquent de possibles accidents qui auraient pu conforter un peu plus l’image de violence véhiculée par la corrida, en dépit d’efforts désespérés de la part de ses prosélytes qui délivrent en boucle des discours pontifiants dans lesquels il est question « d’art », de « culture » et autres alibis plus creux que la saison du même nom dans les villes taurines.

Bon, les policiers ont été dans l’ensemble assez courtois, en dépit de quelques mouvements d’humeur, bien compréhensibles lorsqu’on considère qu’en période de feria, ils ont peut-être mieux à faire que du gardiennage de manifestants non violents… Le contribuable appréciera.

On a fini par relâcher les récalcitrants au bout de huit heures, pour les plus chanceux, de onze ou douze heures pour les autres, histoire qu’ils ne se retrouvent pas tous à la sortie, remontés comme des pendules suisses, à échanger leurs impressions.

Mais on laissera le mot de la fin à un « courrier des lecteurs » paru dans le quotidien La Montagne – Centre France du 2 juin, savoureuse déclaration émanant d’une aficionada sincère qui estime que la corrida est « une vraie culture et un art que d’immenses artistes ont su immortaliser ». « Je respecte, ajoute-t-elle, les supporters nombreux du Tour de France où certains forçats de la route s’adonnent à certaines pratiques (sic) lourdes de conséquences. Pour le plaisir des yeux (???), réfléchissez et laissez-nous libres ».

Avec des amis comme elle, c’est sûr, la corrida n’a pas besoin d’ennemis…

Josée Barnérias

Merci à Jérôme Lescure et à Minotaure Films qui nous ont autorisés à utiliser leurs terribles photos de corrida.