La présence de l’éléphante Maya, du cirque de Noël la Piste d’Or, sur le parking de deux hypermarchés, à Clermont-Ferrand, à la période des fêtes de fin d’année, a fait causer. Et a relancé le débat sur la place des animaux dits « sauvages », du moins appartenant à des espèces considérées comme telles, dans les cirques. La Griffe bien entendu est opposée à l’exploitation des animaux dans le but d’amuser la galerie. Et considère que les grands mammifères ont beaucoup à souffrir de vivre dans des cages exiguës, dans des camions, entravés dans des ménageries. Ils ont beaucoup à souffrir aussi d’être dressés, souvent ce dressage étant assorti de violences diverses, de coercition, de privations, pour exécuter ce qu’on leur demande. Positions incongrues, lors desquelles les animaux souffrent parce qu’elles ne correspondent pas à leur morphologie ni à aucune posture qui leur soit naturelle. Obligation de s’approcher du feu, devant lequel les animaux éprouvent une terreur instinctive. Privation quasi totale de liens sociaux avec d’autres animaux de leur espèce. En somme, travaux forcés à perpétuité pour ces innocents plébiscités par le public. Beaucoup sont nés en captivité, mais d’autres ont été « prélevés » sur leur terrain, souvent au prix du massacre de leur famille.

Lorsque nous avons appris que Maya allait « se produire » devant le centre Leclerc, deux des bénévoles de La Griffe se sont proposées pour aller y faire un tour. Il ne s’agissait nullement d’invectiver ni de chercher le scandale, mais simplement d’observer, de questionner…

Anne et Cathy ont fait un vrai boulot d’enquête. Et voici ce qu’elles ont rapporté.

Maya et son dresseur Ralph Falck, petit-fils d'Achille Zavatta.

Maya et son dresseur Ralph Falck, petit-fils d’Achille Zavatta.

Maya est une éléphante d’Asie âgée de 53 ans. Elle est née en captivité dans un cirque qui appartenait au grand-père du dresseur actuel, Ralph Falck (1). Son régime alimentaire journalier consiste dans 200 kg de légumes, de fruits, de foin et d’un mélange de céréales. Elle est en bonne santé, nous a-t-on dit, mais elle souffre « de rhumatismes dans la jambe arrière gauche ». Elle n’a jamais eu de petit, et elle est la seule représentante de son espèce dans ce cirque-là (en France, l’effectif  des éléphants, d’Asie ou d’Afrique, serait actuellement de 25 individus). Cela est d’autant plus dommageable que les éléphants entretiennent de solides liens sociaux avec leurs congénères, qu’ils vivent en harde, et que la solitude leur est pénible.

Le numéro que l’on demande à Maya consiste à marcher autour de la piste pendant dix ou quinze minutes et à se mettre debout sur les jambes arrières.

Est-ce que Maya se repose de temps en temps ? Oui, nous apprend-t-on. « Le cirque a une propriété de huit hectares dans les Landes (en réalité dans le Lot-et-Garonne, à Casteljaloux, NDR) où les animaux vivent en quasi liberté, voire en liberté et où ils se reposent pendant les mois de mai et juin, et janvier et février », qui sont les deux périodes creuses pour les cirques. Ce terrain en réalité est partagé par plusieurs cirques qui s’y retrouvent régulièrement.

Devant l’hyper Leclerc, notre pauvre Maya était en pleins courants d’air. Ce jour-là il ne faisait pas très chaud. Nos griffeuses s’en sont émues. « Il fait en ce moment une température de près de zéro degré, le vent est glacial. Ce n’est pas un problème de l’exposer ainsi ? Elle n’a pas froid ? Elle ne risque rien ? Ce genre d’animaux n’est pas habitué à ces températures… »

Bien entendu, on ne pouvait pas couper au rappel d’Hannibal traversant les Alpes avec ses éléphants. L’histoire ne dit cependant pas si les pachydermes ont trouvé l’aventure à leur goût…

Nos griffeuses insistent cependant encore sur la température (leur interlocuteur devait commencer à les trouver un peu collantes)… Et de remettre ça avec le jeu des questions du genre « Vous êtes sûr qu’elle n’a pas froid ? Vraiment ? Vous êtes bien sûr ? » Et zut. Il finit par lâcher : « On avait prévu de rester deux heures, mais une heure suffira. Même moins longtemps, parce que le froid leur vient surtout par les pattes ». Or, aucune protection n’a été installée au sol. « On avait demandé à Leclerc de mettre quelque chose mais ils n’ont rien mis. »… « Vous n’auriez pas pu apporter de la paille ? »… « On a oublié… Vous savez, au cirque, elle vit dans un endroit chauffé, les éléphants, c’est fragile… »

Cette pauvre Maya est trimbalée régulièrement devant les grandes surfaces, elle paraît docile…

Tandis que Cathy s’entretenait avec le dresseur sur les questions de température au sol, un soigneur a fait irruption et lui a parlé du pays : « De quoi vous vous mêlez ? Vous n’y connaissez rien. Vous ne travaillez pas dans le cirque. Je vais vous faire jeter par les vigiles… ». Et Cathy d’expliquer calmement qu’elle se soucie simplement des conditions de vie de l’animal, qu’elle en a le droit, et qu’elle n’agresse personne, contrairement à lui.

Dans la foulée, d’autres personnes ont manifesté leur contrariété de voir ainsi exposée la pauvre Maya qui dansait d’un pied sur l’autre.

Un petit groupe, parmi lequel nos deux émissaires, se rendait alors à l’accueil du magasin, pour y rencontrer un  responsable. Les réponses qui leur ont été données ont dénoté une grande méconnaissance des conditions de vie des animaux dans les cirques et surtout une grande indifférence. Business is business !

On ne peut douter que l’exploitation des éléphants dans les cirques ne soit pas accompagnée parfois d’une forme d’attachement de la part de leurs propriétaires ou de leurs dresseurs. Les éleveurs aussi prétendent aimer leurs bêtes, cela ne les empêche pas de les conduire à l’abattoir. Il n’en demeure pas moins que, pour des animaux comme les éléphants, une telle existence est source de souffrances, voire de déséquilibres psychologiques. Maya marche sur les pattes arrière ? « Même si occasionnellement, les éléphants se dressent sur les pattes arrières pour attraper de  hautes branches, la répétition de cet exercice dans les cirques peut conduire à de sérieux problèmes de santé particulièrement douloureux pour l’animal : enflure des articulations, bursite et épanchement autour du coude… » (2)

Maya, lorsqu'elle appartenait au cirque Zavatta.

Maya, lorsqu’elle appartenait au cirque Zavatta.

Puissent les vingt-cinq éléphants présents actuellement dans les cirques français être les derniers ! Nous disposons de suffisamment de moyens, aujourd’hui, de contempler ces magnifiques animaux grâce à la vidéo, au cinéma, aux voyages… Il n’existe aucune nécessité de les rendre captifs, de les contraindre, de les faire souffrir encore moins…

Les éléphants, cela m’évoque inexorablement le poème éponyme de Leconte de Lisle que je me récitais en boucle, lorsque j’étais enfant, pour m’apaiser lorsqu’il m’arrivait d’être malade et clouée au lit, parce que, déjà, ces grands animaux hiératiques me fascinaient et me bouleversaient à la fois. Je me souviens de tout. Et des deux dernières strophes…

Ils reverront le fleuve échappé des grands monts / Où nage en mugissant l’hippopotame énorme / Où, blanchis par la Lune et projetant leur forme / Ils descendaient pour boire en écrasant les joncs. / Aussi, pleins de courage et de lenteur, ils passent / Comme une ligne noire, au sable illimité / Et le désert reprend son immobilité / Quand les lourds voyageurs à l’horizon s’effacent.

Qui sommes-nous pour leur voler leur vie, pour les dérouter de leur chemin, pour les priver de leur espace ?

Au-delà des cirques, il y a les sordides braconnages, les trafics immondes. Plus d’une centaine d’éléphants seraient tués chaque jour dans le monde pour leur ivoire, d’après l’association IFAW

Tout cela doit être combattu avec force. Déjà, certains pays d’Afrique ou d’Asie s’y emploient avec beaucoup de courage. Nous aussi, nous devons, à l’instar de Morel, le héros du roman de Romain Gary, « Les Racines du ciel », tout faire pour sauver les éléphants, les sublimes, les gigantesques éléphants… Et nous battre pour que plus jamais ils ne soient captifs.

Josée Barnérias

(1) A l’origine, Maya appartenait au cirque d’Achille Zavatta, le dresseur actuel, Ralph Falck, étant un petit-fils du célèbre clown qui a fondé une véritable dynastie circassienne. Les cirques changent souvent de nom, les animaux changent de main, mais ils restent « dans la famille », en quelque sorte.

(2) Extrait de l’excellent rapport de One Voice « Les éléphants dans les cirques » (janvier 2004).

Au sujet des éléphants dans les cirques, voir le site de l’association Code Animal.