Contre toute attente, parce que (excepté dans Charlie Hebdo -Les Puces de Luce Lapin-, Info Mag, ou par un communiqué sur France Bleu Pays d’Auvergne et quelques lignes dans La Montagne) la manifestation avait été très peu annoncée dans les médias, la soirée autour de l’élevage et l’abattage que La Griffe avait organisée le jeudi 2 octobre a tout de même rassemblé près de 90 personnes dans la grande salle du complexe municipal Leclanché, à Clermont-Ferrand.

Sébastien Arsac (à gauche) et Frédéric Freund.

Sébastien Arsac (à gauche) et Frédéric Freund.

Des adhérents de La Griffe étaient présents, bien entendu, mais pas seulement. Le sujet « De leur naissance à leur mort, ces animaux que nous mangeons » avait attiré des gens déjà sensibilisés au végétarisme, au premier rang desquels le responsable départemental de l’Association végétarienne de France, Antony Mure.

La date n’avait pas été choisie au hasard. En effet, ce même jour se déroulait depuis la veille, et jusqu’au lendemain soir, à la Grande halle de Cournon-d’Auvergne, le 23e Sommet de l’élevage.

Notre intervention n’avait pas bien évidemment pour but de concurrencer la grande foire des super-maquignons et autres fabricants de steaks géants. Seulement de montrer l’envers du décor…

Le Sommet de l’élevage est le petit frère du Salon de l’agriculture. Tout ce qu’on y voit représente le nec plus ultra de ce que l’on appelle sobrement les « productions animales ». Taureaux bouclés de frais, génisses apprêtées comme pour aller au bal, moutons brushés… Même la merde, au Sommet de l’élevage, sent bon : le terroir, la vrai paysannerie, les bêtes en joie batifolant dans les prés d’herbe grasse… Si l’on n’était en plein cœur de l’Auvergne, on pourrait parler d’images d’Épinal. Sauf que la réalité est bien loin des visions idylliques d’animaux presque contents de pouvoir nous livrer leurs gigots et qui filent à l’abattoir avec le même entrain que s’ils partaient en vacances.

Et ce sont deux hommes de terrain, qui savent très exactement ce qu’élevage et abattage veulent dire, qui avaient accepté de nous parler de la vraie vie des animaux, ceux que l’on appelle du doux nom de « productions animales ».

Sébastien Arsac est l’un des fondateurs de l’association L214 Éthique et animaux qui est elle-même issue de Stop Gavage. Cette jeune association a déjà à son actif plusieurs enquêtes dans des élevages intensifs, dont les images, prises le plus souvent en caméra cachée, sont visibles sur son site. Sébastien a fait, diapos à l’appui, une synthèse qui n’excluait ni la précision ni le détail. En France, plus d’un milliard d’animaux terrestres (mammifères et oiseaux essentiellement) sont élevés et tués dans les abattoirs chaque année. Le chiffre des animaux aquatiques est bien plus important encore, mais ce soir-là, il ne s’agissait que des premiers. Le sujet est déjà bien assez vaste…

Sur ce milliard et quelque cent millions, entre 70 et 80 % proviennent d’élevages industriels concentrationnaires. Sébastien Arsac n’omettait aucun détail : des pratiques cruelles (débecquage des volailles, mutilation à vif de la queue des porcelets, castrations à vif, meulage des dents, gavage, passage des poussins ou des canetons dans la broyeuse, etc.) aux mauvais traitements et aux violences exercées sur les animaux, le paysage des élevages français ne prête guère à la rêverie bucolique.

Le directeur de l’OABA (Œuvre d’assistance aux bêtes d’abattoirs), Frédéric Freund, avait lui aussi répondu à l’invitation de La Griffe. Son job à lui, c’est surtout la dernière étape du processus d’élevage, à savoir l’abattage. Frédéric connaît comme personne les abattoirs français. Plusieurs enquêteurs de l’association visitent (lorsqu’ils y sont acceptés) ces lieux sinistres aux murs très opaques afin d’y débusquer les manquements à la réglementation, voire les infractions, qui y sont nombreuses. Personnel insuffisamment formé, matériel défectueux, aménagements vétustes, voire employés sadiques, font parfois de ces lieux de mort des lieux de torture… Son exposé s’est avéré passionnant, d’autant que même pour parler de ces choses qui n’ont vraiment rien de drôle, Frédéric Freund mettait à contribution un sens de l’humour qui détendait l’atmosphère et permettait de dédramatiser en soufflant un peu…

La soirée s’est terminée fort tard, après que parmi le public, plusieurs questions eurent été posées. Cependant on ne notait aucune présence de contradicteur dans la salle, ce qui était presque dommage car c’est là que le dialogue eût été le plus fructueux.

Deux bénévoles de La Griffe, Anne et Marie-Claire, avaient mis les petits plats dans les grands et la soirée devait prendre fin autour de préparations végétaliennes en tout genre, à la dégustation desquelles tout le monde était convié. De nombreux participants nous ont fait part de leur satisfaction. C’est pourquoi, dans la foulée, nous avons décidé que, l’année prochaine, nous remettrions le couvert. Dès maintenant, nous allons réfléchir à la forme que pourra prendre la manifestation.

L’on peut découvrir en vidéo la totalité des exposés de Sébastien Arsac et Frédéric Freund sur le site de La Griffe.

Josée Barnérias

Petite bibliographie autour de l’élevage et de l’abattage (non exhaustive) 

  • Le silence des bêtes, par Elisabeth de Fontenay, Points essai, 14,50 euros.
  • Faut-il manger les animaux ? par Jonathan safran Foer, éditions de l’Olivier, 22 euros.
  • Bidoche – L’industrie de la viande menace le monde, par Fabrice Nicolino, éditions Babel, 9,50 euros.
  • L’animal dans les pratiques de consommation, par Florence Burgat, collection Que sais-je, éditions des Presses universitaires de France.
  • Ces bêtes qu’on abat (Journal d’un enquêteur dans les abattoirs français 1993-2008), par Jean-Luc Daub, éditions L’Harmattan, 23,50 euros.
  • No steak, par Aymeric Caron, éditions Fayard, 19 euros.
  • Le grand massacre, par Alfred Kastler, Michel Damien et Jean-Claude Nouët, éditions Fayard.
  • Halal à tous les étals, par Michel Turin, éditions Calmann-Lévy, 18,90 euros.
  • Une vie de cochon, par Jocelyne Porcher et Christine Tribondeau, éditions La Découverte, 8 euros.
  • Revue semestrielle de droit animalier 2/2010, dossier thématique sur l’abattage rituel (revue numérique).
  • Nous sommes ce que nous mangeons, par Jane Goodall, Actes Sud, 22,50 euros.
  • Fondements éthiques pour une alimentation végétarienne, par Helmut F. Kaplan, éditions L’Harmattan, 17 euros.
  • Les végétariens, raisons et sentiments, André Méry, éditions La Plage, 14,95 euros.