Détention des animaux : une loi frappée d’obsolescence

Par Josée Barnérias

L’arrêté du 25 octobre 1982 (Annexe 1) du code rural « relatif à l’élevage, à la garde et à la détention des animaux » consacre son second chapitre aux « animaux de compagnie et assimilés », en grande partie aux chiens. Quarante ans après, c’est sur un document législatif qui a considérablement vieilli que l’on s’appuie encore pour décréter qu’un chien est bien ou mal loti. 

Coup de vieux

Que se passait-il il y a quarante ans ? Le viol devenait un crime, la peine de mort existait encore en France (plus pour très longtemps), on commençait à parler de « culture gay », Giscard d’Estaing était président de la République (plus pour très longtemps), quant à la cause animale, elle en était encore à ses balbutiements (pour info, La Libération animale de Peter Singer a été traduit en français en 1993 et Elisabeth de Fontenay a publié Le Silence des bêtes en 1998). Autrement dit, 1982, c’était un autre âge… Et ce sont des décisions prises à ce moment-là qui font encore référence aujourd’hui. Etonnant, non ? comme dirait ce cher Desproges.

Cela partait à n’en pas douter d’un bon sentiment. A l’époque, l’arrêté a dû apparaître comme une mesure nécessaire et novatrice. Il s’agissait d’améliorer la vie des animaux domestiques et, en l’occurrence, des chiens qui vivaient, à cette époque, du moins pour la plupart d’entre eux, dans des conditions qu’on n’oserait même pas vouloir pour son pire ennemi. Aujourd’hui, cependant, l’arrêté du 25/10/82 a pris un sacré coup de vieux. Il est étonnant que, jusqu’à présent, pas une seule association de poids n’ait pensé à se pencher sur la question. Car il débouche sur une détention pour le moins spartiate.

Les mœurs évoluent, pourtant…

En principe, le législateur est à la traîne de l’évolution des mœurs, et la précède dans de très rares cas. Les lois concernant les animaux ne peuvent plus aujourd’hui être motivées uniquement par des considérations sanitaires, un souci de sécurité ou de profit pour les éleveurs. On met en avant ce que l’on appelle à tort ou à raison le « bien-être animal ». Mais les mesures qui accompagnent cette prise de conscience sont extrêmement timides. Il ne faut surtout pas porter tort à ceux qui se définissent comme des « utilisateurs d’animaux » : éleveurs, chasseurs, exploitants (et exploiteurs) divers et variés des animaux pour des activités de spectacle, de loisirs, etc. Certaines associations bien inspirées ont mis les pieds dans le plat et c’est tant mieux. Paradoxalement, les animaux dits « de compagnie » semblent avoir été oubliés… Considère-t-on qu’ils sont les privilégiés d’un contexte où la vie animale ne vaut pas tripette et que, comme le prétendent certains, ils sont « choyés » là où d’autres sont tués pour être mangés ? L’évidence, c’est que le quotidien de nombre d’entre eux n’a rien d’une sinécure.

Protection ou esclavage ?

On sait beaucoup de choses sur les chiens. Ils nous accompagnent depuis 20 ou 30.000 ans. A la longue, ils sont devenus nos amis (sommes-nous les leurs ?). Ils se sont révélés loyaux et endurants, fidèles jusqu’à la mort. On connaît parfaitement leur comportement, leurs codes de communication, on décrypte sans mal ce qu’ils veulent nous dire, pour peu que l’on s’intéresse à eux. On sait que ce sont des animaux intelligents et sociaux, et qu’ils détestent vivre seuls. L’arrêté du 25 octobre 1982 a-t-il tenu compte de ces données ? Pas du tout. On a sans doute pensé que sa vocation n’était pas d’introduire des considérations d’ordre éthologique dans la façon dont on traite les chiens. A l’époque, on avait très peur d’être taxé d’anthropomorphisme, une faiblesse à peine excusable…

Et voilà que cet arrêté, protecteur à l’origine, est devenu au fil des décennies l’alibi des tortionnaires, des esclavagistes ou, pour le moins, des maltraitants.

Il préconise, c’est vrai, « une nourriture suffisamment équilibrée et abondante… » et autres éléments censés garantir un minimum de confort aux animaux de compagnie et aligne les exigences sur les locaux dans lesquels ils sont hébergés, sur les abris lorsqu’ils vivent à l’extérieur, etc. Des exigences assez sommaires, d’ailleurs.

Ceci s’applique également aux « chiens laissés sur le balcon des appartements ». Ainsi, en creux, l’arrêté considère que le balcon d’un appartement peut offrir un lieu de vie acceptable pour un chien.

Une vie en cage

Quant aux « enclos » dans lesquels sont enfermés les chiens, en aucun cas ils ne doivent présenter « une surface inférieure à 5 m2 par chien et la clôture ne doit pas avoir une hauteur inférieure à 2 m. » Même étonnement : l’arrêté ne voit pas d’objection à ce qu’un chien passe sa vie entre des barreaux, sur 5 m2 de surface ce qui est assez peu si on considère que l’animal concerné en a assez vite fait le tour…

Bien sûr, tous ces aménagements doivent être propres, bien orientés, etc. Un minimum. Les contrôles sont rarissimes, et il faut pour les justifier que de lourdes suspicions de maltraitance pèsent sur le ou les propriétaires.

Quant aux chiens à l’attache, la longueur de leur chaîne ne doit pas être inférieure à 3 m, et à 2,50 m si elle est coulissante. Une vie au bout de trois mètres de chaîne… Hum…

Plus surprenantes encore sont les préconisations pour les chiens laissés « dans le coffre des voitures » ou dans les véhicules « en stationnement prolongé », « par temps de chaleur ou de soleil ». Ce qui induit qu’il est normal de balader un chien dans un coffre ou de le laisser dans un « véhicule en stationnement prolongé », même en plein été. Comment s’étonner alors de tous les accidents qui surviennent à cause des mortels coups de chaleur ?

Une inexplicable tolérance

Rien ne dit que les animaux doivent sortir de leur prison pour être promenés, par exemple. Rien ne dit qu’il est inhumain de les y laisser seuls pendant toute la durée de leur vie, c’est pourtant ce qu’il se passe trop souvent. Les chasseurs sont coutumiers du fait. En guise d’excuse, ils vous objectent que leurs chiens ont beaucoup d’activité en période de chasse. Ce qu’ils oublient de dire, c’est que pendant la plus grande partie de l’année, les chiens sont laissés sans aucun exercice, et s’épuisent dès la première sortie, ce qui est exactement le contraire du bon usage de l’exercice physique. Que dirait-on s’il s’agissait d’un bipède sédentaire pendant des mois qui se lancerait dans un marathon sans aucune préparation ? Qu’il met sa santé en danger. C’est exactement ce que font les chasseurs avec leurs chiens.

On s’insurge contre les cirques qui mettent en cage leurs fauves. Pourquoi l’accepter pour les chiens ?

Non, décidément, on ne comprend pas pourquoi cet arrêté n’a jamais été revu, voire supprimé pour lui substituer une législation plus confortable pour les animaux ? La réponse est évidente. Il s’agit là encore de ménager les chasseurs et autres éleveurs, et d’une manière générale tous ceux qui utilisent les animaux, dont les chiens, de façon utilitaire ou lucrative.

Jusqu’à quand le législateur va-t-il tolérer des règles qui apparaissent aujourd’hui comme entachées d’obsolescence, pour ne pas dire d’archaïsme ?

Non, les chiens ne sont pas faits pour vivre dans des cages, eussent-elles 5 m2 de superficie. Les chiens pas davantage que n’importe quel autre animal.

Mila, victime de la loi

Depuis trois ans que dure l’affaire « Mila », nous avons eu tout le loisir de réfléchir à la question (lire l’histoire de Mila). Mila vivait dans une cage, seule, avec en prime un collier électrique qui l’empêchait de produire le moindre son. Sans cesse, elle était pendue au grillage de sa prison. Mila désormais vit une vie normale de chien qui demande affection et attention, elle se balade, elle est heureuse et attachée à Elodie. Elodie n’a pas « volé » Mila. Elle l’a recueillie et a refusé de la rendre à des gens qui ne lui accordaient pas la moindre attention, et qui, sous prétexte qu’elle était « un chien de chasse », la laissaient mourir d’ennui, de chagrin et croupir au fond de leur jardin. Pour cela, Elodie a été accusée de vol ! Elle a été lourdement condamnée, plus lourdement que si elle était un vrai malfaiteur.

Cela est possible, encore aujourd’hui, bien que Mila ne soit pas une chose. Mila n’est pas un bien. Mila n’est ni une voiture ni n’importe quel autre objet, précieux ou non. Mila est un être vivant, sensible, intelligent. Mila aujourd’hui est un chien heureux. Et pourtant, la justice a considéré que Mila était un objet censé appartenir à X et que, en tant que tel, X devrait recouvrer son bien. Quitte à le reprendre par la force. Quelle violence dans cette décision !

Et pourquoi cette décision n’est-elle pas contestable sur le strict plan du droit ? Parce que l’arrêté du 25 octobre 1982 ne voit pas en quoi le fait de détenir un chien dans une cage sans même lui accorder un regard serait une infraction.

Pour nous, il s’agit de bien pire : d’un crime. Et un jour l’histoire nous donnera raison.

Question de regard

Les juges ne sont pas obligés de se plier à des réglementations caduques et dangereuses, au mieux inadaptées à certains cas. Ils ne sont pas inféodés à la loi. Rien ne les empêche de mettre leur humanité et leur bon sens dans la balance. Les juges ont tous les pouvoirs, ils peuvent décider en leur âme et conscience de ce qui est juste. Et les décisions qu’ils ont prises pour Mila ne le sont pas. S’il suffisait d’appliquer la loi à la lettre, il n’y aurait aucun besoin de juges. Des machines suffiraient.

Voilà, nous y sommes : Mila est l’exemple vivant de l’absurdité d’une loi qui tient les animaux pour des esclaves et que personne jusqu’à ce jour n’a eu le courage, ou l’idée, ou l’envie, de remettre en question.

Les magistrats sont des gens très occupés. Ils ont suivi de longues études qui leur demandaient de ne pas trop lever le nez de leurs bouquins. Combien y en a-t-il parmi eux qui ont des contacts avec des animaux, si ce n’est par le biais de leur assiette ? Combien sont-ils à s’être intéressés une fois dans leur vie au regard, à la présence, à l’âme d’un animal ?

L’histoire de Mila, comme toutes celles qui lui ressemblent, et il y en a, part avec un sérieux handicap. Celui-ci réside dans le regard que la société, l’institution, portent sur les animaux. Un regard qui n’a pas grand-chose d’humain.

Pour l’heure, Elodie est condamnée à restituer Mila à des anciens détenteurs, sous peine de devoir leur donner 200 euros par jour de non-restitution. Une condamnation ubuesque.

Rien n’est gagné. Nous avons toutefois la naïveté de croire que ce modeste article contribuera à mettre la lumière sur l’aberration que représente l’arrêté du 25 octobre 1982 et à libérer enfin Mila qui, c’est une évidence, ne doit en aucun cas retourner chez ceux qui la destinaient à vivre en prison.