La mort d’une chienne malinoise tuée par les djihadistes lors de l’assaut du RAID à Saint-Denis, mercredi 18 novembre, à l’aube, a suscité énormément de réactions sur les réseaux sociaux, le plus souvent pour exprimer une compassion que certains n’ont ni comprise ni acceptée, à l’instar de l’éditorialiste du quotidien régional L’Union…

Le 11novembre 2014, un groupe de La Griffe avait déposé une gerbe au pied du monument aux morts…

Le 11 novembre 2014, un groupe de La Griffe était allé déposer une gerbe au pied du monument aux morts, à Clermont-Ferrand, en hommage aux « animaux victimes des guerres des hommes ».

Car ils sont multitude, et on ne les connaît pas… Ce sont des anonymes parmi les anonymes. Souvent des « dommages collatéraux ». Bien sûr, il est arrivé, lors de certains conflits, que l’on rende publics les actes de bravoure de tel ou tel – chien, cheval ou autre – grâce à qui nombre de vies humaines avaient été sauves. Ces animaux emblématiques souvent sont honorés, c’est le cas dans les pays anglo-saxons. Mais cela reste anecdotique. Quelques individus érigés en héros pour cacher tous les autres, innombrables…

Toutes les armées du monde « utilisent » des animaux dans les coulisses des actions guerrières.  Ceux-ci, on n’entend pas leurs cris, on ne connaît pas leurs noms, d’ailleurs ils n’en ont pas. Ils sont sacrifiés sur l’autel des patries, comme les dauphins pour les actions de déminage, les chiens, les chats, les porcs, les primates… Ils en meurent le  plus souvent. Ils testent l’impact des armes, toutes sortes d’armes, chimiques ou autres… On les expose, on les explose, on les désarticule, on les démembre, on les blesse, on les empoisonne, on les massacre… Mais cela, on ne vous le dira jamais. Pas plus qu’on n’évoquera les longues cohortes d’animaux « civils », sauvages ou domestiques, qui laissent leur pauvre vie dans nos conflits divers…

Alors, lorsqu’on voit un régiment défiler devant la dépouille d’un chien, l’on peut sincèrement penser qu’il ne s’agit là que d’une supercherie de plus… Sans doute, mais l’on voudrait croire que les hommes qui ont connu ce chien, ont travaillé avec lui, avec lui ont partagé des moments intenses, ont tissé avec lui des liens d’affection même si on le leur a déconseillé, ont ressenti sa chaleur, sa confiance, et son absolue loyauté, l’on voudrait croire que ces hommes oui, sans doute, ont de la peine…

Et voilà que le mercredi 18 novembre 2015, une chienne malinoise de sept ans, dont la mission était la recherche d’explosifs, a été envoyée en première ligne lors de l’assaut que le RAID a mené dans un appartement de Saint-Denis. Les djihadistes ont fait feu, trahissant du même coup leur présence. Il est clair que la chienne a été délibérément sacrifiée pour sauver les soldats. Elle ne savait pas. Elle a obéi. Elle a juste fait ce qu’on lui avait appris. Ce pour quoi on l’avait « dressée ». Elle s’appelait Diesel.

Il y a eu, sur les réseaux sociaux, un grand nombre de réactions, parfois larmoyantes, certes, mais Diesel aussi est une victime, et l’on ne voit pas pourquoi il serait interdit de la pleurer… Car au-delà de Diesel, ce sont tous les autres qui apparaissent. Derrière sa belle tête intelligente, son regard espiègle et curieux, sa silhouette souple et rapide, défile l’interminable légion des bêtes sacrifiées, torturées, pour que nous, l’espèce souveraine, l’engeance despotique, puissions continuer à croître et à vivre, et à multiplier nos exactions et nos carnages.

Il arrive que des chiens-héros soient honorés, dans les pays anglo-saxons, en général.

Il arrive que des chiens-héros soient honorés, dans les pays anglo-saxons, en général.

Lorsqu’on est attaqué, il faut se défendre. C’est indéniable et là n’est pas la question. De même qu’il serait malvenu, indécent et inhumain d’oublier les morts des attentats, leurs familles déchirées, et les centaines de blessés du corps et de l’âme qui se battent pour continuer à vivre mais savent que plus jamais ils ne vivront comme avant.

Diesel n’avait, elle non plus, rien demandé…

Nous vivons dans un pays en paix, sans bien réaliser toujours la chance qui est la nôtre. La réalité parfois se fait sauvage. Elle attaque avec d’autant plus de violence qu’on l’avait oubliée…

Mais les animaux, quelle que soit la légitimité de nos guerres et quel que soit le degré de civilisation ou de barbarie avec laquelle nous les menons, les animaux ne sont concernés que pour en souffrir… Ils ne savent pas. Les animaux, c’est la plus grande innocence qui se puisse imaginer.

Les animaux jamais ne nous ont fait la guerre.

Il y a cependant des individus qui ne souscrivent pas à cette vision. De temps en temps, l’un d’eux prend la parole. Et c’est le cas d’un certain Sébastien Lacroix, éditorialiste de L’Union, quotidien régional de l’Est de la France. Il s’offusque de l’importance donnée à la mort de Diesel, il trouve absconses les nombreuses réactions de compassion qui se sont élevées sur les réseaux sociaux autour du cadavre déchiqueté de la pauvre bête. Il se fait en cela l’écho des positions officielles : entre Valls l’aficionado, Le Foll, le protecteur des élevages, et Royal la dégommeuse de loups, il n’y a certes pas grand-chose à attendre.

« Nous avons un problème… », écrit le journaliste, dans un article consacré à la mort de Diesel et aux réactions que cela a suscitées. Ce problème, d’après lui, serait notre prétendue « faiblesse » par rapport aux animaux « sympathiques, mignons, utiles parfois », mais qui n’en restent pas moins « que » des animaux : « Les uns sont prêts à tout (les terroristes NDLR), les autres pleurent un chien tué au combat. N’offrons pas aux premiers le spectacle de notre faiblesse, car c’en est une. Cela renforce leur détermination à nous mépriser. »

D’où Monsieur Lacroix tient-il que la compassion, fût-ce envers un animal, serait une « faiblesse » ? Certes, les tortionnaires de tout acabit, d’aujourd’hui, d’hier et de demain, peuvent se targuer de n’en avoir aucune, de faiblesse… Et de n’en pas montrer le spectacle. Est-ce une faiblesse que de pleurer ceux que l’on aime ? Est-ce une « faiblesse » que d’aimer, tout simplement ? L’empathie, dont d’aucuns considèrent que son absence chez un individu peut être la porte ouverte à toutes les déviances (il est admis désormais que c’est le trait de caractère commun aux grands criminels) serait, pour Monsieur Lacroix, une sorte de tare qui ferait de ceux qui en « souffrent » (l’éditorialiste emploie un terme médical, celui de « symptôme ») et en sont comme malades, les proies désignées des forts… C’est-à-dire de ceux qui persécutent sans le moindre état d’âme. Et il semble croire que c’est précisément pour cette « faiblesse »-là que des hordes de voyous, d’assassins, de brutes psychopathes, nous « méprisent » ! Que Sébastien Lacroix se rassure : ils nous mépriseraient de toute façon, même s’il n’y avait pas de Diesel pour nous faire pleurer… Et qu’a-t-on à faire, d’ailleurs, du mépris de ces sinistres clowns ?

En lisant l’édito de S. Lacroix, je ne peux m’empêcher de penser à une célèbre phrase attribuée par la légende à un quelconque dirigeant nazi : « Quand j’entends le mot culture, je sors mon revolver ».

Là, il s’agit moins de culture que de civilisation. La barbarie, la loi du plus fort, ne s’encombrent pas de compassion, ni d’empathie, ni de tous ces « symptômes » qui font de nous des bipèdes avec un supplément d’âme. Car c’est bien sur le métal des armes que l’on construit les dictatures. Et c’est dans le sentiment de solidarité avec les plus faibles – pourquoi les animaux ne seraient-ils pas concernés ? – que l’on construit une humanité digne de ce nom… Évidemment, il est plus facile de jouer les gros-bras que d’appuyer nous-mêmes sciemment sur ce qui nous fait mal.

« Diesel, symptôme de notre faiblesse » ? Allons donc… Il y a des faiblesses qui, à terme, peuvent s’avérer être des forces. Ce n’est pas le mahatma Gandhi qui aurait dit le contraire. Gandhi à qui l’on aurait posé un jour la question suivante : « Que pensez-vous de la civilisation ? » et qui aurait répondu : « Ce serait une bonne idée… »

Josée Barnérias