Le professeur Claude Reiss, actuel président de l’association Antidote Europe, physicien de formation, a été pendant plus de quarante ans chercheur et directeur de recherche au CNRS. Il est venu, à la demande d’une association, Dignité animale 03 (*), à Gannat, dans l’Allier, le vendredi 20 juin, pour animer une conférence intitulée « Les méthodes substitutives à l’expérimentation animale ».

Même si l’on n’est pas un spécialiste des sciences exactes, même pour les béotiens les plus imperméables à la moindre démonstration faisant appel de près ou de loin à des notions de science, qu’elle soit fondamentale ou appliquée, le discours du professeur sur un sujet qu’il maîtrise parfaitement pour l’avoir étudié et développé pendant de nombreuses années s’avère limpide.

« L’animal n’est pas un modèle pour l’homme »

2014-06-20 21.19.19L’exposé de Claude Reiss partait d’un postulat auquel il n’a pas dérogé d’un iota au fil des ans : « L’animal n’est pas un modèle biologique pour l’homme. Penser le contraire conduit à des catastrophes. Le patrimoine génétique d’une espèce est unique et n’appartient qu’à cette espèce. » Et le chercheur de préciser qu’il s’intéressait essentiellement à la santé humaine, et que, s’il était sensible aux problèmes d’éthique, il n’était « pas là pour les animaux» . Une antienne qu’il a cru bon de répéter plusieurs fois au cours de la conférence, ce qui a eu pour effet d’agacer un tant soit peu celles et ceux – et ils étaient nombreux – que l’utilisation des animaux sous des prétextes scientifiques révulse au plus haut point. Le choix de la ville de Gannat d’ailleurs n’était pas dû au hasard puisque c’est là que l’entreprise internationale Harlan Group possède un centre d’élevage de plusieurs milliers de chiens beagle et de rongeurs, ceux-ci étant tous destinés à l’expérimentation.

Mais les arguments avancés allant dans le bon sens, il convenait, au moins un temps, d’oublier les « avertissements » du conférencier pour ne plus s’intéresser qu’à son seul argumentaire en faveur de ce qu’il nomme la toxicogénomique, à savoir l’étude des produits toxiques grâce à la génétique.

« Les produits chimiques, on le sait, sont dangereux pour la santé. Le fait qu’ils soient testés sur des rats et des souris n’empêche pas l’augmentation constante du nombre de cancers. Ils sont tous élaborés à partir de produits de synthèse dont on ne connaît pas l’effet sur la santé. » D’ailleurs, si environ 2.000 de ces produits sont testés , un nombre encore plus important d’autres substances ne l’est pas.

Et Claude Reiss d’avancer une suite de chiffres qui font froid dans le dos : si l’on persiste dans nos pratiques actuelles, compte tenu des données dont l’on dispose aujourd’hui et de la progression de ces chiffres, en 2050, 40 % de la population souffrira de la maladie d’Alzheimer, quasiment tous les individus mâles seront concernés par le cancer de la prostate, un tiers des femmes sera concerné par le cancer du sein, et l’autisme concernera une naissance sur trois. Quant au diabète il est probable qu’il touchera un individu sur trois.

Bien entendu, il ne s’agit pas de lire dans les astres, ni même dans les viscères des animaux sacrifiés sur l’autel de la science toute puissante, mais bien d’une prospective obtenue par des moyens on ne peut plus rationnels.

Des « trucs » !

Ces dangers, auxquels la société actuelle et ses descendants sont exposés, s’expliquent, d’après le professeur Reiss, par la façon dont sont menées les « recherches » sur ces produits qui nous empoisonnent à petit feu en attendant de « flamber » véritablement. « Selon l’espèce et la lignée, le modèle animal peut prouver n’importe quoi et son contraire. Les laboratoires disposent de centaines de lignées génétiquement stables de souris, de rats, de chiens… issues de croisements consanguins. Il y a des lignées susceptibles (ou non) aux cancers, aux hormones, à certaines maladies. D’où le choix d’un modèle conforme à ce que veut prouver le chercheur. » Terrifiante allégation qui tendrait à prétendre que, finalement, on ne trouve que ce que l’on cherche. L’expérimentation animale, en réalité, ne serait qu’une vaste supercherie à laquelle on s’accroche pour des histoires de notoriété, de pouvoir ou de fric !

Et le professeur d’expliquer les « trucs » auxquels ont recours les chercheurs pour faire en sorte d’obtenir très exactement les résultats que souhaitent les industriels. Édifiant ! « Les toxicologues peuvent arranger les coups », dit-il, en assénant un de taille à ses collègues un poil tricheurs pour les besoins de leur ego, voire de leur compte bancaire.

La priorité absolue, déclarait-il en substance, c’est une prévention fiable. Et comment ! « Des milliards de dollars ont été consacrés à la recherche contre le cancer. Tout cela pour quel résultat ? Une espérance de vie prolongée de quelques semaines en moyenne. » Alors qu’on nous abreuve de nouvelles rassurantes sur l’avancée des recherches en la matière, et sur l’espoir généré par de nouveaux traitements. On nous mentirait donc ? « Sur tous ces sujets, j’ai interrogé plusieurs fois le ministère de la Santé. Je n’ai jamais obtenu la moindre réponse. »

Revenant à son cheval de bataille, la toxicogénomique, Claude Reiss expliquait : elle est basée sur la culture de cellules humaines, et permet une évaluation fiable de la toxicité des produits. Elle permet d’obtenir des résultats pertinents pour l’homme, elle est cent fois plus rapide que l’expérimentation sur les animaux et cent fois moins coûteuse.

Alors pourquoi s’obstiner dans des comportements improductifs et dangereux ? Parce qu’il est difficile de renverser les habitudes, et surtout parce que beaucoup trop d’intérêts sont en jeu. La puissance des lobbies pharmaceutiques ne fait aucun doute. Tant que les politiques non seulement permettront à cette puissance de  s’exercer, mais encore la favoriseront, il n’y aura pas la moindre chance, à moins de catastrophes sanitaires mortelles à grande échelle, que tout cela change un jour.

Et le scientifique d’exhorter le public à se saisir de l’affaire en… se servant de son droit de vote.

Au passage, Europe Écologie Les Verts, coorganisateur de la conférence, se voyait gratifié de la confiance du professeur.

L’initiative citoyenne européenne (ICE) Stop Vivisection a recueilli plus d’un million de signatures. Suffisamment pour qu’elle soit prise en compte par le Conseil européen. Ce que souhaitent ses initiateurs : qu’à partir du 1er juillet 2014, aucun projet de recherche impliquant des animaux pris comme modèle de l’homme ne pourra être financé sur le budget communautaire ; que les États membres soient invités à prendre les mêmes dispositions pour les projets nationaux et transnationaux ; enfin qu’une nouvelle directive voie le jour, dont le contenu serait qu’aucune espèce n’étant un modèle biologique de l’homme, toute étude sur un tel modèle est au mieux inutile et peut s’avérer très dangereuse.

En outre, une agence européenne indemne de conflits d’intérêt, dont le rôle serait d’effectuer une veille scientifique et technologique pourrait être créée…

Vœux pieux, pour l’instant sans doute, mais il n’est pas interdit d’espérer.

Et pour conclure, l’éminent professeur en remettait une couche à propos du bisphénol A (auquel nous ne pouvons guère échapper : il y en a partout), en dressant la liste de ses méfaits : « Il mime l’effet des hormones, entraîne des pubertés précoces, perturbe les caractères sexuels secondaires masculins, affecte le développement normal du fœtus, induit des maladies dites conformationnelles (Alzheimer, diabète, Parkinson, chorée, etc.) » et, cerise sur le gâteau, il serait cancérigène…

C’est sur cette note optimiste, après quelques questions posées par le public, que l’on devait se quitter, non sans être invité à déguster un petit jus d’orange pour la route. Au fait, y avait-il du bisphénol A dans la bouteille ?

Josée Barnérias

(*) La conférence a été organisée en partenariat avec la Société protectrice des animaux du Bourbonnais, Europe Ecologie Les Verts et No Harlan Group Gannat