Éliane :

 

jusqu’au bout, la lutte

 

Le mercredi 30 novembre, Éliane Sabatier nous a quittés brusquement. Elle a quitté ce monde et du même coup la vie ; son mari, Jacques ; ses chats ; la richesse de ses souvenirs ; ses combats ; son association SOS Chats Haute Dordogne, qu’elle avait créée en 2002, et puis aussi La Griffe dont elle était, avec Jacques, parmi les tout premiers adhérents. Et c’est un grand vide qui s’ouvre, une preuve de plus de l’absurdité du hasard qui en frappe certains pour en épargner d’autres…

 

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Éliane l’aimait, pourtant, la vie. Elle avait enseignée pendant de longues années les Sciences de la vie et de la Terre. Tout un programme auquel elle tenait beaucoup. Éliane était, plus encore qu’une pédagogue, une militante. C’est à cause de ça que je l’ai connue. Un après-midi d’hiver, il y a longtemps, nous nous sommes rencontrées sur le stand que la Protection mondiale des animaux de ferme(PMAF) avait installé pour quelques heures, rue du 11-Novembre, à Clermont-Ferrand, comptant ainsi attirer l’attention du public sur le sort atroce des poulets de chair. « Vivre vite, mourir jeune », c’était le slogan inscrit en grandes lettres sur une banderole. Éliane m’a expliqué qu’elle était venue tout exprès en train depuis La Bourboule. Cela représentait une véritable expédition, avec au moins un changement. Deux heures de voyage au bas mot ! Et deux heures encore pour le retour. En voiture, trois quarts d’heure suffisent… Curieuse de tout, généreuse, obstinée, intrépide, courageuse, intransigeante… C’était Éliane.

Ce jour-là, j’ai compris la motivation inamovible de cette petite bonne femme avec qui je devais rester en contact jusqu’à la fin. Jusqu’à ce triste mercredi 30 novembre 2011.

Avec Jacques, elle avait parcouru une bonne partie de la planète Terre (elle était du genre à accepter d’aller même plus loin si on le lui avait proposé, tant elle aimait les voyages). La plus grande partie de sa carrière de professeur, elle l’avait effectuée à l’étranger ou dans les départements et territoires d’Outre-mer. Elle en avait gardé des souvenirs parfois extrêmement pénibles en ce qui concerne le sort que l’on y réserve aux animaux. Mais aussi un intérêt sincère pour l’écologie.

L’île de la Réunion, où elle avait créé la première SPA, la Polynésie, la Guadeloupe, Andorre et l’Algérie : le couple Sabatier avait enseigné un peu partout pour finir, à l’heure de la retraite, par revenir en métropole. Jacques voulait s’installer en Auvergne. Éliane préférait la Bourgogne. Soit ! Comme la déesse Perséphone, ils passaient une partie de leur temps ici, une autre là. Ces dernières années, ils vivaient surtout à Clamecy (Nièvre), mais revenaient une semaine par mois pour aider les quelques bénévoles infatigables de SOS Chats Haute Dordogne (1) à capturer des chats errants pour les faire stériliser. Ce rituel ne supportait aucune exception, et le couple était toujours fidèle à son rendez-vous. Grâce à Éliane et à Jacques, et aux quelques personnes qui les ont aidés, assistés, secondés, au nombre desquelles une jeune vétérinaire de La Bourboule, d’une loyauté et d’un désintéressement sans faille, c’est plus d’un millier de matous et de minettes qui ne se seront pas reproduits. En faisant le compte, cela fait plusieurs dizaines de milliers de pauvres bêtes qui ne seront pas nées… Résultat en creux, peut-être, mais combien de souffrances évitées ? Sans compter que l’association a quand même été à l’origine de pas mal d’adoptions…

Éliane partie, l’association lui survivra, bien sûr. Mais c’est à elle que revient le mérite d’avoir mis en route cette initiative courageuse, contre vents et marées. Et si les marées ne sont pas légion dans le massif du Sancy, les vents, eux, ne sont guère complaisants pour ceux qui les bravent. La meilleure façon de lui rendre hommage, c’est de continuer sur ses traces, de se souvenir de cette femme infatigable à la langue bien pendue et à la plume acérée qui, lorsqu’elle n’était pas sur le terrain, écrivait lettre sur lettre (elle comptait se mettre sans tarder à Internet), épistolière enragée et engagée, aux uns et aux autres, pour les convaincre du bien-fondé du combat en lequel elle croyait au point d’y consacrer quasiment toute sa vie.

Sur le dernier courrier qu’elle m’avait adressé, en octobre dernier, elle m’expliquait sa lutte contre les abjects « sites anti-chats », où l’on assiste à des actes de tortures sur des petits félins, et que l’on trouve de plus en plus souvent sur le Net. Il y était question d’un éventuel projet de loi pour éviter ce genre de dérive. Éliane écrivait : « J’espère que ce projet de loi va voir le jour assez vite, pas dans cinq ou dix ans ! Il est tout de même scandaleux qu’une règlementation n’existe pas à ce sujet. Elle aurait dû, si nous étions un pays civilisé, être mise en place dès le début d’Internet… Mais nous ne sommes pas un pays civilisé, c’est évident… »

De tout ce que l’on retiendra d’Éliane, ni la patience ni la complaisance ne seront en tête de la liste…

 

                   
                                                                                                            Josée Barnérias.

 

 

(1) : SOS CHats Haute Dordogne ; BP 21 ; 63150 La Bourboule.

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Un message posthume

En décembre 2006, Éliane avait envoyé un courrier à un élu éminent du département du Puy-de-Dôme, pour lui expliquer en quoi consistaient « la vie et les problèmes de toutes les petites associations du type SOS Chats Haute Dordogne ».

 

« Deux ou trois bénévoles donnent leur temps, avec leur propre voiture, leur essence, pour capturer des chats errants, à n’importe quelle heure, qu’il pleuve, qu’il vente ou qu’il neige. En effet, il faut être sur place à l’heure à laquelle les nourrisseurs (à savoir les braves gens qui nourrissent les chats errants) ont habitué leurs protégés à venir manger, cela peut être 6 h 30 du matin comme 10 heures du soir. Il faut être sur place par tous les temps, y compris dans la neige en plein hiver car on doit essayer de capturer les chats avant la mise bas, sinon les difficultés augmentent : à chaque mise bas, il y aura au moins quatre chatons supplémentaires qu’il faudra capturer aussi en leur temps.

Bien entendu, 90 % des captures ont lieu dehors, dans les rues, les jardins, parfois dans des lieux insolites : il faut grimper, avec des pièges, à des échelles de meunier pour s’installer dans les hauteurs d’une écurie ou d’une grange, ou bien ramper dans des vides sanitaires ou entre les pilotis d’un chalet. Cela, certes, entretient la souplesse des articulations mais, avec l’âge, c’est de moins en moins évident ! Et je ne parle pas des cages à transporter chez le vétérinaire (un ou deux chats plus la cage, cela atteint facilement les 8 à 10 kilos), ensuite on ramène tout le monde sur son lieu de vie, après la stérilisation. Il y a aussi la corvée de nettoyage approfondi (on gratte et on javellise) car ces chats restent au minimum 24 heures dans des cages de transport et ne sont pas de purs esprits !

Tout ce travail est effectué à longueur d’année, avec certes la joie de se rendre utile à ces pauvres animaux, puisqu’on évite ainsi la naissance de centaines de malheureux. On leur procure des soins et, parfois, on fait euthanasier ceux qui souffrent trop. Certes, les amis des animaux nous manifestent leur reconnaissance, leur estime, parfois leur amitié et cela fait chaud au c?ur.

En revanche, aucune reconnaissance de votre part… »

S’ensuit l’évocation des cinq dossiers qui ont été déposés dans les services concernés et qui n’ont pas eu le moindre effet…

Et Éliane de poursuivre :

« Permettez-moi de vous dire, Monsieur le Président, que je trouve cette politique très injuste, d’autant plus que bien des départements consacrent d’importants budgets à aider des associations comme la nôtre en leur octroyant des subventions pour payer une partie des frais vétérinaires et autres (téléphone, essence, etc.).

Nous vivons une époque où nos concitoyens sont de plus en plus nombreux à s’intéresser au sort des espèces autres que la nôtre. La défense de l’environnement, de la biodiversité, donc des animaux sauvages, prend enfin de plus en plus de place dans une nouvelle vision de l’éthique. Il est juste que nos sociétés se penchent également sur le sort des animaux domestiques, en particulier de ceux qui sont errants parce qu’abandonnés par des maîtres indignes. S’il y a tant d’errants, c’est parce qu’il y a trop d’humains égoïstes, infantiles, irresponsables. Les pouvoirs publics devraient se pencher sur la question pour remédier à cet état de fait, mais jusqu’à présent ce sont uniquement les associations qui ont ?uvré sur le terrain. Il me semble que la moindre des choses consisterait à reconnaître officiellement le travail de ces associations et à les aider (et pas seulement les grandes structures, mais les micro-associations qui devraient pouvoir se multiplier et se développer grâce à de telles aides)… »

Ce message désormais posthume puisse-t-il être entendu !