De hauts murs, un portail absolument opaque, et, derrière, un chien, tout seul...

De hauts murs, un portail absolument opaque, et, derrière, un chien, tout seul…

Il y a, quelque part dans Clermont-Ferrand, une maison ordinaire et de taille modeste, comme tant d’autres. Mais ce qui la rend différente c’est qu’elle est plus protégée qu’une centrale nucléaire. Murs de deux mètres de haut en authentiques parpaings, portail noir hérissé de flèches acérées, totalement opaque, caméra sur la façade, pas plus de nom sur la boîte aux lettres que de végétariens à la saint-cochon… A peu près, en somme, tout ce qu’il faut pour attirer l’attention et piquer la curiosité car, en voyant tel édifice auquel ne manquent que les miradors et le chemin de ronde, on se dit qu’on aimerait quand même bien savoir ce qui se trame là derrière et quel trésor peut bien s’y cacher. A l’évidence, c’est précisément ce que veulent éviter les occupants, auquel cas, c’est loupé… Enfin si occupants il y a parce que, manifestement, la maison n’est pas habitée, ou alors par des fantômes, des sortes de morts… Tout cela, direz-vous, n’est que lubie de maniaque, expression de paranoïaque… Plus ridicule qu’inquiétant.

Sauf que. Il y a un chien. Un chien tout seul. Dont la fonction, on le suppose, est de peaufiner le dispositif sécuritaire de la bicoque. Pauvre âme oubliée dans ce cul-de-basse-fosse. On l’entend parfois aboyer sans grande conviction. Lorsque je m’approche du portail (par un trou minuscule, j’arrive à distinguer quelques détails infimes de la cour), je vois sa queue qui remue en cadence. Par la fente sous le portail j’aperçois quatre bouts de pattes… Je lui parle un peu. Il doit s’ennuyer beaucoup.

Renseignements pris, quelqu’un passe tous les jours ou presque, qui doit lui donner à manger, on n’en sait pas plus. Mais par ces jours d’extrême canicule, on s’est inquiété : le chien a-il suffisamment à boire ? Comment le savoir ? On ne peut pas le lui demander…

On a voulu en avoir le cœur net. Pour ça, il fallait grimper un peu. Avec un prix Nobel d’escalade à mains nues, tout eût été beaucoup plus facile, mais en l’absence de ce genre de phénomène, on s’est rabattu sur la bonne vieille technique de l’escabeau. Pas très discret, mais efficace. Car il ne s’agissait pas d’opérer nuitamment, aucun de nous n’étant nyctalope. Nous avons préféré le milieu de l’après-midi, là où le soleil tape comme un sourd sur des grosses caisses. Au moins, en pleine lumière, aucun détail ne pouvait nous échapper. Après tout, il n’est pas interdit de jeter un œil innocent dans la cour des gens, en revanche il est en principe interdit de laisser un chien mourir de soif…

Arrivée au faîte de mon escabeau, c’est un paysage de désolation qui s’est offert à ma vue. Pas le moindre arbuste pourvoyeur d’ombre, une cour cimentée en partie, et, aux confins de ce no man’s land, un saladier en plastique mauve renversé. Celui-ci avait peut-être dû, en de meilleurs temps, contenir un peu de l’eau qui sauve, mais après l’ultime goutte, le buveur, dépité, s’était vengé sur la gamelle devenue inutile… Sur ma gauche, une sorte de baraquement fait de bric et de broc, genre bidonville canin. Une construction aléatoire dont un vent un peu violent viendrait vite à bout. Mais pas de chien… Je me suis dit que le détenteur avait eu pitié et était venu chercher ce malheureux pour le conduire dans un lieu plus frais… Ne voulant cependant pas me réjouir trop vite, j’ai appelé, sifflé, au cas où… Et je l’ai vu sortir de sa cachette, comme accablé, la tête basse… Il ne pensait même pas à chasser les intrus. Trop content d’avoir enfin un peu de compagnie.

J’ai téléphoné à la police. Allô le 17. Espérant dans ma grande naïveté avoir affaire à un chevalier noble et généreux, soucieux de sauver in extenso les pauvres bêtes sans défense. Que nenni. Je suis tombée sur un fonctionnaire acariâtre qui m’a renvoyée prestement dans mes 22 (v’là les flics !). Et qu’est ce que vous voulez qu’on fasse, qu’il me dit. Moi : ben que vous veniez établir un constat (ou pour le moins qu’ils laissent un petit mot au propriétaire de la maison lui demandant gentiment de penser à abreuver son chien…). Lui : c’est ça, on va escalader le mur… C’est pas notre boulot. Adressez-vous aux pompiers ou à la SPA. Je lui explique que La Griffe, justement c’est une sorte de SPA et que les lois sur la détention d’animaux domestiques bla bla bla… Il n’en avait vraiment rien à cirer des lois sur la détention des animaux domestiques. Alors on a mis fin à cette conversation qui ne menait nulle part. Je ne pense pas qu’il aurait réagi différemment si je lui avais dit que le chien était en train de mourir d’un coup de chaleur.

Je suis revenue quelques instants plus tard, toujours armée de mon escabeau, avec un seau d’eau, que j’ai fait glisser le long du mur grâce à une longue corde. Et que j’ai abandonné là. Tant pis. La canicule a l’air de vouloir durer. Combien de seaux faudra-t-il ?

Le détenteur du chien, lui, à force de voir s’accumuler les seaux le long de son mur finira bien par se douter de quelque chose, peut-être qu’il comprendra le message. Il est permis d’espérer…

Et puis peut-être que tout ça, ce sont des délires d’animaliste hystérique. Que le chien est très heureux, tout seul, peinard derrière ses remparts, que parfois il s’ennuie un peu, qu’il a un peu chaud, un peu soif, un peu faim, qu’il aimerait bien une caresse sur sa grosse tête noire, quelques mots gentils pour l’encourager, mais que c’est pas le bagne, non plus…

La morale de cette histoire, c’est que si vous trouvez un animal en souffrance, vous pouvez tout de même appeler la police ou la gendarmerie, on ne sait jamais. Vous pouvez leur demander de l’aide, ça ne mange pas de pain. Mais ne vous attendez pas à des miracles. Il serait fort étonnant qu’ils accèdent à votre demande. Il faudra vous débrouiller tout seul. A moins que vous ne tourniez les talons en vous disant que, finalement, ce n’est pas votre affaire. La plupart des gens font cela.

Mais n’oubliez pas : même si tout le monde, et surtout ceux qui sont les plus concernés, à savoir ceux qui sont censés les faire respecter, a l’air de s’en moquer, il existe des lois. Par exemple, celles-ci.

Nul ne doit causer inutilement des douleurs, des souffrances ou de l’angoisse à un animal de compagnie (article 2 de la Convention européenne pour la protection des animaux de compagnie du 13 novembre 1987).
 
Toute personne qui détient un animal de compagnie ou qui a accepté de s’en occuper doit être responsable de sa santé et de son bien-être (article 4 de la Convention européenne pour la protection des animaux de compagnie du 13 novembre 1987).
La mise à disposition d’eau et de nourriture
Le propriétaire, gardien ou détenteur d’un animal de compagnie ou assimilé doit mettre à la disposition de celui-ci une nourriture suffisamment équilibrée et abondante pour le maintenir en bon état de santé.
De même, une bonne réserve d’eau fraîche fréquemment renouvelée et protégée du gel en hiver doit être constamment tenue à la disposition de l’animal dans un récipient maintenu propre.
 
L’exigence d’un abri conforme aux besoins de l’animal
Il est interdit d’enfermer un animal de compagnie ou assimilé dans des conditions incompatibles avec ses nécessités physiologiques et notamment dans un local sans aération, sans lumière ou insuffisamment chauffé.
L’animal domestique ou assimilé doit disposer d’un espace suffisant et d’un abri contre les intempéries, notamment pour les chiens laissés sur le balcon des appartements.
On remarquera que c’est loin d’être draconien, c’est même le minimum que l’on puisse exiger… Hélas, il y a de nombreux contrevenants et ils ne sont jamais inquiétés… Les associations de protection animale, qui pourraient intervenir et contribuer à faire respecter la loi, ne sont guère aidées dans leur tâche, c’est le moins que l’on puisse dire. Alors que faire ? A qui s’adresser ? 
A quoi sert d’avoir des pages et des pages entières dans le code rural sur le sujet ? Et on ne parle même pas des abandons qui ne disent pas leur nom, des défauts d’identification, des maltraitances ordinaires qui consistent à laisser un animal tout seul, tout le temps, un chien à l’attache, un chat dehors par temps froid, etc. 
Non, quoi que prétendent certains, les animaux de compagnie ne sont pas plus privilégiés que les autres. Les privilèges, c’est sur le papier. Du moins si on considère qu’être au bout d’une chaîne toute sa vie représente un privilège, qu’être laissé sur le balcon d’un appartement représente un privilège (car la loi ne précise pas combien de temps on peut l’y laisser sans que cela devienne une maltraitance…).
Rien n’est gagné, tout reste à faire… Au travail ! En espérant qu’il n’y aura cet été pas trop de chiens oubliés sur les balcons, sans eau, en plein soleil, ou dans les voitures, ou ailleurs, allez savoir !…
NB : Le chien de la photo n’est pas celui de l’histoire. Mais il n’est pas mieux loti, apparemment…
Josée Barnérias