Ils sont partis

Ils sont nos amis, notre famille, nos compagnons de route, nos petits frères loyaux et vulnérables… Ils nous aiment et nous les aimons. C’est comme ça. Un jour, ils s’en vont. C’est fini, il faudra vivre désormais sans lui, sans elle, sans son regard innocent et amusé sur les choses, sans l’odeur un peu musquée de sa fourrure tiède, sans sa drôle de bouille, sans son inoxydable bonne humeur…

La société ne prend pas en compte la perte que représente un animal pour celle ou celui qui l’avait accueilli dans sa vie et partageait avec lui d’inoubliables moments drôles ou tendres.

Pas de cimetière pour eux. Pas d’oraison funèbre. La Griffe propose à celles et ceux qui ont perdu leur compagnon de conserver de lui une trace. Une photo, quelques mots, petites ou grandes phrases, et son souvenir perdurera comme le sillage d’une comète.

La disparition des animaux qui nous sont chers laisse des traces dans nos vies et nos cœurs, mais aussi dans la littérature. Voici quelques extraits d’ouvrages dont les auteurs ont tous, à titres divers, été touchés par la mort de leur(s) compagnons(s).

Mesrine, 15 ans et demi, (3 juillet 2020) – La Griffe

On pensera ce qu’on voudra du Mesrine historique, « bandit d’honneur » ou vraie crapule, mais ce n’était tout de même pas un enfant de chœur. N’empêche que d’anonymes admirateurs ont baptisé un jour du nom de l’ennemi public un chiot qui n’avait rien demandé. Mesrine, croisement de malinois et de leonberg, n’avait pourtant rien d’un braqueur de haut vol.

C’était un innocent, comme tous les chiens. Il a connu la rue, la zone… Son nom sentait la provoc, la punkitude. La planète des asociaux. Et puis les années ont passé. Mesrine, dans le sillage de sa compagne humaine, s’est sédentarisé. La jeune femme a fait un enfant, s’apprêtait à en faire un second, vivait seule avec les gosses et ce gros chien qui veillait sur elle jour et nuit. Elle a considéré qu’elle ne pouvait pas s’occuper de tout ce monde. Mesrine était de trop.

Il avait onze ans lorsqu’elle l’a conduit chez un vétérinaire pour le faire euthanasier. Cela partait d’un bon sentiment. Elle préférait qu’il meure plutôt qu’il subisse un abandon qui, c’est certain, l’aurait anéanti de chagrin. Mais le vétérinaire a refusé de tuer un chien en pleine santé. Il a appelé La Griffe. Qui a accepté de prendre en charge Mesrine jusqu’à la fin de ses jours. C’est Corinne, dont le grand cœur pouvait bien héberger trente ou quarante kilos de plus, qui l’a accueilli…

Cela ne s’est pas fait sans quelques péripéties. Moyennant quelques caresses, une promesse de balade, le chien a consenti, sans grand enthousiasme, à nous suivre, Edith et moi, et à monter dans la voiture. Mais très vite il a flairé l’arnaque. Lorsque, arrivées à destination, nous avons, avec mille précautions, entrouvert la portière, Mesrine, forçant le passage et nous arrachant la laisse des mains, a pris la fuite…

C’était en novembre. La nuit est tombée très vite. Nous l’avons cherché pendant des heures, sûres qu’il essaierait de rejoindre sa maison et sa maîtresse, à l’autre bout de la ville. Il se faisait tard, et pas de Mesrine en vue. Il fallait renoncer. J’ai raccompagné Edith, et puis j’ai pris le chemin du retour. Je traversais la ville lorsque je l’ai aperçu, au beau milieu d’un carrefour, visiblement épuisé, perdu. J’ai posé la voiture en catastrophe, j’ai couru derrière lui en l’appelant. Et il a accéléré l’allure, jusqu’à se mettre hors d’atteinte… Inquiétude, désarroi, je savais que je ne passerais pas une bonne nuit.

Il fallait lui faire confiance. Mesrine savait où il allait. Ce chien d’une grande intelligence, d’une grande sensibilité, a mal vécu d’être enlevé à sa vie et à ceux qu’il aimait. Il était hors de question qu’il se laisse faire. Au matin, on nous a appelés : Mesrine, pendant la nuit, s’était rendu chez un ami de sa maîtresse. Celui-ci n’était pas encore rentré. Il l’avait attendu devant sa porte.

Nous sommes allées une seconde fois chercher Mesrine avec mille égards. Il avait compris. Il n’a pas bronché. Il a fallu quelques jours pour qu’il fasse le deuil de son ancienne vie. Ganja, la golden retriever de Corinne, l’y a aidé. C’était parti pour quatre ans et demi d’affection, de bonheur, de jeux, de balades et de câlins… Tout a une fin. Mesrine s’est éteint le 3 juillet, laissant un vide à la mesure de ce qu’il était. Un « grand » chien.

J. B.

Mon chat, mon chien va partir – Sa maladie, sa perte, mon chagrin

Dr Frantz Cappé (Ed. Albin Michel)

Lors de l’adoption d’un animal, nous signons un pacte, comme dans Faust. Il nous accompagnera durant toute sa vie en nous offrant un « superflu indispensable » : sa joie, sa douceur, sa présence, sa fidélité ; et nous nous engagerons à l’aimer, le nourrir, le dorloter. Dans ce pacte, il y a également l’acceptation tacite qu’à un moment donné, il partira…

 Les larmes d’Ulysse

(Rêves après la mort d’Ulysse)

Roger Grenier (Ed. Folio)

Les chiens parlent, d’ailleurs. Ils nous parlent dans nos rêves. J’ai rencontré beaucoup d’hommes et de femmes qui, comme moi, rêvent au chien qu’ils aimaient et qui n’est plus. Ils peuvent le retrouver la nuit, pendant des années, pas tout à fait tel qu’il était, mais se prêtant aux distorsions et aux cruelles fantaisies des songes. Aussi n’a-t-on pas toujours droit à de douces retrouvailles. Parfois, Ulysse, cet autre moi-même, mon double, ne me reconnaît pas, ou feint de m’ignorer, me plongeant dans la détresse.

Charlotte (30 mars 2020) – La Griffe

Il y a environ trois ans, un adhérent de La Griffe avait trouvé, en se promenant, une poulette blanche enfermée dans un piège à renard : elle était censée servir d’appât. Il s’est empressé de libérer la poulette et de rendre le piège inutilisable.

C’est ainsi que Charlotte a acquis un nouveau statut : celui de « propriété » de l’association, nettement plus confortable.

Charlotte est entrée dans ma vie un soir de mai 2017. Cette petite poulette d’un mois environ venait d’être sauvée par deux bénévoles qui l’ont délivrée d’un piège servant probablement à capturer de malheureux renards…
Devenue une jolie poule de plus de 5 kilos, copine des lapins et autres animaux de la maison, Charlotte aimait se balader en notre compagnie dans les prés environnants et, le soir, se reposer dans sa panière. Sans doute épuisée par une production d’œufs quasi industrielle (ce pour quoi elle avait été génétiquement conçue) à raison d’un œuf par jour pendant sa première année, notre douce poulette, de santé fragile, est morte dans mes bras le 30 mars à 3 heures du matin.
Adieu ma chérie, tu me manques tellement ! 

Edith, son accueillante

Bestiaire

Paul Léautaud (Les Cahiers rouges -Ed. Grasset)

Quel courage ils (ses animaux – NDR) montrent pour mourir, quelle silencieuse résignation, et que c’est triste à voir, un pauvre être qui décline et meurt ainsi. Ce qui vous a tenu compagnie, ce qui vous a été si fidèle, si affectueux, ce qu’on a tenu dans ses bras, caressé et embrassé avec tant de tendresse, le perdre ainsi, ne plus voir qu’une chose inerte qu’on enveloppe dans des papiers et qu’on enfouit dans la terre, à pourrir, à se dissoudre. Que j’en ai sur le cœur de ces chagrins, qui me remontent tous, à chacune des nouvelles pertes que je fais, et quel cimetière est déjà ce jardin, où je les ai vus tous si heureux de vivre, de courir, de s’étaler au soleil (…). Leurs tombes ainsi tout autour de ma maison, il me semble que je prends encore soin d’eux, que je suis encore avec eux.

Câline (mars 2020) – La Griffe

Câline, dont on ne connaissait pas vraiment l’âge (entre 12 et 14 ans sans doute), vivait tranquille avec une dame qui a dû être hospitalisée durablement. La Griffe l’a recueillie.

Petite Câline est arrivée à la maison le 5 avril 2019. C’était une petite mamie chien obèse et percluse d’arthrose, plutôt gaie, espiègle, qui s’est tout de suite entendue avec les copains chiens, chats et autres animaux de la maison. Régulièrement, Marie, sa propriétaire hospitalisée en long séjour, prenait de ses nouvelles, lui parlant même au téléphone. Ces deux âmes, éloignées par les difficiles circonstances de la vie, ne s’oubliaient pas, heureuses malgré tout de pouvoir garder le contact.
Malheureusement l’état de Câline, atteinte d’une méchante maladie de Cushing diagnostiquée à la suite de plusieurs soucis de santé, s’est très vite dégradé, malgré un traitement vétérinaire adéquat et des soins attentifs. La petite Câline nous a quittés dans son sommeil juste avant le printemps.
Câlinette, ni ta Maman Marie ni moi ne t’oublierons, tu étais un rayon de soleil.

Edith, son accueillante

Sheila (mars 2020) – La Griffe

La Griffe avait recueilli Sheila et sa copine Fleurette après l’hospitalisation de leur propriétaire en septembre 2014. Elle avait 11 ans.

Hélas, la belle petite Sheila nous a quittés.

Empressée auprès de son humain, maternelle envers ses congénères, elle avait conquis une place de choix parmi nous.

Merci Sheila !

Jean-Michel, son accueillant

Zoé (16/11/2000 ? – 02/12/2021)

Quand commence en vrai la vie de Zoé ? Ou plutôt quelles ont été ses vies successives ? On ne connaît que la dernière. Elle a commencé en février 2016. J’ai reçu un appel. La petite épagneule, adoptée deux ans plus tôt dans un refuge par une vieille dame, se retrouvait seule une nouvelle fois. La dame avait dû partir en maison de retraite.

Mon gros Lulu m’avait quittée deux mois plus tôt. Une place (et quelle place !) s’était libérée. Je pouvais recevoir Zoé, sa bonne bouille et ses kilos superflus.

Ah, Zoé ! Elle a traversé ma vie en se dandinant à la manière d’un canard à quatre pattes. Elle m’a offert ses étonnements constants, sa gourmandise, son absolue bonne humeur… Zoé n’avait aucune défense. C’était un concentré d’innocence.

Elle s’est vite intégrée parmi ses petits et grands camarades. Chiens, chats… elle aimait tout le monde. Elle avait dû appartenir jadis à des chasseurs. Sa queue manquait à l’appel. Elle avait été coupée à ras par des brutes, des imbéciles. La vue d’un autre animal, quel qu’il fût, la laissait indifférente. Zoé n’avait rien d’un prédateur. Alors, la chasse…

Six ans, cela passe si vite… Lorsqu’elle est arrivée, elle a rencontré Loukoum et Zitoune. Il n’a fallu que quelques heures pour qu’elle se sente totalement à l’aise.

Les balades fréquentes, une alimentation équilibrée ont suffi pour que la silhouette de Zoé passe du stade de petit tonneau à celui de cylindre parfait. C’était bien.

Elle était assez étourdie et il lui arrivait de s’égarer à force de faire confiance à son nez… Je la cherchais alors avec toujours un peu d’angoisse et beaucoup d’assiduité. Il me fallait un temps plus ou moins long pour apercevoir son profil compact au milieu d’un parterre de fleurs ou à proximité d’un local à poubelles. Elle était contente de me voir, mais semblait totalement indifférente au fait qu’elle m’avait causé quelque frayeur.

Le 2 décembre 2021, en début d’après-midi, à l’âge supposé et canonique de vingt ans, Zoé s’est endormie pour toujours après avoir dégusté quelques-unes de ses friandises préférées.

Tu sais, ma Zozo, je ne crois guère aux fables qu’on nous sert au sujet des petites âmes qui s’envolent vers un paradis rose bonbon où poussent des arbres à knackis et où les chemins sont pavés de fromages frais. Mais si d’aventure un tel lieu existe, je sais que tu y trouveras une place de choix. Je sais aussi que tu ne donneras pas de nouvelles. L’écriture n’est pas ton fort. Si tu les rencontres, embrasse fort pour moi Zitoune, Loukoum, Lulu, Zazie, Nini, Goliath et tous les autres. Dis-leur que je ne les oublierai jamais, pas plus que je ne t’oublierai, toi. Et toi, pense à moi de temps en temps, je suis si triste…

Josée

Zoé, entourée de Zitoune (à droite) et Loukoum, en octobre 2016.