Autour de la cause des animaux et de ceux qui la défendent, l’étau se resserre. Cela touche à trop de « traditions », d’idées reçues, de pratiques douteuses qui au fond ne gênent pas grand monde et sont garantes d’une très relative paix sociale. Et surtout cela menace trop d’intérêts… L’arsenal répressif se met en marche. Jusqu’où ?

Une déesse chez les gendarmes

Les raisons que l’on a de la colère, du moins en ce qui concerne le traitement réservé aux animaux, sont innombrables, mais il y en a une sur laquelle il est urgent de s’exprimer. C’est la tentative, par le pouvoir, de réduire au silence ceux qui dénoncent, images à l’appui (voir par exemple l’abattoir du Vigan, dans le Gard, filmé en 2016 par L214), les crimes commis au sein des élevages et de sanctionner fortement, afin de les décourager à tout jamais, ceux qui sont à l’origine de ces dénonciations : les lanceurs d’alerte.

Le 13 décembre, Christophe Castaner, ministre de l’Intérieur, présentait devant un cercle d’agriculteurs réunis à Saint-Pabu, dans le Finistère, son nouveau jouet, la cellule Demeter, créée au sein de la gendarmerie nationale. Son but avéré : lutter contre l’intrusion dans les exploitations agricoles d’individus mal intentionnés qui repartent avec, sous le bras, des vidéos pleines d’horreurs et de violence qu’ils s’empressent de livrer aux médias pour que ces images d’un monde désespérant et sordide s’invitent dans les foyers français. Regardez ce que vous mangez : de la souffrance brute, mais cela, on ne vous le dira pas. Elle se cache derrière les vaches qui rigolent, les cochons joufflus qui dansent la capucine, les poules qui se racontent leur vie dans des prés trop verts. Georges Franju avait déjà montré cela dans un court film documentaire « Le Sang des bêtes », la mort dans les abattoirs de Paris à la fin des années quarante. Le « plus jamais ça ! » ne s’adressait pas alors aux animaux. Et le sang n’était pas rouge. Mais rouge ou pas, les images déjà en étaient insoutenables. Franju ne voulait pas vraiment dénoncer, juste montrer.

Castaner en chevalier blanc ?

Les Jeunes agriculteurs et la FNSEA ne tiennent pas à ce que des intrus viennent mettre le nez dans leurs affaires. Ils leur accordent le droit de penser ce qu’ils veulent, à condition de le garder pour eux et surtout à condition de ne rien montrer de ce qui provoque leur ire. Qu’on se taise, et les vaches seront bien gardées. Depuis une dizaine d’années que l’association L214 diffuse en boucle les preuves des terribles conditions réservées aux animaux dans la plupart des élevages (car il ne s’agit pas, comme on voudrait nous le faire croire, d’exceptions, mais bel et bien d’une règle) ou des abattoirs, le monde de l’agro-alimentaire trépigne. Avec Castaner, il a trouvé son chevalier blanc. La cellule Demeter arrive à point nommé pour empêcher les empêcheurs et faire en sorte que tout tourne rond. Ce qu’il ne faut surtout pas, c’est que le consommateur se mette à culpabiliser à la vue d’une entrecôte au fond de son assiette et commence à se poser trop de questions.

Les ministres de l’Agriculture qui se sont succédé, depuis le début des hostilités avec les associations animalistes, ont fait en sorte de ne rien voir, de ne rien entendre. Vous dites « souffrance animale », oh mais non, pas du tout, il doit y avoir erreur. Nos éleveurs sont soucieux du bien-être de leurs animaux. « Bien-être animal », encore une belle arnaque… Mais bon. On a voulu ignorer ce qu’il se passait, on a voulu faire prendre les animalistes pour des hystériques, de la graine de terroriste. Pour des tricheurs, des menteurs. Mais les images sont là. Point de trucage ni d’effets spéciaux. Brut de décoffrage. Les cadavres, les cris, les animaux battus, insultés, maltraités de toutes les façons, voire martyrisés… A l’heure du JT, devant ton escalope de veau, tu te sens tout chose.

L’agroalimentaire n’aime pas ça du tout.

Des porcelets dans un élevage du Finistère, en 2019 (Photo L214 Éthique & Animaux)

Pas de « lois bâillon » ici

C’est pour cela qu’un ministre de l’Intérieur, premier flic de France, est pressenti pour faire cesser le désordre. Les lobbies ne tolèrent plus les intrusions dans les élevages et autres abattoirs. Ne tolèrent plus que des images y soient volées. Il faut agir.

Aux Etats Unis, au début des années 90, certains Etats essentiellement tournés vers l’élevage ont voté ce que l’on a appelé les lois Ag gag (Ag gag laws) que l’on peut traduire par « lois bâillon » afin de mettre un terme à l’activisme de certaines puissantes ONG comme PETA qui faisaient alors ce que L214 fait aujourd’hui en France. Mais, le 9 janvier 2019, la cour fédérale de l’Iowa a reconnu que ces lois étaient inconstitutionnelles. C’est une victoire immense pour les animalistes. On peut gager que d’autres Etats ne tarderont pas à suivre la brèche désormais ouverte. Les lois Ag gag sont en quelque sorte des lois scélérates qui s’opposent à la liberté d’expression et surtout au droit du consommateur de savoir ce qu’il consomme. C’est pourquoi en France, même si certains en rêvent, on a fort peu de risques de voir émerger leurs petites sœurs. La cellule Demeter est une façon de contourner le problème. Le ministre l’annonce sans ambages : la cellule existe afin « que l’antispécisme soit un des axes prioritaires du renseignement ». On ne peut être plus clair.

Quelques voix s’élèvent

Récemment, quelques personnalités se sont émues de ces mesures pour le moins coercitives. L’astrophysicien Aurélien Barrau, la philosophe Florence Burgat et l’écrivain Jean-Baptiste Del Amo ont signé dans Le Monde du 19 janvier une tribune dans laquelle ils déclarent ceci : « La menace de sanctions pénales lourdes (peines d’emprisonnement) n’a pas d’autre objectif que de museler les lanceurs d’alerte et de faire taire durablement le débat sur la question du droit des animaux qui ne cesse de prendre de l’ampleur dans notre société et remet profondément en question les modes d’élevage et de production. »

Il y a menace sur la liberté d’expression, menace sur le combat mené par les animalistes de toute sorte. On avait déjà noté l’attitude complaisante du gouvernement Macron envers les chasseurs. On a retenu la création lors du premier trimestre 2019 d’un délit d’entrave à la chasse. Les tribunaux reçoivent de plus en plus fréquemment des militants pour des infractions mineures qui sont lourdement sanctionnées. Jusqu’où cette hostilité déclarée ira-t-elle ? Insidieusement, on tente d’infléchir l’opinion afin de noircir l’image des militants de la cause animale. Les lobbies ont la mainmise sur les politiques. Cela devient à maints égards une évidence.

On hésite entre la colère et le découragement. On pourrait croire que l’heure est venue de la prise de conscience, de la responsabilité, de l’âge adulte…  A défaut de bienveillance. C’est tout le contraire. N’évoquons même pas les abus, les errements, les folies diverses qui entraînent tout et tout le monde dans leur sillage. Mais seulement ce que, dans ce maelström, devient la cause des animaux.

Pourquoi eux ? Parce qu’ils sont universellement attaqués, exploités, terrorisés, réduits en esclavage et massacrés. Et parce qu’ils sont innocents. Il n’y a là-dessus pas l’ombre d’un doute. Et de surcroît sans la moindre défense devant les attaques des hommes (si ce ne sont quelques dérisoires coups de griffe, de sabot ou de dent). Mais de quels animaux parle-t-on au juste ? Tous. Certains plus que d’autres. Et vice versa.

Si l’on accepte des cellules Demeter, il est fort probable que d’autres suivront, du même acabit. Ne pourrait-on pas imaginer une cellule Artémis, pendant que nous y sommes, qui traquerait les anti-chasse jusque dans leurs terriers ? En appeler à la mythologie grecque, de surcroît, c’est joli, c’est poétique, cela donne une caution culturelle à ce qui n’est au fond qu’un vulgaire abus de pouvoir… Il est vrai que Demeter rime avec Castaner. Et avec… sans commentaires.

Josée Barnérias