Point sur les animaux et poing sur la table

Josée Barnérias

La cause animale, en dépit des manifestations, des alertes, des déclarations, des nouvelles chapelles militantes, des images qui dénoncent, des grandes déclarations, des initiatives citoyennes, des engagements radicaux, des mots-dièse, des blogs, des sites, et j’en passe, n’avance pas d’une queue de souris !

A considérer tout cela, on aurait pourtant le sentiment que quelque chose cherche à exister. Qu’une révolution sans précédent est en train de se mettre en marche. Que les acteurs sont prêts, les rôles distribués. C’est du moins ce que d’indécrottables optimistes voudraient sans doute nous faire croire. Le regard que nous portons sur les animaux est-il sur le point de changer ? Si l’on sort du cénacle animaliste, on doit se rendre à l’évidence. Le chemin semble encore long.

La politique des tout petits pas

Bien sûr, il y a des villes qui s’insurgent contre la détention d’animaux sauvages dans les cirques (souvent, leur action au bénéfice des animaux s’arrête là…) ; le nombre des poules pondeuses en cage a baissé de manière significative depuis quelques années (une sur deux environ aujourd’hui) ; les « nuisibles » se sont métamorphosés en « espèces susceptibles d’occasionner des dégâts » (les mots ne changent rien à la chose, cependant et, substantif ou locution, les massacres sont toujours d’actualité…) ; la capture des renards par des chiens est désormais interdite (!) ; et on a voulu nous faire avaler que la modification du code civil (art. 515-14) conférait aux animaux un vrai statut d’ « êtres sensibles », ce qui est évidemment un gros mensonge.

Il y a peut-être encore d’autres bricoles censées améliorer la vie de nos amies les bêtes à mettre au crédit de nos dirigeants. J’avoue qu’elles m’auront échappé.

D’après le CIWF, la loi Agriculture et alimentation d’octobre 2018 prévoyait l’interdiction de tout nouveau bâtiment censé accueillir des poules en cage. Depuis, aucun décret d’application n’est venu concrétiser ce vœu pieux. La caudectomie des porcelets est interdite depuis 1994 par une directive européenne. La France n’en a cure. Et 99 % des élevages continuent à la pratiquer, à vif, cela va de soi, sinon ce ne serait pas drôle (rappelons au passage de 95 % des élevages porcins sont de type intensif).

Dernière minute : une plainte contre ces mutilations aurait été déposée à l’encontre de l’Etat français par le CIWF devant l’Union européenne.

Et, au fait, où en est le broyage des poussins ? Et les longs transports ?

Il paraît (l’association One Voice s’en est fait l’écho) que 27 députés ont cosigné une proposition de loi pour interdire la vénerie sous terre. Belle et généreuse initiative ! Quant aux 550 autres, on ne doute pas qu’ils vont accueillir le projet avec des applaudissements et des hourras.

D’après les rumeurs, Barbara Pompili, nouvelle ministre verte de la Transition écologique et solidaire, avait prévu de mettre fin à la chasse à la glu, une méthode cruelle qui reste pratiquée dans cinq départements et demeure une activité assez marginale par rapport à la pratique cynégétique en général. Mais on ne voit rien venir… Il y a fort à parier que les petits oiseaux resteront encore quelques temps collés sur leur branche comme Pompili dans ses contradictions.

Voyons un peu…

Cette image à elle seule résume tout le désespoir du monde (photo La Griffe).

Revenons aux cirques avec animaux sauvages. De plus en plus de villes envisagent de les interdire (il faudra pour cela qu’elles usent de stratagèmes car ce genre de boycott ne fait pas partie des pratiques légalement autorisées). En faisant cela, elles ne risquent pas grand-chose, si ce n’est de se mettre à dos les circassiens ce qui, on le reconnaîtra, n’est sans doute pas de nature à les impressionner plus que cela. On est bien d’accord : les animaux issus d’espèces sauvages n’ont rien à faire dans des cages à être trimballés à longueur d’année et de camion sur les routes de France et de Navarre. Les autres animaux non plus, d’ailleurs. Les premiers ne représentent pas une population énorme, d’autant qu’il s’agit souvent de grands mammifères (fauves, éléphants, zèbres, quelques ours, singes…). Question : que font ces villes vertueuses pour assurer le devenir des animaux qui se retrouveront au chômage technique ? Y a-t-on prévu de participer à une collecte de fonds qui aurait pour but la création de sanctuaires où ces esclaves pourraient enfin se reposer loin de la populace et profiter du temps qu’il leur reste à vivre ? Que nenni.

Quant à l’instauration d’une journée hebdomadaire sans viande, c’est vraiment un bel air de pipeau qu’on nous joue là. Car ce qui est visé d’abord, c’est l’aspect écologique de la chose. On ne fait pas cela pour épargner les animaux, mais pour « la planète » bon dieu ! S’ils en profitent aussi c’est tant mieux. Mais je serais très étonnée que les chiffres de l’élevage, de l’exportation et de l’abattage en soient beaucoup affectés.

Et à part cela ?

La vie (et la mort) continue…

Les abattoirs continuent à abattre. Les vidéos dénonciatrices de L214 ont bien contribué à traîner quelques protagonistes devant les tribunaux, mais les sanctions n’ont pas été celles que l’on était en droit d’attendre. Les élevages continuent à élever. Çà et là fleurissent ce que l’on appelle les fermes-usines. Le renoncement à l’intensif se fait attendre, et ceci pour toutes les espèces concernées. Le foie gras sur canapé et a encore de beaux jours devant lui. Les longs transports d’animaux charrient toujours autant de souffrance. Le sable des arènes absorbe à chaque nouvelle saison le sang des taureaux, et quelquefois des chevaux, avec autant d’efficacité que s’il s’était agi d’une averse de printemps. Les cerfs effarés continuent à fuir éperdument devant les équipages criards aux boutons de cuivre, et dont la terrible rumeur, grossière fanfare, effraie jusqu’au plus petit habitant des forêts. Les blaireaux, les renards, continuent à se terrer en attendant approcher les chiens et les hommes qui accompagnent les chiens, brutes archaïques et lourdes, vides de la tête, dénuées de tout sentiment d’empathie (au fait, c’est quoi l’empathie ? Tais-toi et creuse…). Les pauvres bêtes, on ne donnera pas cher de leur peau ni de celle de leurs petits. Les animaux de tout poil, de toute plume, continuent à tomber sous les tirs plus ou moins assurés de nemrods nostalgiques peut-être de grandes et belles guerres (que n’y vont-ils pas pour de vrai, il en reste bien quelques-unes par le vaste monde). Les pêcheurs continuent à racler les fonds, à ramener par millions toutes sortes de créatures étranges, même celles qui n’ont rien demandé. Les mammifères marins ont du souci à se faire, mais n’ont rien à envier aux ours et aux loups, fiers hôtes de nos bois et de nos monts, que de robustes cons ont à cœur d’éradiquer.

Les petits, les gros, tout pareil

Les animaleries, lieux où les animaux sont, qu’on le veuille ou non, des marchandises.

Et les poules, et les lapins, et les rongeurs divers et variés, furets et autres chinchillas, et les petits poissons de couleur, et les reptiles, et les petits oiseaux chanteurs ? Ils font tapisserie dans les vitrines chauffées des animaleries devant les gamins qui les montrent du doigt en s’ébaubissant. La moitié au moins ira à la casse, finira à la poubelle ou à l’équarrissage s’ils sont trop gros. Les autres seront vendus comme jouets à des adultes frappés d’infantilisme, qui les livreront peut-être à leurs enfants, lesquels s’en soucieront un jour ou deux avant de retourner à leurs jeux vidéo. Ils resteront prisonniers de leur cage exigüe, de leur aquarium, de leur vivarium, avant de mourir d’ennui, de manque de soins, de faim ou de soif, allez savoir. D’autres seront lâchés dans la nature… Leurs propriétaires, sentimentaux, préférant leur laisser une chance… Une chance de quoi au juste ? Devinons ce que peut bien devenir, une fois qu’il est livré à lui-même, un petit animal qui a toujours été captif et dépendant de l’homme…

J’ai gardé le meilleur pour la fin. Les chats, le peuple immense des chats. Et les chiens, anciens loups devenus sages…

Combien de dizaines de millions déjà ?

Il y aurait en France plus de 14 millions de chats. Ce chiffre émane d’organismes de statistique. On ne sait pas de quelle façon on y est arrivé. Il semble qu’il concerne les chats « de maison », c’est-à-dire ceux qui ont un foyer. Il n’est apparemment pas tenu compte des autres, ceux qui sont considérés comme « errants ». Ces « SDF » quasi invisibles seraient en France, d’après l’association One Voice, entre 10 et 11 millions, c’est-à-dire presque autant que leurs congénères « établis ». Que l’on ne s’y trompe pas. Parmi ces derniers, beaucoup ne sont pas identifiés, même si la loi, depuis 2012, y oblige. Sont-ils tous stérilisés ? Probablement pas. Et ceux qui ne le sont pas peuvent très bien, à la faveur d’une fugue, aller rejoindre la population des habitants de la rue. Le peuple des chats est à géométrie variable.

Selon les gens chez qui ils se trouvent, les chats sont diversement traités. Ceux qui sont livrés à eux-mêmes, en revanche, ont un destin pathétique et une espérance de vie très courte. La faim, la soif, les grands froids, les trop fortes chaleurs, les maladies, les parasites, tout leur est dangereux et hostile. Ils ont des ennemis qui les torturent parfois, les chassent bien souvent. Ils sont la proie de tout ce qui peut les détruire : les fusils, les voitures, d’autres animaux, et surtout les individus méchants et malveillants. Les chats sont des êtres extrêmement robustes, capables, un temps, de supporter des conditions terribles. Mais ceux qui les connaissent le savent : ils aiment naturellement le confort.

De la misère, encore de la misère

Entre 10 et 11 millions de chats sans famille, aujourd’hui, en France…

Les chats nés dans la rue se méfient de l’homme, ont des réflexes d’animaux sauvages. Ils se terrent, ils se cachent. Mais pour autant, ils restent des animaux domestiques et survivent très mal sans l’assistance des hommes, surtout des femmes d’ailleurs, car celles-ci font preuve plus souvent de compassion pour ces infortunés. Nous connaissons tous de ces « nourrisseuses » qui n’hésitent pas à braver le mauvais temps, à se mettre à dos une partie bien peu amène de la population, en un mot à se pourrir la vie pour sauver autant que possible celle de greffiers oubliés de tous.

Nous, associations, savons très bien quelles souffrances, quelles misères sont endurées par ces petits êtres et quels sacrifices sont le lot de celles et ceux qui tentent de les protéger.

Et cette misère n’en finit pas. Parce que les chats se reproduisent vite. Une chatte, au bout de sept ans, peut être à l’origine de la naissance de 10.000 chatons… Faut-il s’en féliciter : sur ce nombre, beaucoup meurent en bas âge. D’autres ne survivent que quelques mois. C’est rédhibitoire et c’est atroce.

Tout cela pourrait être évité. Mais qui s’en soucie ? La stérilisation obligatoire, entre autres mesures de protection incontournables, est demandée depuis longtemps à cor et à cri par les bénévoles des associations. Jamais un élu n’a jugé utile de prendre au sérieux cette demande. Pourtant, il s’en trouve bien, parmi eux, qui hébergent un ou plusieurs chats… Les associations, certains particuliers même, s’échinent – que dis-je ? – s’épuisent, à stériliser le plus grand nombre possible de chats, mais c’est un puits sans fond. Précisons tout de même que l’argent public n’est jamais de la partie…

Cela devient insupportable, parce que donnant lieu à des exactions sans nombre, des rejets qui ont vite fait d’entraîner des maltraitances, des sévices, des actes de cruauté même. Il serait temps que cela cesse, mais on n’en voit pas le bout…

Il paraît que les Français aiment les chats… On peut se demander de quelle nature est l’intérêt qu’ils leur portent. En tout cas, ils les traitent bien mal.

De qui faut-il avoir peur ?

Quant à l’espèce canine, c’est un bel exemple de diversité. Du chihuahua au saint-bernard, on en trouve de toutes les tailles, de toutes les sortes, de toutes les couleurs (ou presque). Mais un chien reste un chien, quel que soit son gabarit. Et un chien est l’animal sans doute le plus proche de l’homme qui, en le domestiquant, il y a environ 20.000 ans, en a fait son allié, son compagnon, mais aussi son esclave et sa victime.

Nous connaissons tous des chiens heureux, ou du moins qui ont l’air de l’être. N’oublions cependant pas que l’homme est maître de leur destin, dans tous les cas de figure. Et si cette relation qu’ils établissent entre eux peut parfois être tissée de l’affection, de la confiance, de la bienveillance et du respect qui devraient être la norme, elle est très souvent faite de domination, de soumission exigée, voire de cette méchanceté brutale qui s’exerce envers les êtres plus faibles. De plus en plus de gens ont peur des chiens. Ils se trompent. Ce sont des hommes qu’il faut avoir peur.

Le commun des mortels n’en est pas forcément informé, les associations de protection des animaux, si. Les actes inacceptables, les abus de toutes sortes, s’exercent envers les chiens plus souvent qu’envers n’importe quel autre animal. Parce qu’ils sont à notre portée, à notre merci. Et que la loi, les autorités, les juges, protègent plus souvent le maltraitant que le maltraité.

Il y a quarante ans, un arrêté…

En 1982 (c’est-à-dire, au train où vont les choses, dans une époque reculée), le législateur, pensant protéger les chiens (tout est relatif, la façon de les traiter alors était souvent ignoble), a pondu, le 25 octobre de cette même année, un arrêté relatif à l’élevage, à la garde et à la détention des animaux. D’où il ressort, pour faire court, qu’un chien est heureux s’il a de la nourriture en quantité suffisante, une niche étant orientée comme ceci ou comme cela, et une chaîne de plus de trois mètres de long… Et qu’importe s’il passe sa vie tout seul oublié au fond d’un jardin. Ne faudrait-il pas revoir la copie ?

Les cas de maltraitance sont de plus en plus nombreux. Cela fait peur parfois. Cela en dit long sur la fragilité et la vanité des hommes, sur leur brutalité et leur lâcheté. Il y aurait beaucoup à dire sur la façon dont, aujourd’hui encore, au XXIe siècle, on traite les chiens. Au passage : ils sont les premières victimes des actes (bien mal nommés) de zoophilie. Cela, les associations, toujours elles, le savent. Quant au commun des mortels, il s’en remet à son ignorance, parce que c’est plus simple. Et que ces choses-là ne sont pas ses affaires.

Une farce qui dure

D’après l’un des derniers sondages établis, deux tiers des Français seraient favorables à une amélioration de la condition animale. Cela semble bien optimiste, mais après tout… On ne peut nier qu’il y a une prise de conscience, une augmentation de la sensibilité d’une partie de la population. Mais alors, pourquoi les politiques font-ils semblant de ne rien voir ? Pourquoi ne prennent-ils pas la mesure de ce mouvement de fond ? Pourquoi s’obstinent-ils à patauger dans leur déni ? Ont-ils peur de tomber sous les lazzis, comme en étaient victimes ceux qui s’obstinaient à croire en leur combat pour les animaux il y a quelques dizaines d’années seulement (et parfois encore aujourd’hui) ? Craignent-ils de passer pour des faibles, des sentimentaux, des petites natures ? Leur attitude est incompréhensible. Celles et ceux qui persistent dans cette voie n’ont rien à faire dans une société qui se libère peu à peu des archaïsmes, des ignorances, des croyances absurdes et malsaines. Il faudra bien un jour que le rideau tombe sur cette mauvaise farce que l’on nous joue depuis des décennies.

En attendant, « nulle vie et nul bruit », comme le chante le poète. Nos dirigeants font mine de ne s’apercevoir de rien. Catimini et Tapinois vont (et nous mènent) en bateau…

Un bon coup de poing sur la table des (futures et néanmoins hypothétiques) négociations serait peut-être souhaitable…