Dans un certain nombre de pays du monde, essentiellement en Europe et sur le continent américain, les animaux bénéficient de quelques lois, dont la teneur et l’importance sont variables selon les Etats, censées les protéger dans leur relation avec les hommes. Mais comment pourraient-ils, à l’instar des petits enfants ou des personnes déficientes mentales, faire valoir leurs droits devant la société ? Ils ne possèdent pas de langage articulé, pas d’écriture, n’ont par conséquent aucun accès à ce qui est formulé en langage humain. Pour faire valoir ces droits, il leur faut des ambassadeurs, des porteurs de parole… C’est le rôle des associations de défense que de se battre pour que les droits des animaux soient respectés et aussi pour que s’élargisse le champ de ces droits, car, pour l’heure, ceux-ci, qui visent à poser un cadre à la relation homme-animal, servent le plus souvent à codifier l’exploitation des seconds par les premiers.

La question est la suivante : comment les associations de défense peuvent-elles s’accommoder des rares articles de loi qui concernent la protection réelle et effective des animaux contre la brutalité et la cupidité des hommes ? Elles sont pourtant bien souvent les seuls garants de l’application de ces lois auprès de la justice. Mais quels sont leurs recours réels ? Sur le terrain, quel est le rôle exact de la loi ?

Le droit français, en ce qui concerne la protection stricte des animaux en tant qu’individus (si l’on écarte tout ce qui concerne les animaux au seul titre de l’espèce), se résume à assez peu de choses. En outre, les animaux sauvages qui ne font partie d’aucune espèce protégée ne bénéficient, eux, d’aucune protection légale, c’est encore plus vrai dans le cas des espèces déclarées « nuisibles » auxquelles l’on peut faire subir ce que l’on veut, et l’on ne s’en prive pas (voir certaines pratiques de chasse…).

Le code pénal comporte plusieurs articles essentiels concernant les animaux : l’article 521-1[1], l’article 653-1[2], l’article 654-1[3] et l’article 655-1[4]. Il y aurait de nombreux commentaires à apporter, notamment sur l’introduction de la notion de « nécessité » dans la mise à mort, bien commode pour tolérer certaines pratiques comme les « euthanasies » arbitraires dans les fourrières ou certains refuges…

On remarquera par ailleurs que l’article 521-1 est accompagné d’une dérogation de taille : « Les dispositions du présent article ne sont pas applicables aux courses de taureaux lorsqu’une tradition locale ininterrompue peut être invoquée. Elles ne sont pas non plus applicables aux combats de coqs dans les localités où une tradition ininterrompue peut être établie ». Cette aberration du droit français a été suffisamment commentée par ailleurs, nous n’y reviendrons donc pas ici, mais nous soulignerons l’imprécision des termes « tradition locale ininterrompue ».

lg-dessin-marechal-521-1Qu’en est-il des autres articles ? Lorsqu’il s’agit de mauvais traitements, dont la gravité et la nature ne sont pas définis, la sanction n’outrepassera pas la simple amende. De même pour le fait de donner volontairement la mort, sans nécessité, publiquement ou non. Dans ce cas l’amende pourra se monter au maximum à 1.500 euros. Un plafond rarement atteint. Par ailleurs, il est bien rare que l’on ne puisse invoquer une quelconque nécessité à mettre à mort un animal…

En réalité, les accusations pour sévices graves et actes de cruauté sont très peu retenues. Elles sont le plus souvent requalifiées en actes de maltraitance, et ne sont plus passibles que d’une amende, en supposant qu’elles arrivent jusqu’au tribunal. Quant aux actes de maltraitance… Nous verrons plus loin ce qu’il en est.

Le code civil a récemment subi une métamorphose. Depuis le 16 février 2015, le nouvel article 515-14 attribue aux animaux le statut d’êtres vivants doués de sensibilité, tout en continuant à les soumettre au régime des biens « sous réserve des lois qui les protègent ». Le monde associatif a voulu y voir un progrès, qui n’est peut-être, à bien y regarder, pas seulement de pure forme. Les « utilisateurs d’animaux », comme ils se qualifient eux-mêmes, ont, pendant quelque temps, redouté que ces nouvelles dispositions ne nuisent peu ou prou à leurs activités dont certaines ont un indéniable aspect lucratif. Le législateur, ne voulant léser personne, a fait en sorte que tout le monde soit content : les associations de protection animale, qui demandent souvent sans rien obtenir, ont eu, pour une fois, le sentiment d’avoir été entendues, quant aux « utilisateurs d’animaux », ils ont très vite compris que cette modification en apparence mineure ne changeait pas grand-chose pour la poursuite de leurs affaires. Quoique… Il appartient désormais aux associations et à leurs avocats d’emprunter de nouvelles pistes à partir de la voie étroite qui s’entrouvre devant eux.

Le code rural est, de loin, le plus concerné par la question animale. On y trouve à peu  près toutes les situations qui peuvent échoir dans un contexte où les hommes ont affaire avec les animaux, que ceux-ci soient d’espèces compagnes ou d’espèces dites de rente, ou de toute autre, à l’exception, nous l’avons signalé plus haut, des animaux dits sauvages. Cependant, ce n’est pas le caractère protecteur de ces lois et réglementations qui est mis en avant. Le code rural se contente en somme de donner un cadre législatif à toute forme de relation entre l’homme et l’animal, celle-ci étant le plus souvent une relation d’exploiteur à exploité, de marchand à marchandise, de producteur à produit, de propriétaire à propriété. Il s’agit bien tout de même d’éviter aux animaux des conditions d’existence trop pénibles, ainsi que, pour les animaux dits de rente et dans quelques autres cas (animaux dits de compagnie, par exemple), des modalités de mise à mort qui seraient inacceptables par le sens commun. Mais jusqu’à quel point ?

En réalité, sur le terrain, qu’en est-il de ces lois protectrices et de leur application ? Pas besoin d’être juriste pour s’apercevoir qu’en la matière, il y a loin de la coupe aux lèvres, et que la prétendue « protection » des animaux n’existe bien souvent que sur le papier.

L’exemple le plus éclatant, l’actualité récente l’a mis en lumière, c’est celui du respect de la règlementation qui concerne la mise à mort des animaux dans les abattoirs. L’association L214 a pu, grâce à des vidéos prises en caméra cachée, mettre en évidence les maltraitances très graves, les actes de cruauté dont les animaux étaient victimes. Ces déviances existent sans doute depuis la nuit des temps, et pas seulement dans les établissements incriminés. Des poursuites judiciaires devraient s’ensuivre, et de nouvelles mesures devraient être adoptées afin d’éviter que de telles pratiques puissent se développer. Mais qu’en sera-t-il exactement ? La médiatisation de ces situations a soulevé des vagues d’indignation. Il est déjà inadmissible qu’elles aient pu et puissent se produire de façon aussi banale. Aura-t-on la naïveté de croire qu’une fois l’info retombée, remplacée par d’autres, tout va changer du jour au lendemain ?

En outre, l’abattage qui est soumis, depuis 1964, à l’étourdissement préalable des animaux, est de plus en plus souvent pratiqué à vif, par le jeu d’une dérogation au profit des cultes musulman et juif dont le cadre religieux refuse l’étourdissement. Ce dernier n’est déjà pas très au point, c’est le moins que l’on puisse dire, mais son absence signifie à tous les coups de grandes souffrances et un grand stress pour les animaux sacrifiés. Dans ce cas également, où est le droit ? On le voit, en ce qui concerne les animaux, non seulement la loi est loin d’être appliquée à la lettre, mais encore elle s’efface devant des intérêts divers… Dans ce cas à quoi sert-elle ?

Quant aux élevages, le droit leur reconnaît des prérogatives qui sont inadmissibles pour qui s’intéresse au sort des animaux. Elevages industriels, porcs sur caillebotis, truies en stalle, poules en cage, fermes-usines de vaches laitières, de veaux à l’engraissement, gavage des oies et des canards, broyage des poussins, usines à chiots… Tout cela est légal. La souffrance est légale.

Les association de protection animale « de terrain » (mais comment peut-on ne pas être de terrain lorsqu’on s’est engagé à défendre et à aider ?) ont maintes occasions de recourir à la justice, maintes occasions de rappeler le droit… Quel est leur pouvoir réel ? Bêtes laissées dans des étables insalubres, ou en plein champ, sans eau, sans abri, avec une nourriture sommaire, ou pas de nourriture du tout, sans soin, prés secs en été, embourbés en hiver… Règlementation ignorée, lois bafouées. Les plaintes ne sont pas reçues directement. Il faut en passer par les services vétérinaires de la DDPP qui, pour intervenir, attendent qu’il y ait quelques cadavres… Des semaines, des mois parfois pendant lesquels des bénévoles mal considérés, ne bénéficiant d’aucune prérogative, doivent assister impuissants à de véritables hécatombes…

Cela se déroule de la même façon avec les animaux des espèces dites « de compagnie ». On objectera que celles-ci sont mieux protégées, mieux traitées globalement. « Pourquoi en manger certains, et en choyer d’autres ? », tel est le slogan brandi par certaines associations. Cette vision à l’emporte-pièce, volontairement outrée, si elle a le mérite d’attirer l’attention sur le sort des animaux que l’on consomme, a tout d’une contre-vérité en opposant le destin « enviable » des uns au sort ignoble des autres. Il existe des chiens, des chats, des lapins, des rats des furets heureux, on ne saurait le nier. On ne possède pas de chiffres là-dessus, et c’est bien dommage car il y a fort à parier que les surprises seraient nombreuses. Certains organismes avancent même que le nombre de chats livrés à eux-mêmes, sans abri, sans nourriture, sans soins (ce qui signifie une existence désastreuse et une mort prématurée et souvent douloureuse) serait très proche de celui des « chats de maison ». L’on fera remarquer que le passage d’un statut à l’autre peut se faire du jour au lendemain, il suffit d’un déménagement, d’un divorce, d’une naissance ou de tout autre prétexte pour que Minou se retrouve à la rue sans avoir compris ce qui lui arrivait… Des situations comme celle-ci, les associations en rencontrent tous les jours… Pourtant, l’abandon d’un animal sur la voie publique est assimilé à un délit par l’article 521-1 du code pénal… Des recours ? Auprès de qui ? Quelles preuves tangibles apporter ? A qui s’adresser ? A une police débordée ? A des juges submergés de dossiers ? Les animaux représentent une quantité négligeable. Il y a d’autres priorités, nous dira-t-on…

Quant aux chiens… Ca n’est ni mieux ni pire, c’est autre chose. Les chiens sont nos compagnons. On peut en faire des esclaves. Rien de plus facile. Enfermés 24 heures sur 24 dans des lieux exigus et insalubres, sur des balcons, dans des box bétonnés (les chasseurs sont les grands spécialistes de ces « meutes » bouffées par la vermine, sous-alimentées), dans des voitures, dans des caves, chiens battus à mort par de pauvres types sadiques qui exercent à moindre frais la puissance qu’ils ne peuvent montrer ailleurs, chiens à l’attache toute leur vie, sans que l’on daigne même jeter le moindre regard sur eux, élevages-usines où les reproductrices sont maintenues toute leur courte vie dans des box étroits, et font portée sur portée, jusqu’à l’exécution finale, lorsqu’elles ne sont plus assez prolifiques… Là aussi, les exemples se multiplient, on dirait même que ce genre de situations sordides a tendance à augmenter avec le degré de frustration d’une société humaine donnée. Lorsque l’on connaît les chiens, lorsque l’on sait à quel point ils sont demandeurs de relations avec l’homme, on mesure les souffrances endurées…

On pourrait multiplier les exemples de comportements brutaux, violents, sadiques, que ce soit en secteur rural ou en zone urbaine. C’est quotidien. Souvent insupportable. Mais que faire ? Si ni la politique ni la justice ne consentent à s’en mêler ? Quant à l’indifférence, elle tue aussi. Mais il n’existe pas de loi contre l’indifférence. Et puis il y a toutes les maltraitances que l’on pourrait qualifier d’ordinaires. Le plus souvent générées par l’ignorance, le caprice, l’égoïsme, et qui, du point de vue strict de la loi, ne sont pas des maltraitances…

Enfin les fourrières, les refuges pleins à craquer où l’on pratique (ce n’est pas vrai pour tous), dans des conditions opaques, des « euthanasies » arbitraires et massives, seule façon que l’on semble connaître de lutter contre la surpopulation féline et canine.

De telles situations, contrairement à ce que croient les tenants de l’antagonisme animaux choyés/animaux mangés, sont beaucoup plus fréquentes qu’on ne veut le croire (contrairement aux animaux d’élevage, impossible ici d’obtenir des chiffres…). Pourtant la loi fixe des règles à la détention des animaux, aux régimes auxquels ils sont soumis, aux traitement qu’on leur réserve… Et ceux qui font appel à la loi se heurtent aux écueils suivants.

  • Difficulté à prendre les maltraitants en flagrant délit…
  • Difficulté à apporter la preuve qu’il n’y avait pas « nécessité » à tuer un animal…
  • Difficulté à convaincre les forces de l’ordre de se déplacer pour constater les faits…
  • Difficulté à convaincre la justice de l’urgence des situations et aussi de la nécessité d’enlever des animaux à leurs tortionnaires…
  • Difficulté à convaincre, tout simplement, qu’un animal ne doit pas subir certaines choses. En ne s’imposant pas, la loi au lieu de mettre un frein au laxisme, ne fait que l’encourager. En ce qui concerne notre relation avec les animaux, les mœurs sont à la traîne. On fonctionne encore sur des codes entachés d’arriération, des croyances jamais remises en question. La loi, qui n’est pas très progressiste en la matière, ne peut pas lutter contre le déni, parce que rien ne permet de croire qu’elle en a assimilé la nécessité.

Enfin, il faut souligner que neuf fois sur dix, peut-être davantage, les plaintes concernant les maltraitances et actes de cruauté sur les animaux sont classées sans suite. On peut bien changer la loi, il est à craindre que cela ne suffise pas. C’est notre regard, le regard des sociétés entières sur les animaux, toutes espèces confondues, qui doit changer. En attendant ce jour qui n’arrivera peut-être jamais, il est tout de même nécessaire de durcir sensiblement la loi, de façon à ce qu’elle ne puisse en aucun cas être contournée. De veiller à son application sans faille. De créer pour cela, au niveau du judicaire par exemple, des services spécialisés et – certains juristes en expriment ardemment le souhait – de créer un code particulier à la condition animale. Et surtout de donner aux associations qui s’en montreraient dignes quelques rudiments de pouvoir sur le terrain, car elles n’en ont aucun. Et elles en ont assez d’attendre le bon vouloir des uns et des autres, pendant que les animaux qu’elles sont censées défendre souffrent et meurent sans que personne ne lève le petit doigt.

Alors, le droit ? Il doit changer, évoluer. Mais la justice, la simple justice, qui part d’un principe simple, « ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrais pas que l’on te fasse », voilà ce qu’il nous faut exiger.

Josée Barnérias

[1] Le fait, publiquement ou non, d’exercer des sévices graves, ou de nature sexuelle, ou de commettre un acte de cruauté envers un animal domestique, ou apprivoisé, ou tenu en captivité, est puni de deux ans d’emprisonnement et de 30.000 euros d’amende… Est également puni des mêmes peines l’abandon d’un animal domestique, ou apprivoisé, ou tenu en captivité à l’exception des animaux destinés au repeuplement.

[2] Le fait par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou les règlements, d’occasionner la mort ou la blessure d’un animal domestique ou apprivoisé ou tenu en captivité est puni de l’amende prévue pour les contraventions de la 3e classe.

En cas de condamnation du propriétaire de l’animal ou si le propriétaire est inconnu, le tribunal peut décider de remettre l’animal à une œuvre de protection animale reconnue d’utilité publique ou déclarée, laquelle pourra librement en disposer.

[3] Hors le cas prévu par l’article 521-1, le fait, sans nécessité, publiquement ou non, d’exercer volontairement des mauvais traitements envers un animal domestique ou apprivoisé ou tenu en captivité est puni de l’amende prévue pour les contraventions de la 4e classe

[4] Le fait sans nécessité, publiquement ou non, de donner volontairement la mort à un animal domestique ou apprivoisé ou tenu en captivité est  puni de l’amende prévue pour les contraventions de le 5e classe.