On le savait : tous les agriculteurs ne sont pas vraiment des parangons de délicatesse. D’ailleurs qui dit « agriculteur » dit le plus souvent éleveur, c’est-à-dire exploiteur d’animaux. Même si l’on essaie de leur faire avaler la couleuvre du « bien-être animal » – une coquille vide mais qui a le mérite de redorer le blason d’un élevage dont les méthodes laissent souvent à désirer – ils n’en pensent pas moins. Et si l’on doutait de la capacité de certains agriculteurs/éleveurs à se conduire comme des brutes, les derniers événements liés à leurs manifestations revendicatives, un peu partout en France, devraient nous débarrasser définitivement de nos atermoiements. Quelques vidéos circulent actuellement sur la Toile – l’une d’elle, sur You Tube, a disparu du circuit, allez savoir pourquoi… – qui donnent du monde paysan une image assez éloignée des clichés bucoliques véhiculés par ceux qui n’ont jamais connu de nos belles campagnes que les plaquettes publiées par les collectivités territoriales.

Des candidats à l’humanité, dont il est permis de douter qu’ils réussissent jamais l’examen, sont filmés en train de s’en prendre violemment à de pauvres ragondins effarés qu’ils ont apportés sur place dans des chariots de supermarché et jetés devant la préfecture de Nantes (photo de « une » Télé Nantes). Voir vidéos ici et ici. La raison de cet acharnement est donnée par un exercice de rhétorique implacable dont ces gens-là, outre le fait qu’ils possèdent un vigoureux sens de la symbolique, ont le secret : la ministre de l’Environnement est une nuisible, nous voulons la neutraliser, le ragondin aussi est un nuisible (*), donc, puisque nous ne pouvons pas nous venger sur la ministre, nous nous vengeons sur les ragondins. Voilà qui est envoyé ! L’apologie du piégeage, pratique ignoble s’il en est, et des sévices de toutes sortes sur les animaux trouve ici une tribune de rêve. Tous ceux qui se taisent, qui s’abstiennent de dénoncer ce genre de pratiques sont complices de cette sauvagerie, de cette arriération incurable.

Sans doute la vie de certains agriculteurs est-elle difficile. Sans doute dans cette catégorie socioprofessionnelle, le taux des suicides bat-il des records. Sans doute ne leur a-t-on pas dit que l’élevage menait inexorablement à une impasse et qu’il valait mieux ne pas tenter le coup… Sans doute. Mais la situation sera-t-elle meilleure lorsqu’on aura torturé quelques bestioles qui n’y sont pour rien ? Nous ne pouvons tolérer, en tant que citoyens engagés dans la lutte pour les droits des animaux, que ce genre de comportement reste impuni. A l’heure où un jeune manifestant se fait tuer pour avoir seulement rêvé d’un monde plus harmonieux, il est insupportable de penser que la brutalité, la stupidité crasse puissent avoir force de loi. Nous demandons que ces arriérés, dont ce qu’il leur reste d’intelligence semble peiner à se frayer un passage jusqu’à la conscience, et dont la prétendue détermination est assimilable à une capacité de détruire ce qui ne peut leur résister, à savoir le matériel et les animaux, soient punis de façon exemplaire.

Bravo à celui qui a recueilli leurs propos débiles, bravo à celui qui a filmé la scène. Bien d’autres auraient pu ne pas faire preuve de la même placidité, et posant là leur matériel, n’auraient pu réfréner leur envie de leur mettre un poing vengeur sur la gueule. Voire plus si affinités. Nous aurions été privés d’un témoignage du plus haut intérêt. Car il s’agit là, tout de même, d’un épisode d’anthologie. Nous en avons assez de ces humanossoïdes qui s’expriment au travers de la chasse, de l’élevage, de tout ce qui a pour socle l’exploitation des bêtes. Tout cela véhicule une idéologie de la force « virile » que l’on retrouve dans les arènes, dans les caves de banlieues où s’entretuent de pauvres chiens, porteurs des fantasmes de puissance de voyous pervers et malsains, dans les battues menées dans nos belles campagnes par des hommes en tenue de camouflage (et gilet orange !) et armes d’assaut… Quand la testostérone signe un pacte avec la connerie, il y a intérêt à se planquer !

Et, pendant ce temps, un militant pacifique anticorrida se retrouve assigné au tribunal pour « organisation d’une manifestation sans déclaration préalable ; entrave à la circulation ; entrave à la liberté du travail avec menaces ; violation d’un arrêté municipal » et enfin, cerise sur le gâteau, « utilisation d’un mégaphone » ! Ne riez pas, ce n’est pas drôle. Jean-Pierre Garrigues, président du CRAC Europe, est convoqué par le Tribunal de grande instance pour des faits ayant eu lieu à Maubourguet (Hautes-Pyrénées), en août dernier, lors d’une manifestation destinée à empêcher le déroulement d’une corrida (c’est mal, ça ?) et où les seuls blessés se trouvaient dans les rangs des manifestants. Qui ont bien entendu déposé plainte. Sans effet jusqu’à ce jour. Il y a aussi eu des morts chez les quadrupèdes, mais eux, ils ne pouvaient plus déposer de plainte… Les ragondins ne sont peut-être ni pire ni meilleurs que la moyenne des habitants de cette planète, mais au moins, eux, ils n’emmerdent personne, ne projettent pas du lisier sur les murs des villes, ne saccagent pas les bâtiments publics (ils entament un peu les berges quelquefois, mais personne n’est parfait) et surtout ne sont pas méchants exprès. Peuvent même être très sympas, les ragondins. La preuve ici. Quant aux prétendus « nuisibles », ils ne sont pas forcément là où on les attend le plus…

Josée Barnérias

(*) Un détail a échappé aux ragondinophobes : leurs bêtes noires font partie des espèces protégées depuis juillet 2013. Et toc ! Ils vont vraiment se faire pourrir !