Le 11 novembre, jour de tous les défilés, était celui qu’avait choisi la filière équestre pour investir les rues de certaines villes de France. A Clermont-Ferrand, on a compté 750 personnes et 150 chevaux, chiffres rapportés par le quotidien régional La Montagne. Centres équestres et professionnels de la filière ainsi que cavaliers amateurs étaient ainsi venus protester contre la hausse annoncée de la TVA sur tout ce qui concerne les loisirs équestres. Pour mémoire, la TVA avait été fixée en 2004 à 5,5 %, puis rehaussée à 7 % après une condamnation de l’Europe. La même UE demande aujourd’hui que la taxe soit portée à 20 % au 1erjanvier 2014, et cela pour tout ce qui concerne les loisirs équestres. Ce à quoi s’apprêterait à souscrire le gouvernement français. 

Il y a conquête et conquête

Le cheval serait, dit-on, la plus noble conquête de l’homme. Le mot  « conquête » participe de deux registres : celui de l’amour et celui de la guerre. On se dit « conquis » par quelqu’un ou quelqu’une, mais on conquiert également des territoires, des pays, le plus souvent par la force. La relation de l’homme au cheval participe bien de cette ambivalence. D’un côté, Ourasi ou Crin-Blanc, qui attirent soit l’admiration soit la compassion, ou les deux ensemble, de l’autre, la pauvre bête épuisée et anonyme, tombant sous les coups, se tuant à la tâche (voir les chevaux de la mine). Quel que soit leur sort, quels que soit l’adulation, le mépris ou la brutalité des hommes à leur égard, les chevaux sortent rarement indemnes de leur confrontation avec la gent humaine, basée le plus souvent sur la contrainte, la violence, et l’exploitation… Ceci est valable pour tous les représentants de l’espèce équine : ânes, poneys, mulets…

Les manifestations équestres du 11 novembre, bien qu’elles fissent parfois une allusion non voilée au sort qui attendait probablement les animaux (l’abattage) s’il se trouvait que le chiffre d’affaires des professionnels fût en chute libre pour cause de taxes trop lourdes, étaient essentiellement corporatistes et anthropocentristes. A aucun moment, il ne s’y est agi des chevaux eux-mêmes. A aucun moment, on n’a vu fleurir des slogans contre l’hippophagie (à ce sujet, on peut aller sur le site de la Fondation Brigitte Bardot), pourtant qu’est-ce qui pourrait mieux sauver les chevaux de l’abattoir que d’interdire de consommer leur chair ?

Le cheval est encore officiellement, juridiquement, un animal de rente, bien que, pour le protéger, certaines associations demandent pour lui un statut d’animal domestique, voire d’animal de compagnie. Nous n’en sommes pas là. En France, environ 20.000 chevaux partent chaque année à l’abattoir. On ne compte plus les équidés oubliés dans les prés, sans eau ni nourriture, dans l’indifférence générale, parce que leur propriétaire « n’assume » plus… Ceux qui manifestaient, lundi, sont souvent les mêmes que ceux qui se débarrassent d’un animal trop vieux ou trop affaibli, qui a passé les plus belles années de sa vie à trimbaler sur son dos des cavaliers occasionnels, inexpérimentés, à subir leur ignorance, leur maladresse, parfois leur brutalité. Que pourrait faire un centre équestre d’un cheval qui ne rapporte plus rien ? On ne nourrit pas les bouches inutiles. On le fera à contrec?ur mais on le fera quand même : un jour, le camion viendra chercher l’animal « réformé » et ce sera l’horreur de l’abattoir.

Aux chevaux des courses hippiques, on ne réserve pas un sort plus enviable, loin s’en faut. Soit c’est la chute, la blessure et la mort immédiate, soit c’est l’abattoir pour le « tocard » soit c’est le reclassement dans les chasses à courre, extrêmement pénibles pour un cheval qui s’y brise rapidement. Dans n’importe quel cas de figure, la mort infligée est au bout.

Quant aux élevages de chevaux lourds, ce sont essentiellement des élevages de chevaux « à viande ». A peine sortis de l’enfance, les poulains passent sous le couteau.

Bien plus que de la TVA à 20 %, c’est des chevaux eux-mêmes qu’il faudrait s’inquiéter. Les apprentis cavaliers, enfants et adolescents qui au départ ressentent de la tendresse pour ces immenses bêtes au regard si doux, savent-ils comment l’on traite leurs protégés ? Peu importe, d’ailleurs, puisque très vite, on leur apprendra à rentrer dans le rang, à refouler leur trop-plein d’empathie et à user de la cravache. Car qui dit loisir équestre dit le plus souvent compétition.

Les chevaux, nobles ou pas, sont des esclaves comme les autres. S’il existe parmi eux quelques privilégiés (ces fameuses exceptions qui ne manquent pas de confirmer les règles), choyés par leur propriétaire ou pris en charge par une association ? une infime minorité – les autres connaissent une qualité d’existence médiocre et une fin terrible.

Parmi les manifestants, le lundi 11 novembre, pas plus sans doute à Clermont-Ferrand qu’ailleurs, on ne repérait d’association de protection des animaux. C’est que le mot « cheval » n’a pas le même sens pour les uns et pour les autres.

Aurait-on pu mobiliser 750 personnes ce jour-là dans les rues de Clermont-Ferrand pour demander l’interdiction de l’hippophagie ? On connaît la réponse…

                                                                                    Josée Barnérias