Josée Barnérias

 

Un cadeau de Noël ? Le 21 décembre 2020, le ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation a présenté un Plan d’actions pour lutter contre l’abandon des animaux de compagnie. Lutter contre l’abandon, c’est déjà ça. Mais tout de même, il faut considérer le poids et la consistance de l’annonce avant de se prononcer sur la valeur du cadeau…

Les identifiés et tous les autres

L’abandon des animaux de compagnie est un fléau. Pas de doute là-dessus. De nombreuses associations font depuis longtemps campagne pour tenter d’y mettre fin. L’abandon est à l’origine d’innombrables situations de détresse, et d’une hécatombe (sans que l’on puisse la chiffrer) dans les refuges et les fourrières. Il ne constitue cependant pas le seul malheur qui frappe les animaux familiers. Mais ceci est une autre histoire…

En tout cas, le plan gouvernemental est bien orchestré. On sent la patte du technocrate qui a planché sur le problème. Qui sait jusqu’où il ne peut pas aller. Au préalable, une constatation « bateau » : la France est le théâtre de 100.000 abandons par an. Environ. Le chiffre a le mérite d’être rond comme une baballe et d’être mémorisé facilement. Voilà pourquoi on nous le ressort depuis des années, sans en avoir vérifié la pertinence. Il ne repose en effet sur aucune étude sérieuse. Rien de ce qui concerne les flux des animaux dits « de compagnie » ne s’appuie sur des constatations chiffrées. Les porcs, les bovins et autres malheureuses bêtes d’abattoir, on sait. C’est de l’économie, de la rente. De leur vie à leur mort précoce ils sont répertoriés, suivis, pesés. Mais les chiens, les chats et autres « gadgets », on ne sait pas… Les seules données fiables que l’on possède, c’est le nombre d’animaux identifiés (*). Les autres, très nombreux, les clandestins, n’existant simplement pas dans les statistiques.

Abandon : mode d’emploi

Que recouvre le mot « abandon » pour les animaux dits « de compagnie » ? C’est le fait, après avoir introduit dans son foyer et dans sa vie un animal, de s’en débarrasser, après un laps de temps plus ou moins long, de n’importe quelle façon et sous n’importe quel prétexte. Il y a plusieurs sortes d’abandon. Plusieurs styles. L’abandon « par inadvertance » d’un animal, le plus souvent un chat, non identifié, que l’on « oublie » sur place lors du déménagement sous prétexte que les chats n’aiment pas changer de lieu, ou que le chat par nature serait « indépendant », ou bien encore l’abandon sauvage : l’animal lambda devenu encombrant que l’on éloigne le plus possible de chez soi et que l’on dépose au hasard dans un bois, dans un jardin inconnu, sur une aire de repos… Ce genre de discrètes lâchetés, les associations de terrain en mesurent chaque jour les ravages.

Il y a aussi l’abandon « officiel » ou réglementaire : le chien ou le chat déposé dans un refuge ou confié à une association moyennant une signature au bas d’un document et une somme forfaitaire qui de toute façon ne comblera jamais les frais induits par l’accueil d’un animal supplémentaire. On peut repartir tranquille, on ne sera pas inquiété. On est fin prêt pour reprendre un animal tout neuf.

Bien entendu, l’abandon qui ne laisse pas d’adresse n’est possible que lorsque l’animal n’est pas identifié, ou bien, s’il l’est, lorsque l’on a pris soin de brouiller les pistes. En cas de changement de domicile et de numéro de téléphone, la puce ne servira plus à rien si les modifications n’ont pas été signalées au service concerné – l’I-CAD – et on ne préviendra pas Interpol pour si peu. L’abandonneur peut être assuré d’une totale impunité.

Les furets, carnivores domestiques, sont concernés de la même manière, mais comme ils sont assez peu nombreux, ils ne font pas beaucoup parler d’eux.

Quant aux NAC, rongeurs & Cie, ils ne comptent simplement pas. Ce sont des hochets, des jouets pour les gosses ou des caprices d’adultes. Ils peuvent être achetés, donnés, jetés dans la plus totale indifférence et la plus cynique des impunités.

Dans tous les cas, pour engager des poursuites contre un abandonneur, il faut commencer par le localiser. Et souvent, ce n’est pas possible.

Sensibiliser, mais encore…

Il semble difficile d’agir en amont contre l’abandon, on devra donc imaginer d’autres stratégies. Le ministère a bien compris cela, puisque le premier volet du plan d’actions, intitulé « Sensibiliser », prévoit la mise en place d’un « certificat de sensibilisation » qui devra être présenté lors de toute adoption ou acquisition. Fort bien. On peut toutefois faire remarquer que ce genre de document existe déjà sous différentes formes au niveau des refuges et autres associations de protection animale. Quant au fait d’en étendre l’utilisation aux éleveurs et autres marchands d’animaux, il n’est guère significatif. Après tout, il ne s’agit que d’une paperasse supplémentaire que l’on présentera comme une formalité. Qui n’engage donc à rien.

Trois autres mesures viennent compléter ce premier volet : interdire la vente de chiens et de chats dans des véhicules ambulants (?), engager les plateformes internet dans l’encadrement des ventes en ligne, et sensibiliser les enfants dans le cadre scolaire…

Les bras nous en tombent : est-il si fréquent d’assister à des marchandages de chiens et de chats depuis des « véhicules ambulants » que l’on doive les interdire ? Au-delà du pléonasme, car le propre d’un véhicule est d’être « ambulant », on notera tout de même l’inanité de la mesure…

Quant à l’engagement des plateformes internet, on attend encore de savoir dans quelle mesure il sera efficace. Pour qu’il le soit, encore faudrait-il que quelques sanctions soient prévues en cas de non-respect. A-t-on vu souvent des sites marchands devenir vertueux sans y être contraints ? Et quid des animaux qui ne ressortent pas des ventes en ligne, mais de cessions à titre gratuit ? On oublie ?

Du concret

Le premier volet du plan laisse songeur. Tout au plus peut-on retenir l’effort de sensibilisation demandé au niveau scolaire. Là, il s’agit de compter sur la bonne volonté des enseignants. Ce n’est pas gagné.

Avec le second volet, on passe aux choses sérieuses. Il semble engager des actions plus concrètes : aides diverses accordées aux associations et refuges, aide au financement de campagnes de stérilisation pour les chats libres, aides accordées aux plus démunis pour l’accès aux soins vétérinaires et, enfin, création d’un observatoire de la protection des carnivores domestiques (chiens, chats, furets). Rien à redire à ce programme. L’avenir nous dira ce qu’il en ressortira et surtout quels moyens y seront dévolus.

Enfin, le troisième volet a pour titre « Sanctionner ». Que les gardes-champêtres, les policiers municipaux aient la possibilité d’exercer des contrôles à l’identification, ce qui n’entrait pas jusqu’alors dans leurs attributions, c’est très bien. Mais un peu court. Par ailleurs, demander le renforcement de sanctions qui, de toute façon, ne sont jamais appliquées dans leur forme actuelle, ne servira à rien. Le code pénal prévoit deux ans d’emprisonnement et 30.000 euros d’amende pour les actes de cruauté et les sévices. A notre connaissance, ces peines n’ont quasiment jamais été appliquées. Le seront-elles davantage si de deux ans, on passe à trois, et de 30.000 euros à 45.000 ? C’est peu probable. Sanctionner les maltraitances ordinaires, ce serait déjà un début. Mais on en est encore loin…

Ce qui ne changera pas

Les optimistes, les crédules, ceux qui préfèrent voir le verre au quart plein plutôt qu’aux trois-quarts vide se réjouiront de ces mesures. Nous, qui ne sommes guère enclins à croire au Père Noël, nous en retiendrons surtout ce qu’elles ne changeront pas. Le commerce des animaux dits « de compagnie » continuera comme avant, sur internet, dans les animaleries, dans les élevages-usines ou ailleurs. Les chats anonymes, affublés de maîtres du genre têtes à claques irresponsables, continueront à se reproduire discrètement et à tenter, souvent sans succès, de survivre. Les maltraitants continueront à maltraiter sans être davantage inquiétés, puisque les associations n’ont toujours aucun droit d’intervention et souvent ne sont même pas prises au sérieux par les autorités. Toutes ces failles sont autant de portes ouvertes sur l’abandon. Peut-on s’attendre à davantage d’identifications ? Peut-être, mais c’est de toute façon la tendance depuis quelques années…

Reste à espérer que les aides promises seront bien accordées. En des périodes où les caisses de l’Etat se vident comme une gamelle percée, peut-on sérieusement croire que des fonds conséquents seront dévolus à des dépenses dont les animaux devraient à terme bénéficier ?

On ne peut pas dire que tout soit à jeter. On ne peut pas prétendre qu’il ne s’agit que d’une tentative d’enfumage de plus (encore que…). Que ces mesures ont la consistance du vent et qu’elles en auront aussi la stabilité… Mais restons vigilants. Ne perdons pas de vue ce qui devrait être fait et ne l’est pas. Une autre fois, on en dressera la liste. En attendant, restons concentrés sur le verre aux trois-quarts vide…

(*) Rappelons que l’identification est obligatoire pour tous les carnivores domestiques : les chiens avant l’âge de quatre mois depuis 1999 et les chats avant l’âge de sept mois depuis le 1er janvier 2012. Elle est également obligatoire pour les furets.