Clafoutis (3 avril 2009 – 24 décembre 2024)

Il est arrivé avec son totem : un chat assis, en bois, de près d’un mètre de haut, et qui pesait une tonne ! Il est reparti sans lui.
C’est au cours du printemps 2019 que Didou a été déposé chez moi. Un homme d’une soixantaine d’années m’avait appelée : il cherchait une association pour accueillir son chat, 10 ans. Le Monsieur devait partir vivre à l’étranger et ne pouvait emmener le pauvre matou. Je n’ai pas eu le cœur de refuser, me disant qu’ici, les animaux avaient l’air heureux et qu’il finirait par s’habituer. Le Monsieur est arrivée avec Didou, un grand chat effaré et obèse, le totem et une grosse boîte de ses sachets préférés. Il m’a expliqué que le totem lui servait à se faire les griffes.
Didou, parce que je l’avais accueilli au temps des cerises, est devenu Clafoutis. C’était un gros matou timide, qui n’appréciait pas vraiment la fréquentation des autres chats, mais qui n’était pas agressif et menait sa petite vie sans embêter personne. Il adorait manger, on peut dire même que c’était sa passion. Les croquettes mise à sa disposition n’emportaient pas vraiment son adhésion. Il préférait la pâtée que je lui servais. Plusieurs fois au cours de la journée, il se postait sur le meuble qu’il avait choisi pour y prendre ses repas et me regardait avec insistance. Bien entendu, je m’exécutais.
Difficile de savoir ce qui se passait dans sa grosse tête léonine. Peut-être regrettait-il sa vie d’avant… Il ne montrait en tout cas aucun véritable mal-être, même si, à une certaine époque, il s’était mis à perdre ses poils abondamment. J’ai fait un peu plus attention à lui et ses poils ont repoussé.
Au début de l’été 2024, j’ai remarqué qu’il boitait un peu, j’ai pensé qu’il pouvait souffrir d’arthrose. Je l’avais emmené quelques semaines plus tôt – il venait d’avoir quinze ans – chez la vétérinaire pour une visite de contrôle. Il avait des analyses, me dit-elle, de « jeune homme ». Mais j’ai remarqué aussi qu’une de ses pattes avant avait enflé. J’ai donc ramené Clafoutis chez la praticienne qui, cette fois, me conseilla de lui faire passer un scanner. C’était mauvais signe. Les résultats en effet ont montré une tumeur maligne qui, si on la laissait en l’état, allait sûrement se développer dangereusement. Il fallait amputer.
Clafoutis a perdu sa patte avant droite le 5 juillet 2024. Lorsque je l’ai ramené à la maison, il semblait ne pas savoir qu’il lui manquait un membre. C’était un peu triste de le voir essayer de sauter sur son meuble-repas. Il ne comprenait pas pourquoi, soudain, c’était si difficile. Et puis peu à peu, il s’est aperçu de ce qu’il lui arrivait. Il s’est résigné. Désormais il mangeait par terre. Il fallait monter la garde pour que les chiens n’aillent pas lui boulotter son repas. Il a pris très vite ses nouvelles habitudes. Il allait bien. Je pensais qu’il pouvait encore vivre quelques années, heureux. Il aimait tant aller s’allonger au soleil, dehors, si la température le permettait, ou alors dans la flaque lumineuse laissée par un rayon entré par la porte-fenêtre.

Le jour où je l’ai emmené pour l’opération, je me suis aperçue que Clafoutis, alors qu’il affichait souvent une superbe indifférence, m’était très attaché, qu’il me faisait totalement confiance. Il n’était pas très démonstratif, mais j’ai perçu dans son regard ce message que seuls les animaux, parce qu’ils ne peuvent parler sans doute, nous envoient : cette affection sans limites, cette reconnaissance, cet amour entier, sans fioritures qui nous emplit tout à coup d’humilité, parce qu’on se demande alors si on mérite vraiment cela.
Et puis, quelques jours avant Noël, il a perdu l’appétit. Je l’ai rapidement conduit chez le vétérinaire. La prise de sang s’est avérée sans appel. L’urée atteignait des seuils mortels. Fallait-il l’hospitaliser, lui imposer une cage, tout seul, avec un cathéter planté dans son unique patte avant, sachant, bien sûr, que cela ne ferait que retarder l’échéance ? Après en avoir débattu avec la vétérinaire, j’ai préféré le rapatrier dans sa maison. Plusieurs fois par jour, je lui faisais des grosses injections sous-cutanées de chlorure de sodium pour éviter la déshydratation et la souffrance. Il acceptait tout cela sans broncher. J’essayais de rester le plus possible auprès de lui. Le 24 au soir, il est tombé dans une sorte de coma. Et puis il est mort. On était tout seuls. Il était 20 heures, je n’attendais plus le Père Noël. Clafoutis allait sur ses seize ans.
Le totem solitaire a passé l’hiver sur la terrasse. Peut-être qu’un autre de mes chats ira de temps en temps lui rendre visite.