Rapport moral, AG de La Griffe, le 6/04/2025

Cette année, La Griffe aura quinze ans. En dépit des épreuves, des obstacles qui n’ont pas manqué de jalonner le chemin, nous avons tenu bon. Nous avons réussi, péniblement, il est vrai, à faire passer quelques messages, et aussi à sauver plusieurs centaines d’animaux dont la vie n’aurait pas valu très cher si nous n’étions pas intervenus.

Des personnes de bonne volonté ont constitué le noyau dur de l’association, elles ont été plus ou moins nombreuses selon les périodes. Certaines sont encore là, d’autres sont venues puis reparties, happées par d’autres impératifs, d’autres histoires. Mais toutes ont aidé à construire ce fragile édifice qu’est une association en gardant toujours en ligne de mire le combat que nous menions pour que la vie animale soit considérée, pour que les animaux accèdent à des droits fondamentaux, et pour que soient dénoncés les traitements odieux, cruels et inhumains qui leur sont, partout et tout le temps, infligés.

Bien sûr, à elle seule, La Griffe n’a pas beaucoup de poids. Depuis sa naissance, en 2010, beaucoup d’autres associations ont vu le jour (une vingtaine rien que dans le département du Puy-de-Dôme), chacune assumant une part de cette mission que nous partageons tous à différents degrés. Puissions-nous un jour comprendre qu’il n’y a qu’un seul combat et que nous en sommes tous les acteurs.

Une griffe est, chez certaines espèces animales, un appendice indispensable, pour saisir, s’agripper, attaquer ou se défendre. Mais une griffe est également une signature, un paraphe, un sceau. Tout cela, nous le revendiquons.

Nous avons voulu que La Griffe soit différente. C’était un pari difficile. Bien sûr, nous avons consacré la plus grande partie de nos activités aux animaux dits de compagnie parce qu’ils sont les plus proches de nous et que cette proximité les désigne immédiatement comme cibles et aussi comme évidentes victimes. Mais nous n’en avons pas pour autant oublié tous les autres : animaux d’élevage, animaux sauvages, apprivoisés ou pas, captifs ou pas.

Nous avons notamment apporté notre voix à la lutte contre la chasse et le piégeage. Nous faisons partie de l’AOC, Alliance des opposants à la chasse. Nous avons récemment proposé notre participation au Collectif renard 63 mis sur pied par l’association Panse-bêtes et dans lequel se rejoignent déjà plusieurs associations.

Nous espérons pouvoir agir pour que le renard roux cesse d’être persécuté.

Nous avons été souvent du combat contre la corrida. Nous sommes adhérents de la Fédération des luttes pour l’abolition de la corrida (FLAC).

Les cirques avec animaux, de plus en plus souvent bannis des communes, posent problème. Les circassiens ne sont pas tous des brutes. S’il est légitime – et eux-mêmes souvent le reconnaissent – que les animaux issus d’espèces sauvages n’aient pas leur place dans des camions, sous un chapiteau, arrive le moment où il faut leur trouver des alternatives. Or, les sanctuaires prêts à les accueillir, en France et en Europe, sont en nombre insuffisant. Les animaux risquent d’être envoyés dans des lieux où leur situation, loin de s’améliorer, sera bien pire (zoos de Chine, du Japon ou d’ailleurs). On en a un douloureux exemple avec la fermeture du Marineland d’Antibes. Environ 4,000 animaux aquatiques, des mammifères marins dont deux orques sont en voie de rester sur le carreau. Accepterons-nous cela ? La loi contre la maltraitance animale adoptée en 2021 a prévu l’interdiction des spectacles d’ici 2028 pour les cirques (120 en France) alors que dès 2026 il n’y aura plus de spectacles d’orques ni d’aucun autre mammifère marin. Le cas des animaux de Marineland est très préoccupant. Quant aux animaux de cirque, les félins en particulier, à notre connaissance rien n’a été prévu pour les accueillir tous. Beaucoup aujourd’hui sont menacés d’euthanasie. Est-ce cela que l’on voulait ?

Tout le monde a applaudi lorsque la loi a été votée le 30 novembre 2021, après avoir été édulcorée et vidée en grande partie de son contenu initial, sans voir (ou vouloir voir) qu’il ne s’agissait que d’une manœuvre politique. On s’est réjoui trop vite. Désormais on prend la mesure du désastre, mais c’est un peu tard.

Et si nous avons souvent – tout le temps, en réalité – été sur le terrain, confrontés pour de vrai à la détresse, à la souffrance, à la mort des bêtes, nous avons aussi eu l’ambition de collecter des informations, de porter une parole par l’intermédiaire de réunions, de conférences, de manifestations de diverse nature.

Hélas, aujourd’hui, le filon de l’information s’est un peu tari. Les grandes associations, les ONG, parviennent à faire passer quelques messages dans la mesure où les médias consentent à les relayer, en revanche les associations de moindre importance, comme La Griffe, ne pèsent pas très lourd dans le paysage médiatique. Les réseaux sociaux ont pris le relais, mais ils fonctionnent en circuit fermé. Les grandes familles d’opinion se regroupent et restent désespérément étanches. Sans le soutien des instances officielles, des politiques, des médias, la cause animale n’avance pas. Il n’est plus question d’aller se planter sur une place publique avec des pancartes et autres calicots, tout le monde s’en fiche. On parviendra peut-être à attirer l’attention de quelques passants, qui nous auront vite oubliés. Ces actions auront mobilisé plusieurs volontaires, qui auront donné plusieurs heures d’un temps qui désormais devient de plus en plus précieux. Et n’auront pas servi à grand-chose. Nous n’avons plus les moyens ni le temps de nous livrer à ce genre d’exercice. Nous n’avons plus suffisamment de bénévoles autour de nous.

D’indéniables progrès ont pourtant été réalisés. La cause animale a fait son entrée dans les urnes, avec le Parti animaliste qui s’est courageusement lancé dans la bataille, pour des résultats décevants. En France, quelques lois, qui n’ont pas un grand effet mais ont au moins le mérite d’exister, ont été promulguées. Le droit s’est emparé du sujet et l’on enseigne le droit animalier dans certaines universités. Le regard sur les animaux est sans doute en train de changer dans une certaine fraction du public, mais nous n’en percevons guère les bénéfices. Si c’était le cas, nous ne serions pas chaque jour confrontés à des situations qui nous désespèrent et contre lesquelles nous ne sommes pas suffisamment armés.

Il est temps pour La Griffe de se poser la question de l’avenir.

Pourrons-nous continuer à intervenir sur le terrain pour recueillir des animaux en grand danger, sachant que nous n’avons d’autre choix que de les héberger, pour beaucoup d’entre eux, à vie : vieux chats ou vieux chiens abandonnés par leur maître volontairement ou pas (décès, hospitalisation, départ en EHPAD ou tout autre lieu d’incarcération, sans même parler des « allergies », des désastres de la vie, ou simplement des caprices), petits animaux de compagnie tels que rongeurs, oiseaux, quelquefois même poissons ? Dans ce genre de situation, nous avons « fait le job », autant que nous le pouvions, de même que nous avons recueilli dans la rue de pauvres chats en errance, qui auraient été implacablement éliminés parce que pas assez dociles, trop vieux, malades, etc. Ceci est interdit. La loi stipule que tout animal trouvé sur la voie publique doit être conduit dans une fourrière. Nous le savons, et nous n’en avons cure, parce que ce que nous faisons est légitime et qu’aucune alternative ne nous est offerte. Les refuges ne gardent pas ce genre d’animaux et, de toute façon, ils affichent en permanence complet.

Si nous avons renoncé à ce genre d’intervention, ce n’est pas pour nous soumettre à des règles qui, nous en avons la certitude, sont totalement injustes, mais parce que nous n’avons nulle place où héberger ces animaux. Chaque mois, nous payons une pension pour deux, maintenant trois, de nos chiens. Nous avons hébergé et hébergeons encore dans nos domiciles respectifs des chiens ou des chats, voire des rongeurs divers, et même deux caprins , que l’on nous avait confiés pour des raisons variées (le plus souvent à la suite de défaillance du propriétaire). Nous avons ainsi pris en charge quelques dizaines de chats qui sont répartis chez des membres actifs de La Griffe. Nous en plaçons chaque fois que cela est possible. Mais les adoptants font du « jeunisme » : ils préfèrent les chiots ou les chatons pour des raisons qui nous paraissent parfois fantaisistes. Or, la plupart de nos animaux sont vieux ou malades, ou encore peu enclins à se montrer sociables. Lorsqu’ils partent, nous avons décidé de ne pas les remplacer. Nous ne le pouvons pas, pour des raisons matérielles, mais aussi parce que ce genre d’activité est menacé par des mesures qui, sous couvert de précautions d’ordre sanitaire, tendent à réglementer de façon drastique toute initiative qui ne serait pas chapeautée par l’administration. Les conséquences ne vont pas tarder à apparaître et elles auront pour victimes les animaux eux-mêmes.

Toutes les associations sont-elles conscientes du danger ? Il semblerait bien que non, mais cela est une autre histoire.

Quant à nous, nous voyons se profiler des jours, des années difficiles. Les animaux sauvages sont de plus en plus traqués, ici comme ailleurs, par la chasse ou le braconnage (voir les massacres commis sur les sangliers, l’ignoble survivance de la chasse à courre…). Les grands prédateurs sont en voie de disparition. Ici, en France, et en Europe, les loups sont gravement menacés, on mène la vie dure aux lynx et autres chats sauvages, quant aux sangliers, ils sont massacrés par centaines de milliers. Les animaux d’élevage, en dépit des ahurissantes révélations sur les conditions de leur vie et de leur mort que nous devons à la courageuse association L214, ne voient pas leur sort s’améliorer de façon significative et chaque initiative s’accompagne de son revers.

Le bien-être animal est une imposture inventée pour que tout le monde soit content, le consommateur qui soulage sa conscience, et l’utilisateur d’animaux, que ces règles sur le BEA n’engagent pas à grand-chose au fond.

Enfin, les animaux de compagnie ne cessent d’être des victimes. Pour un seul animal heureux et bien traité, combien d’autres vivant dans des conditions dégradées, voire horribles ? Les chiens réduits au rang d’esclaves, les chats qui se reproduisent sans frein dans tous les espaces, urbains ou ruraux, où ils sont contraints de survivre, à tel point qu’ils sont aujourd’hui plusieurs millions en France, faméliques, malheureux, souffrant de mille maux. On voudrait nous imposer des normes alors que rien n’est fait pour endiguer la prolifération des animaux de compagnie livrés à des conditions de vie abjectes… Et il faudrait aussi évoquer tous ceux qui sont produits dans de véritables usines et vendus avec un certain bénéfice dans les animaleries et autres jardineries : petits rongeurs, poissons, reptiles, oiseaux, etc.

Les réseaux sociaux sont une foire immonde où les tortionnaires d’animaux ont le beau rôle, jusqu’au jour où ils sont priés de cesser et traduits en justice. Mais les peines prévues ne sont jamais appliquées. Comment le seraient-elles ? On connaît la situation de la justice et celle des lieux d’incarcération… La première est débordée et manque de moyens, les seconds sont surpeuplés.

Non, rien ne change vraiment, ni pour les uns, ni pour les autres. C’est pour cette raison que, bon an mal an, La Griffe doit continuer à écrire en lettres de sang les traitements odieux infligés aux uns et aux autres avec la bénédiction d’une administration aveugle et les décisions de politiques dont la plus grande partie n’entendent rien à la chose animale ou alors savent et, par opportunisme, laissent le sujet tout au fond du placard. Tout le monde n’a pas le courage d’un Loïc Dombreval, même si ses initiatives ambitieuses n’ont pas donné lieu à des résultats très convaincants. L’entreprise n’était pas aisée.

Donc, La Griffe continuera à sauver chaque fois qu’elle le pourra, avec l’aide de celles et ceux qui lui font confiance, et à dénoncer avec vigueur, avec la rage que nous confère le refus des injustices flagrantes dont sont victimes les animaux, l’implacable mépris dont ils font l’objet.

La communauté des animaux humains est de plus en plus puissante et de plus en plus nombreuse. Les animaux non humains, eux, sont de plus en plus traqués, exploités, massacrés, réduits en esclavage.

Nous avons repris à notre compte le slogan désormais tristement célèbre « Black lives matter », la vie des Noirs compte, et nous l’avons transformé, ou « détourné ». Pour nous, « La vie des animaux compte » aussi.

Ne soyons pas dupes. Ne soyons pas crédules. Tout reste à faire. Et résistons du mieux que nous pouvons. Le combat pour la reconnaissance des animaux ne fait que commencer.

Josée Barnérias