En France, depuis les années 70, le nombre des animaux dits « de compagnie » n’a cessé d’augmenter, jusqu’à atteindre aujourd’hui le chiffre de 75 millions d’individus. Cela implique un marché – 5 milliards d’euros annuels – source de convoitise pour les professionnels, notamment dans le secteur de la médecine vétérinaire. Les cliniques, qui ont le vent en poupe, sont dans le viseur des grands groupes financiers qui les rachètent allègrement. Qui seront les vrais gagnants et la condition animale s’en trouvera-t-elle améliorée pour autant ?

BIANCA

Notre petite Bianca, une chatte « libre » d’une douzaine d’années, qui avait été stérilisée et identifiée par La Griffe avec une trentaine de ses congénères vivant sur un secteur champêtre entre Clermont-Ferrand et Beaumont, il y a environ dix ans, était hébergée pour ses vieux jours chez un bénévole. Mais la santé de Bianca s’est subitement dégradée. Nous n’en avons été informés que quelques jours plus tard. C’était le 7 mai au soir. Immédiatement, nous avons conduit Bianca dans la nouvelle clinique vétérinaire V2TU qui est censée remplacer l’ancien service de garde assuré à tour de rôle par les praticiens de Clermont-Ferrand et ses environs.
Bianca a été prise en charge après une heure d’attente. Au préalable, on nous avait fait savoir qu’une simple visite était facturée 125 €, payables de suite, et que nous ne pouvions régler qu’en espèces ou par carte bancaire. Quoi qu’il en fût, nous n’avions pas le choix. Nous avons eu toutes les explications concernant son état par la jeune vétérinaire qui nous a reçus. Elle nous a énuméré les examens divers que devrait subir la petite chatte ainsi que les traitements auxquels elle serait soumise. Cela sans garantie de la sauver, puisqu’elle aurait dû être suivie beaucoup plus tôt. Nous avons toutefois décidé de tenter le tout pour le tout.
Le lendemain vers 16 heures, nous avons dû revenir. L’état de Bianca s’était dégradé au point qu’une guérison semblait désormais inenvisageable. Nous avons dû prendre la décision de l’euthanasie. Nous l’avons bien sûr accompagnée. Elle s’est endormie paisiblement…
Ce passage à V2TU, le pôle urgence de la clinique Vétovalia, qui appartient au groupe Mon Véto, nous a été facturé, en comptant l’incinération de Bianca, près de 900 €. Nous n’imaginions pas possible qu’une telle somme fût exigée pour la seule prise en charge de ce petit animal, d’autant qu’elle s’est soldée par sa mort.
Alors, que s’est-il passé ?

LES ASSURANCES, UNE SOLUTION ?

Depuis quelques années , de grands groupes financiers ont flairé l’avantage qu’il y aurait pour eux de s’immiscer dans le marché des animaux de compagnie. C’est ainsi que des groupes comme Evidensia, Mon Véto, Anicura, Argos, Univet et d’autres ont fait main basse sur les cliniques vétérinaires qui ont pensé qu’il était de leur intérêt d’être rachetées par eux. La gestion administrative des cliniques devient en effet de plus en plus compliquée, de plus en plus lourde, et certains praticiens espèrent que cette solution les libérera de tels soucis. Les vétérinaires concernés se sont donc retrouvés salariés ou actionnaires, ou les deux, pendant que la gestion administrative était assurée par le groupe acquéreur. En 2024, 30 % des cliniques françaises avaient été rachetées (11 % seulement en 2022).
Le marché semble lucratif. En France, aujourd’hui, plus de 60 % des foyers possèdent au moins un animal, 30 % d’entre eux un chien, 39 % un chat. C’est une partie de ces animaux, plus quelques « Nac », que l’on retrouve dans les cabinets des vétérinaires.
De plus en plus de gens, pour qui leur animal est un membre de la famille, n’hésitent pas à le faire soigner lorsqu’il est malade. La médecine vétérinaire a fait un bond prodigieux, les spécialistes, ophtalmologues, oncologues, dermatologues, chirurgiens, etc., sont à la disposition des petits (ou gros) malades. Les soins sont appropriés et souvent débouchent soit sur une guérison, soit sur une rémission qui allonge de quelques mois, voire de quelques années la vie du patient.
Mais tout cela a un coût. On avait remarqué que les soins pour les animaux avaient tendance à revenir de plus en plus cher, parce que de plus en plus sophistiqués. Désormais, cela n’est pas, il s’en faut, à la portée de toutes les bourses.
De nombreux détenteurs d’animaux tablent sur le recours aux assurances. Lorsque l’on a plusieurs animaux, cela représente un budget assez exorbitant, et beaucoup de nos concitoyens ne peuvent y accéder. Alors, certains d’entre eux, qui sont attachés à leurs compagnons et craignent de le perdre, appellent les associations à leur secours. Combien de fois La Griffe est-elle intervenue, au risque de nous saborder si nous n’avions pas pu payer les factures ?
Désormais nous ne pouvons plus trop nous livrer à ce genre d’assistance, nous avons nous-mêmes trop d’animaux malades ou vieillissants qui ont besoin de soins incessants. D’où notre angoisse. Car que vont devenir les animaux que leurs compagnons humains, faute de moyens, ne pourront pas faire soigner ? Quelle association sera assez riche pour les prendre en charge ? Les tarifs augmentent, c’est indéniable, de même que ceux de la pet food (la nourriture pour animaux de compagnie).

MORALE ET BUSINESS

Nous voyons se profiler une situation très préoccupante : d’un côté, le fait de posséder un ou plusieurs animaux devient un luxe que seuls les gens bien installés dans leur vie et bénéficiant de revenus confortables pourront s’offrir ; de l’autre, la multiplication des mises sur le marché des animaux : élevages de tout poil (amateurs ou « professionnels »), portées tous azimuts, avec les conséquences que sont les abandons à la pelle, les refuges sur-saturés, les fourrières pléthoriques, des associations débordées, sollicitées sans cesse… Beaucoup d’appelés, très peu d’élus.
Le business ne s’embarrasse pas trop de la morale. Les cliniques vétérinaires ne sont-elles pas désormais de nouveaux jouets entre les pattes des grands groupes qui font leur beurre sur le dos des animaux, pas seulement ceux qui sont pris en charge, mais également, par voie de conséquence, sur le dos de ceux de ceux que leurs cliniques ne recevront jamais, et dont elles feignent d’ignorer l’existence parce qu’ils ne représentent pas des « clients » fiables ?
Pourtant, la profession de vétérinaire n’est pas vraiment un métier comme un autre…
Il y a deux ou trois ans, par une journée d’été caniculaire, La Griffe a été appelée à la rescousse par un homme qui nous expliquait que le chien de son copain au RSA était mort depuis deux jours et qu’il ne savait quoi faire de la dépouille. Le chien, un berger allemand, devait bien faire entre 35 et 40 kilos. Quelle était la cause de sa mort ? Il avait dans les dix ans, mais n’aurait-il pas pu être soigné ? Au lieu de cela aura-t-il agonisé pendant des heures sous les yeux de son compagnon humain ? C’était une situation révoltante à bien des égards. Nous avons téléphoné au service d’hygiène de la ville de Clermont-Ferrand qui nous a expliqué que seuls étaient pris en charge par la collectivité les cadavres d’animaux qui se trouvaient sur la voie publique…
Alors, nous nous sommes rendus chez un vétérinaire pour y prendre un sac spécial « cadavres d’animaux », sinistre linceul en plastique sombre, et nous sommes allés chercher la dépouille de ce pauvre chien que nous avons trouvé coincée, dans un minuscule appartement vétuste, entre une table basse encombrée et un canapé défraîchi. Nous avons payé l’incinération.

DISPENSE DE DISPENSAIRES

Chaque jour, des milliers de chats, de chiens, de Nac sont maltraités, affamés, battus, vendus, bradés, abandonnés, ou malades et non soignés. Qui s’en soucie ? Il est probable qu’ils seront de plus en plus nombreux au fil des années si des mesures importantes ne sont pas prises : pour ces animaux, cela passe par un strict contrôle des naissances via la stérilisation obligatoire. Il y a une dichotomie flagrante entre les moyens des cliniques vétérinaires d’un côté, et la foule des animaux infortunés de l’autre.
Ne nous méprenons pas. Nous sommes évidemment heureux de ces progrès, mais nous sommes conscients du fait que les animaux qui pourront y avoir accès seront de moins en moins nombreux, de façon inversement proportionnelle au coût de la vie. Ce que l’on appelle le pouvoir d’achat n’a apparemment pas de beaux jours devant lui et se réduit comme peau de chagrin. Les animaux seront bien entendu les premiers à en subir les conséquences.
Il existe quelques dispensaires, en France. Pas suffisamment, c’est évident.
Les groupes qui se sont rendus propriétaires de cliniques vétérinaires pensent avoir agi en vue d’un profit toujours croissant. Jackpot ? Promesse radieuse du capitalisme ? Et si c’était le contraire qui devait arriver ? Seront-ils très nombreux ceux qui pourront donner 900 ou 1.000 € pour un animal qui devra être euthanasié au bout de pas même 24 heures ? La manne que représente la médecine vétérinaire sera-t-elle toujours aussi abondante dans quelques années si les intéressés ne se résignent pas à appliquer des tarifs raisonnables et non prohibitifs, n’en déplaise aux lois du profit tous azimuts ?
En 2024, le groupe Mon Véto était à la tête d’un actif de 280 établissements vétérinaires en France, dont un peu moins d’une dizaine dans le secteur de Clermont-Ferrand. La clinique Vétovalia et le pôle d’urgences V2TU en font partie.
A la suite du passage de Bianca à la clinique V2TU, nous avons envoyé un courrier à la direction. Une longue lettre leur expliquant pourquoi cette nouvelle « politique » tarifaire au sein des établissements vétérinaires était de nature à nous inquiéter.
Nous ignorons s’il y aura une réponse.

Josée Barnérias