Lectures
Qu’est-ce qu’une plante ? Essai sur la vie végétale
Florence Burgat
C’est une tendance qui affleure de plus en plus. Il conviendrait désormais, pour certaines écoles de pensée, de se pencher sur les « droits » des végétaux. Qui seraient en passe d’accéder ainsi à un statut d’êtres vivants et sensibles, à l’instar des animaux, dont nous sommes. La philosophe Florence Burgat, dans son dernier opus, Qu’est-ce qu’une plante ? Essai sur la vie végétale, passe au crible ce nouvel engouement.
Il n’est pas si loin le temps où l’association L214 préconisait : « Vous aimez les lapins, mangez des carottes ». A présent, cela serait-il possible sans soulever quelques protestations ? Dominique Lestel écrit, dans Apologie du carnivore : « Pourquoi serait-il plus éthique de faire souffrir une carotte qu’un lièvre ? » La question a tout l’air d’une provocation assez grossière. Cependant il se trouve quelques thuriféraires pour l’entendre au premier degré, relever le gant et se mettre en croisade pour la cause du végétal. D’après eux, pas question de le considérer comme un légume.
Cette tendance, qualifiée par la philosophe de « néo-animisme », serait-elle corrélative à la prise de conscience verte qui gagne du terrain chez nos contemporains ? A force d’entendre parler de l’intelligence des arbres et de la souffrance des fleurs, n’aurait-on pas opéré un glissement depuis la métaphore littéraire jusqu’à une sorte de « pied de la lettre » ? Florence Burgat insiste là-dessus : pour qualifier les formes de vie végétales, les mots nous manquent. Il faut faire avec ce que l’on a et qui n’est pas forcément adéquat.
Avec toute la rigueur et la précision qui caractérisent son travail, la philosophe explore la science botanique jusqu’à ses racines les plus profondes. Elle peut ainsi argumenter sur ce qui fait la « vie » du végétal et ce qu’elle nomme le « vivre » chez l’animal. Il en ressort une différence fondamentale. D’après elle, l’attitude radicale qui consiste à voir dans les végétaux des êtres sensibles, conscients et intelligents « ne repose sur aucune expérience que nous avons d’une telle chose et n’est pas non plus établie par la biologie ». Alors pourquoi ces croyances se font-elles jour en une époque où il est encore tellement difficile de convaincre nos contemporains que les animaux, eux, nous le savons de toute éternité, cela ayant été prouvé, expérimenté des milliers de fois, sont des êtres sensibles, conscients et intelligents ? Florence Burgat y voit une volonté délibérée, un « nouveau contrefeu à la cause des animaux ». Ou comment utiliser le végétal contre l’animal…
Faut-il pour autant mépriser le végétal ? Bien sûr que non. Bien au contraire. Il en va de la beauté, de la santé de la Terre et de tous ceux qui y vivent.
Cependant, il n’y a pas de confusion, pas d’amalgame possibles entre végétal et animal : « Cette vie (la vie végétale NDR) qui ne meurt que pour renaître est le contraire d’une tragédie. » Or, tous, humains et autres animaux, sommes des êtres uniques soumis à la fatalité de la mort. Des êtres tragiques…
Editions du Seuil, collection La couleur des idées, 200 pages, 20 euros.
Profession : animal de laboratoire
Audrey Jougla
Recherches sur les animaux, expérimentation animale, vivisection : de quoi et de qui au juste parle-t-on lorsque l’on évoque l’une des pratiques les plus opaques qui soient et qui est à l’origine, chaque année en Europe, de l’utilisation, c’est-à-dire de leur captivité, de leurs souffrances et souvent de leur mort, de près de 12 millions d’animaux divers dans des circonstances plus que douteuses ?
Audrey Jougla, journaliste, diplômée de Sciences Po Paris, a tenté, pendant plus d’un an, de comprendre ce qui se cachait derrière ce « mal nécessaire » que constitue l’expérimentation animale. Où est le mal et où se situe la « nécessité » de le commettre ?
Pour accéder à l’autre côté du miroir, il faut montrer patte blanche. Audrey Jougla a voulu jouer le jeu. Elle a endossé le rôle du Candide, si ce n’est celui du complice… Elle a effectué des va-et-vient entre les militants antivivisection, pour se donner du courage lorsqu’il lui semblait en manquer, et les vivisecteurs eux-mêmes ou ceux qui les assistent. Elle a rencontré des agents animaliers, des associations, des chercheurs, des responsables de laboratoires ou d’élevages… Son parcours a été difficile, jalonné de doutes, de cauchemars. Elle a croisé la souffrance brute des animaux manipulés, emprisonnés, mutilés, empoissonnés, blessés, voire torturés, mais aussi le conformisme d’une certaine science, ses cloisonnements, ses archaïsmes, ses arguments bidonnés, ses intérêts majeurs…
Elle a douté aussi. Parce que rien n’est jamais tout blanc ni tout noir. Elle a décelé chez quelques-uns de ceux qu’elle a interrogés un début de malaise, un soupçon de culpabilité. Elle a croisé aussi de vrais sadiques.
Elle a tenté, avec opiniâtreté et une grande honnêteté, le décryptage d’une pratique qui se signale par sa capacité à désinformer, à manipuler le public. Ce qu’elle a découvert, et qui figure dans son livre Profession : animal de laboratoire porte un coup sérieux à la crédibilité de l’expérimentation animale.
L’ouvrage est remarquable. A l’adresse de ceux, hypersensibles, qui hésiteraient à s’y plonger, il ne comporte pas de descriptions insoutenables des traitements infligés aux animaux. En revanche, l’on y trouvera une solide argumentation, des témoignages, et surtout une réflexion poussée, un questionnement pertinent sur la science, l’éthique, sur l’homme et sa capacité de nuisance, de déni, son besoin de dominer ce qui est plus vulnérable que lui.
« L’expérimentation animale, écrit-elle, n’est pas une épreuve scientifique, c’est une épreuve morale. Dire qu’un mal est nécessaire évite tout questionnement ». Et elle dresse ce constat glaçant : « Je suis convaincue que tous les animaux qui ont été ou sont actuellement dans des centres de recherche ou des laboratoires ont conscience de leur situation ».
Profession : animal de laboratoire doit être lu et relu. Pour pouvoir lutter, il faut savoir. Audrey Jougla a eu le courage de chercher pour que nous sachions. La moindre des choses, c’est d’acheter son livre et surtout de le lire (les bénéfices des ventes sont reversés à quatre associations antivivisection).
Editions Autrement, 17 euros.
La cause des animaux. Pour un destin commun
Florence Burgat
Comment vivons-nous avec les animaux ? Mal, répond la philosophe Florence Burgat dans La cause des animaux, son dernier ouvrage récemment publié. En l’occurrence, ce sont eux qui ont mal. Il n’est que peu d’activités humaines, en effet, qui ne reposent pas sur leur exploitation et sur leur mort. La viande, le cuir, le lait, la laine, la « science », la chasse et bien d’autres « loisirs » tout aussi meurtriers, tout aussi cruels. Les animaux de compagnie ne sont pas épargnés, loin s’en faut, même si l’auteure passe très rapidement sur leur condition pour s’attarder sur celle des animaux de boucherie et sur l’expérimentation animale. « L’ordinaire de nos vies baigne dans la présence animale, fût-elle la plus discrète et la moins recherchée ou celle décidée et assumée sous la forme d’une vie partagée ».
Florence Burgat évoque notre « projet anthropocentrique » dans lequel les animaux peuvent entrer, certes, mais à quelles fins ? Quelle place leur laissons-nous, si ce n’est celle d’instruments, de marchandises, de faire-valoir ?
Cet ouvrage fait la liste des tourments que l’espèce humaine fait subir aux autres. Rien de bien nouveau, puisque le sujet, et c’est heureux, a déjà été évoqué de nombreuses fois. Mais l’approche de Florence Burgat passe par une précision quasi chirurgicale, un travail de recherche rigoureux qui sont la garantie qu’elle n’est pas allée piquer ses infos sur Internet, comme beaucoup le font, mais qu’elle a mené un vrai travail d’enquête, patient, opiniâtre, ce qui confère à l’ensemble une effrayante crédibilité.
Mais, en bonne philosophe, Florence Burgat ne se contente pas de rester dans le factuel. Elle lui donne du sens en l’éclairant d’une pensée qui ouvre à chaque page de nouveaux horizons. Il ne suffit pas de répéter à l’envi que les animaux souffrent par notre faute, encore faut-il expliquer pourquoi on tolère cela avec tant de désinvolture, et pourquoi cela est mal…
C’est un ouvrage assez court (une centaine de pages) et extrêmement puissant que La cause des animaux. Il a tout pour devenir un ouvrage de référence.
L’originalité de l’analyse de Florence Burgat réside en ceci : la cause du mal (l’ouvrage ne pourrait-il pas s’intituler La cause (du mal) des animaux ?) ne peut pas être imputée à la seule ignorance, pas plus qu’elle ne peut l’être à la seule recherche du profit, mais elle procède de quelque chose de plus profond, « la question est abyssale… ». Du coup, la conclusion ne verse pas dans l’optimisme. Raison de plus pour ne pas baisser les bras : « Agissons conformément à notre conviction sans nous réfugier derrière le prétexte que, individuellement considérée, notre action est vaine… »
Editions Buchet-Chastel, collection Dans le vif, 12 euros.
Ahimsa. Violence et non-violence envers les animaux en Inde
Florence Burgat
Un voyage d’étude en 1998, dont le déroulement a été soigneusement consigné dans un journal de bord. Et qui devient, seize ans plus tard, un opuscule saisissant : « Ahimsa. Violence et non-violence envers les animaux en Inde ». Florence Burgat, philosophe, directrice de recherches à l’INRA et directrice de la « Revue semestrielle de droit animalier », a exhumé les nombreuses notes qu’elle avait prises lors de son premier voyage dans la patrie de Gandhi. L’ouvrage est constitué du récit circonstancié de ce séjour (Journal indien), enrichi d’une postface et de textes du Mahatma sur la condition animale.
L’auteur sort ici de son habituel registre de théoricienne pour se faire journaliste de terrain. Elle voit. Elle vit. Elle transcrit. On la suit pas à pas dans les méandres d’une indianité brutale, contradictoire, dérangeante jusqu’à la nausée, de New Delhi à Bombay, de refuge en fourrière : « Comment est-il possible de vivre ici, dans l’odeur et le bruit de l’enfer ? ». Le style est élégant, sobre et précis, comme pour mieux contenir les horreurs vues. Florence Burgat est là pour les bêtes. Les bêtes confrontées au principe de non-violence, Ahimsa, qui prévaut en Inde, mais est bien peu appliqué. Florence Burgat témoigne. Rien ne lui échappe. Parfois, elle croise un visage lumineux dans ces fangeuses ténèbres, dans cette foule grouillante d’individus seuls.
Un cliché tenace veut qu’en Inde, les vaches soient « sacrées ». Image de carte postale. Les pauvres bêtes ont une vie misérable avant de partir pour les abattoirs du Kerala et de Calcutta, où les musulmans se chargent des basses besognes auxquelles répugnent les hindous : l’abattage des animaux. Au terme d’un très long voyage, très pénible, les bêtes survivantes sont déchargées dans des « abattoirs », lieux sordides noyés de sang où les bovins terrorisés en attente de leur supplice assistent à celui de leurs congénères, égorgés en pleine conscience. « Le pays de la vache sacrée est devenu le premier exportateur mondial de viande bovine ». Les chiens errants sont nombreux en Inde. Afin de gérer les populations, dans les grandes villes, ils sont capturés, puis électrocutés, ce qui passe pour une méthode d’une grande humanité. Leur mort survient au bout de deux minutes, mais « deux minutes, ce n’est rien », explique en toute bonne foi un responsable de fourrière à l’auteur. Pourtant, il existe en Inde des lois pour protéger les animaux. Des associations rassemblant des bénévoles au dévouement exemplaire. Quelques refuges modèles, gérés par des Jaïns, tellement respectueux de la vie qu’il refusent – et là, le bât blesse – la stérilisation. Gandhi lui-même était très sensible au problème de la souffrance des animaux, beaucoup plus que ne peuvent l’être nos politiques occidentaux fermés à tout discours sur la condition animale.
En Inde, rien n’est simple. La violence est fréquente et quotidienne dans ce monde pétri de contradictions où Florence Burgat s’est frayé un passage pour savoir. Nous avons nous aussi le devoir de savoir et, pour cette raison, « Ahimsa » est incontournable.
Editions de la Maison des sciences de l’homme, 213 pages, 12 euros
Libération animale et végétarisation du monde. Ethnologie de l’antispécisme français.
Catherine-Marie Dubreuil
Qui sont les antispécistes français ? D’où viennent-ils ? Que veulent-ils ? Combien sont-ils ? Où sont-ils et que sont-ils devenus depuis leur apparition, confidentielle et marginale, dans les années 80 ?
L’auteur de « Liberation animale et végétarisation du monde », Catherine-Marie Dubreuil, a enquêté sur le mouvement antispéciste depuis ses origines. Dans cet ouvrage paru en 2013, elle revient aux sources pour retracer, avec méthode, d’une façon quasi scientifique, le parcours de l’un des courants de pensée contemporains les moins visibles, les moins conciliants, les moins partagés, mais aussi les plus novateurs de la fin du XXe siècle.
L’antispécisme s’oppose très logiquement au spécisme, un concept qui a émergé avec les philosophies animalistes anglo-saxonnes, et que les « antispé » définissent ainsi : « Le spécisme est à l’espèce ce que le racisme et le sexisme sont à la race et au sexe : la volonté de discriminer les êtres au nom de différences réelles ou convenues, mais dépourvues de lien logique avec ce qu’elles sont censées justifier ».
Les antispécistes dénoncent au premier chef ce qui, selon eux, est l’expression la plus éclatante, la plus scandaleuse et la plus emblématique de l’oppression de l’animal par l’homme, à savoir la consommation de sa chair. L’antispécisme va donc de pair avec le végétarisme, voire le végétalisme et aujourd’hui avec ce que, dans le sillage des anglo-saxons, nous appelons le véganisme. Cependant l’auteur, dont on devine l’intérêt qu’elle porte à ce mouvement créé et alimenté par de purs intellectuels, s’interroge sur ses faiblesses, au nombre desquelles son mépris affiché pour la compassion et la sensibilité envers les animaux, qu’il associe à une forme d’anthropomorphisme, sa froideur, son intransigeance, en un mot son asocialité.
Longtemps, l’antispécisme s’est cantonné dans les hautes sphères de son intellectualité (cf. les Cahiers antispécistes), se cherchant, débattant à l’infini, affirmant l’universalité de son combat en y associant d’autres causes (féminisme, homosexualité, oppression des peuples, etc.) Avec le temps, les antispécistes rigoureux des débuts ont changé un peu de visage. D’autres générations de militants les ont rejoints qui, ne se contentant pas des constructions intellectuelles, sont passées aux actes, comme l’association L214, dont il est beaucoup question dans le livre.
L’ouvrage, qui fait appel à de nombreux témoignages, est construit à la fois selon un ordre chronologique et thématique. Il éclaire d’un jour plus précis l’une des facettes d’un combat qui ne fait que commencer.
Editions du CTHS (Comité des travaux historiques et scientifiques), 223 pages, 26 euros
No steak
d’Aymeric Caron
« Le végétarien est chiant. » C’est un VG « depuis vingt ans » qui le dit. Aymeric Caron, journaliste, grand reporter, a écrit No Steak pour faire le point sur le végétarisme aujourd’hui, sur les clichés, les refus et les sarcasmes que ce mouvement suscite. Mais aussi sur le côté inéluctable de la végétalisation de l’alimentation. Aymeric Caron veut juste « expliquer pourquoi, dans un futur proche, plus personne sur cette planète ne mangera de viande ». L’auteur se défend de tout prosélytisme. En bon professionnel, il examine une à une toutes les données du problème, il recueille les informations, les témoignages… Et il constate que le refus de consommer de la chair animale fait doucement son chemin dans les consciences en même temps que dans les assiettes.
Pour l’instant, rien ne semble gagné. La consommation de viande dans le monde, constate Caron, a quadruplé en cinquante ans ! Chaque jour, en France, trois millions d’animaux partent à l’abattoir…
Pourtant, que ce soit d’un point de vue éthique, économique ou écologique, la consommation de chair animale est une aberration, une « équation alimentaire impossible ». Et l’auteur de démontrer pourquoi.
Si l’économique et l’écologique sont quantifiables, il n’en va pas de même de l’éthique, qui reste affaire de culture, d’éducation, de croyances. « Choisir ce que l’on mange, ce n’est pas juste suivre son goût ou son humeur : c’est faire un choix de société. » Et voilà aussi que le politique s’invite dans les assiettes… Il y est bien installé, d’ailleurs : d’après l’association L214, plus de 3 milliards d’euros, en 2009, sont venus renflouer les « productions animales » dans l’UE…
No Steak vient s’ajouter aux déjà nombreux ouvrages parus sur le même sujet. Mais il apporte une pierre supplémentaire à l’édifice. Argumenté, richement documenté, écrit avec pertinence et humour, il séduira les végétariens, bien entendu, mais peut-être aussi quelques carnivores, ceux-là même dont il stigmatise le « caractère erratique de leur raisonnement » : « On a toujours mangé de la viande, alors pourquoi changer ? »
« En filigrane, explique l’auteur, se dessine une angoisse ontologique et métaphysique : et si, en renonçant à manger les autres espèces, nous n’étions plus tout à fait nous-mêmes ? »
Allons, courage, compagnons, la route est longue, mais la viande est presque morte !
Fayard, 360 p., 19 euros
Mélodie. Chronique d’une passion
d’Akira Mizubayashi
Bouleversant. C’est le terme qui s’impose tout naturellement lorsqu’on referme Mélodie. Chronique d’une passion du Japonais Akira Mizubayashi.
L’auteur vit à Tokyo. Il enseigne le français à l’université. Son épouse, Michèle, est française.
Mu par une attirance incontestable pour la langue de Molière, c’est elle qu’il a choisie pour écrire l’histoire entièrement autobiographique de son amitié profonde et fusionnelle avec Mélodie, une chienne golden retriever, à partir du moment où, tout petit chiot, elle est entrée dans sa vie jusqu’à l’heure, douze années plus tard, de son dernier souffle.
Tous ceux qui ont eu une communauté d’existence, un sentiment d’affection et de complicité avec un animal comprendront sans peine ce qui fait la substance de ce récit, cet accord magique et majeur entre un être sans la parole et le bipède maître des mots qui fait de son mieux pour rendre, au moins en partie, l’amour inconditionnel qu’il reçoit et s’efforce de mériter.
Quant à ceux pour qui telle aventure s’apparente à de la science-fiction, ils découvriront peut-être à l’humaine nature une dimension qui jusqu’alors leur avait échappé. Nulle mièvrerie, nulle « sensiblerie » -cet horrible mot, certains ignorants, sans doute, ne manqueront pas de le prononcer- dans cet ouvrage, mais beaucoup de grâce, d’innocence et d’intelligence. Un récit dense, auquel un style élégant et limpide confère une forme de légèreté. De l’émotion à chaque page, qui va jusqu’à vous tirer des larmes. Comme pour faire écho au nom de la chienne, les références à la musique sont nombreuses. Rien d’étonnant chez cet écrivain francophone remarquable qui est aussi un mélomane averti.
Mélodie est une parenthèse dans la violence du monde. C’est peut-être ce qui contribue à rendre poignant cet hommage d’une grande tendresse à une bête qui, du coup, devient une personne. Une belle personne.
La frontière est ténue entre l’homme et l’animal. Existe-t-elle seulement ? Au terme de ces 263 pages, on sait que la réponse est « non ».
Gallimard, 280 p., 19,50 euros
Le végétarisme comme réponse à la violence du monde
d’Hélène Defossez
L’humanité est-elle en mesure de renoncer à la violence ? De renoncer à tuer pour manger ? Pourquoi le ferait-elle ? Quelques questions fondamentales auxquelles l’auteur, Hélène Defossez, tente d ‘apporter une réponse.
« Le choix de ne pas manger de chair a été le geste fondateur qui a façonné le reste de ma vie et dirigé mes engagements. » Quelques anecdotes autobiographiques et on entre dans le vif du sujet. L’argument qui consiste à affirmer que l’homme est fait pour être carnivore n’impressionne pas beaucoup Hélène Defossez qui rappelle que tout cela n’est qu’une question de perspective, d’éducation et de choix. Quant à la tradition, autre argument, peut-on la maintenir lorsqu’il s’agit d’une pratique injuste et aberrante ? Le spectre de la sensiblerie, agité par les ennemis des animalistes, n’est là que pour stigmatiser une sensibilité à la souffrance de l’autre – fût-il non humain – qui est normale et souhaitable.
Mais comment convaincre le carnivore qu’il peut sans dommage pour lui renoncer à manger la chair des autres ? C’est en assimilant le végétarisme à un acte de désobéissance civile qu’il prend tout son sens : celui d’une absolue résistance face à la cruauté du monde.
L’Harmattan, 140 p., 12,50 euros
Bêtes de somme. Des animaux au service des hommes
d’Eric Baratay
Les bêtes de somme sont les animaux de travail. L’essai d’Éric Baratay, paru une première fois en 2008 aux éditions de La Martinière, englobe sous ce terme l’ensemble des animaux domestiques, c’est-à-dire ceux qui partagent un destin commun avec l’homme, celui-ci les utilisant et les exploitant pour le travail, mais aussi pour l’alimentation, pour le loisir, le vêtement…
Éric Baratay est professeur d’histoire contemporaine à l’université de Lyon et spécialiste des animaux, auxquels il a consacré plusieurs ouvrages. Les thèmes abordés dans Bêtes de somme concernent surtout ce que l’on appelle l’époque moderne, c’est-à-dire celle qui a vu naître les prémisses, puis l’essor de l’industrialisation et l’augmentation du nombre d’animaux. Alors que « l’on comptait en France 7 millions de bovins en 1789 », il y en avait un peu plus du double en 1914. Il en est allé de même pour d’autres espèces. De la guerre (celle de 14-18 a « englouti » 700.000 chevaux, un nombre incalculable d’ânes et de mulets, de chiens) à la mine, en passant par les villes et les champs, les animaux étaient utilisés dans toutes les fonctions possibles à partir du milieu du XIXe siècle.
Mais avec le changement de civilisation, l’avènement de l’industrie, le paysage change. Dans le monde rural comme dans l’espace urbain, l’animal, s’il est toujours exploité sans le moindre égard, est plus ou moins visible selon les périodes. En fait, sa présence, sa fonction, la façon dont il est représenté et traité sont significatives des réalités culturelles et sociales des époques qu’il traverse.
L’ouvrage court et précis d’Éric Baratay donne un éclairage particulier sur des périodes que nous n’avons pas connues mais qui annoncent l’époque contemporaine. Au-delà des réalités terribles qu’il évoque, ce sont les sociétés elles-mêmes qui sont dessinées.
Editions Points, collection Histoire, 8 euros.
Bestiaire
de Paul Léautaud
« Je me le dis souvent, il en est chez les bêtes comme chez les gens : les heureux et les malheureux, ceux qui ont tout et ceux qui n’ont rien… » (p. 113). L’auteur, Paul Léautaud, connu pour son caractère irascible et ses coups de gueule, est un pionnier de la protection animale. Lorsqu’il ne travaillait pas à son Journal littéraire, l’œuvre immense qu’il a laissée, il arpentait les rues de Paris pour aller y nourrir les chats errants et aussi y ramasser quelques pauvres chiens perdus sans collier qu’il plaçait ou… gardait. C’était au début du XXe siècle. À sa mort, en 1956, on a retrouvé les tombes de plus d’une centaine d’animaux qui l’avaient accompagné tout au long de sa vie et qu’il avait enterrés dans son jardin.
Bestiaire est constitué des extraits de son volumineux Journal qui concernent son amour indéfectible pour les bêtes. Il y expose ses rencontres avec chiens ou chats ; on y croise tous ces abandonnés qui, grâce à lui, ont trouvé une vie heureuse et sont passés à la postérité. Bestiaire est un témoignage émouvant et authentique. Un livre de chevet que les amis des bêtes devraient tous avoir lu.
Les Cahiers rouges (Grasset). 8,80 euros.
L’animal est l’avenir de l’homme
de Dominique Lestel
« Les humains qui se soucient des autres animaux constituent un mouvement d’avant-garde appelé à croître et à transformer la conscience de l’époque. » (p. 12)
La question animale est au centre de l’œuvre du philosophe et éthologue Dominique Lestel. Dans cet ouvrage, il développe une vraie réflexion sur la relation que l’homme occidental entretient avec l’animal… Et le résultat de cette recherche n’est pas en faveur du bipède. Lestel est très critique vis-à-vis de ceux de son espèce. Particulièrement avec les scientifiques et la recherche qui « utilise » des millions d’animaux avec autant d’états d’âme que s’il s’agissait de Kleenex. À l’origine de cette attitude injustifiable, on trouve le déni et la mauvaise foi. Les défenseurs des animaux sont plutôt bien vus par l’auteur, qui n’hésite pas à en faire les nouveaux « Justes ». Ils constituent, écrit Lestel, « un mouvement d’avant-garde appelé à croître et à transformer la conscience de l’époque ». Un ouvrage revigorant pour tous ceux qui ont à cœur de faire avancer la « cause ». Un petit bémol toutefois : en une demi-page, Lestel explique que l’on peut continuer tranquillement à être carnivores, pourvu que l’élevage soit de qualité. On comprend mal cette position, qui fait fi des violences de l’abattoir, et de bien d’autres choses… Ces quelques lignes, ambigües, étonnent et détonnent, même si la jaquette du livre l’affirme : « L’animal est l’avenir de l’homme ».
Fayard, 16,20 euros
Bidoche. L’industrie de la viande menace le monde
de Fabrice Nicolino
« C’est bête comme chou : nous ne pourrons pas tous manger de la viande. Car il faut entre 7 et 9 calories végétales pour obtenir 1 calorie animale. Or la demande de viande explose, et personne ne pourra jamais produire des céréales sur des terres qui n’existent pas. »
Le journaliste Fabrice Nicolino a la fibre écolo. Il s’était déjà attaqué aux agro-carburants et aux pesticides… Rien que du lourd ! Cette fois, il entre dans « l’univers répugnant » de l’’élevage industriel. Une véritable saga, un récit de 385 pages, depuis les gigantesques abattoirs de Chicago jusqu’’aux « tueries » de porcs en Bretagne, dans les cris, le vacarme des poulies et des machines, dans « les odeurs d’’urine, de merde et de sang » qui se mêlent aux odeurs de chlore.
Des profits démesurés, des collusions, des compromis, des complicités, des non-dits, des contre-vérités…. Aujourd’hui, 99,5 % de la viande consommée en France provient du système industriel.
Il y a les scandales : farines animales, grippe aviaire, grippe « A » et consorts. Il y a la déforestation, l’’épuisement des sols, l’’émission de gaz à effet de serre. Pour 100 gr de blé, il faut 25 l d’’eau. Et pour 100 gr de bœuf ? Entre 15.000 et 25.000 litres. « La fabrication de bidoche est une aberration énergétique », dixit l’’auteur, chiffres à l’appui. Le livre annonce celui de Jonathan Safran Foer « Faut-il manger les animaux ? », publié récemment. Il dénonce les mêmes enfers. Bidoche raconte la genèse et l’’histoire d’un système qui s’’est emballé et « risque d’entraîner les sociétés humaines dans un véritable gouffre ». Nicolino appelle les citoyens à la révolte, rien de moins. En citant Tolstoï : « Tant qu’’il y aura des abattoirs, il y aura des champs de bataille ! »
Éditions Babel. 9,50 euros.
Ces bêtes qu’on abat. Journal d’un enquêteur dans les abattoirs français (1993-2008)
de Jean-Luc Daub
« Tout abattage est violent parce que, même avec un étourdissement préalable, il y a le lieu, l’odeur du sang, les cris des autres animaux, les bruits métalliques, les cadences de production… » (p. 36)
Pendant quinze ans, cet éducateur spécialisé qui vit en Alsace a écumé les abattoirs de France pour le compte d’une association de protection animale. Il rend compte, avec sobriété et compassion, de ce à quoi il a assisté dans Ces bêtes qu’on abat, un livre inoubliable dont la découverte, au fil des pages, ne peut que radicalement changer la vision que l’on a du contenu de son assiette. En effet, à moins d’être une brute décervelée, il est impossible de ressortir indemne de cette confrontation avec la violence et la mort.
Près de cent millions de mammifères, plusieurs milliards de volailles et de poissons sont abattus chaque année en France. Afin que cesse ce massacre, nous devons nous poser très sérieusement le problème de notre consommation de produits animaux.
Éditions L’Harmattan. 23,50 euros.
Nous sommes ce que nous mangeons
de Jane Goodall
« De nos jours, on admet généralement que, même si les premiers êtres humains mangeaient probablement de la viande, celle-ci est loin d’avoir joué un rôle prépondérant dans leur alimentation. » (p. 23)
Jane Goodhall est aux chimpanzés ce que Diane Fossey était aux gorilles des montagnes. Depuis 1960, cette scientifique éminente s’intéresse de très près à nos proches cousins. Elle a transmis des informations inestimables sur la vie et les mœurs de ces animaux auprès de qui elle a vécu de longues années, mais elle œuvre aussi depuis toujours pour la sauvegarde de la planète. Dans cet ouvrage, elle explique les raisons de ses choix. Jane Goodhall, en effet, est végétarienne. Non seulement elle refuse la cruauté de l’élevage et de l’abattage, mais aussi le pillage des ressources de la Terre que la consommation de viande génère.
Cet ouvrage magnifique, vivant, documenté, est le reflet exact d’une immense dame qui, lors de l’un de ses passages en France, avait reçu des mains de Jacques Chirac, alors président de la République, le titre d’officier de la Légion d’honneur.
Éditions Actes Sud. 22,50 euros.
Éthique animale
de Jean-Baptiste Jeangène Vilmer (préface de Peter Singer)
« Plutôt que de vouloir libérer les bêtes, mieux vaut se demander ce qui conduit les hommes à agir de cette manière, et mieux vaut les libérer, eux, de la recherche perpétuelle du profit et de l’esclavage du productivisme à outrance. La libération des animaux a pour condition de possibilité celle de leurs geôliers humains. »
Paru en février 2008, Éthique animale peut être aujourd’hui encore classé parmi les ouvrages de référence en ce qui concerne la condition animale et les courants de pensée qui l’accompagnent. L’auteur, Jean-Baptiste Jeangène Vilmer, est un jeune philosophe qui possède également une formation en droit.
Cet ouvrage consistant, d’environ 300 pages, est à la fois un état des lieux exhaustif et une réflexion. Deux parties distinctes le composent. La première est consacrée à une approche théorique dont on constate qu’elle est d’une richesse enthousiasmante. L’auteur y fait le tour des courants de pensée inspirés par la relation de l’humain avec l’animal. Dès l’Antiquité, la question se posait déjà… D’Aristote ou Plutarque aux antispécistes d’aujourd’hui, le sujet a donné lieu à bien des regards féconds…
La seconde partie fait le tour des activités humaines qui sollicitent l’utilisation et l’exploitation des animaux, pour leur plus grand malheur. On réalise avec effroi qu’il n’y a pas de secteur qui échappe à notre prédation. Pourquoi ? Une vraie communauté des hommes et des bêtes est-elle possible ? Leurs destins sont liés, pour le pire… Reste à inventer le meilleur.
Presses universitaires de France, 26 euros.