Les éditions Tahin Party
au secours du Livre
Le 17 février, les éditions Tahin Party ont diffusé un communiqué sur Internet. Le collectif s’y indigne de la récente campagne menée par une dizaine d’associations (parmi lesquelles la Fondation Brigitte Bardot , l’?uvre d’assistance aux bêtes d’abattoir, la Protection mondiale des animaux de ferme, la Confédération nationale des SPA de France etc.) contre l’abattage rituel halal et casher. Les animaux y sont égorgés sans l’étourdissement préalable qu’exige la loi, grâce à une dérogation reconduite par les gouvernements successifs depuis 1980.
L’une des deux affiches de la campagne dénoncée par les éditions Tahin Party.
Les griefs de Tahin Party : dans cette campagne, la protection animale ne serait finalement qu’un prétexte, le but étant clairement la « stigmatisation de populations humaines », en l’occurrence les croyants et pratiquants musulmans et juifs.
Tahin Party évoque, a contrario, les « rituels capitalistes » et les « rituels français », logique de profit pour les uns, pratiques innommables pour les autres, en rappelant les « ratés » de l’étourdissement lors des abattages dits standards, et l’éventail des graves maltraitances subies par les animaux dans les abattoirs, qui sont du ressort de l’atroce, de l’insoutenable, hors de toute pratique religieuse. Tout cela s’inscrit dans un processus de cruauté ordinaire et arrive bien trop fréquemment pour présenter un aspect anecdotique. Et le collectif conclut qu’il serait largement préférable que le végétarisme, voire le végétalisme deviennent la règle ici et ailleurs. Une façon radicale de supprimer tout problème lié à l’abattage des animaux.
Des exemples, des témoignages
Ils ont raison. Mais leur argumentation, pour irréfutable qu’elle soit, est invalidée par quelque chose de terrible, incontournable et pesant qui s’appelle le principe de réalité.
La réalité c’est qu’aujourd’hui, dans le seul pays de France, un milliard de volailles, près de cent millions de mammifères passent chaque année par l’abattoir et, comme le veut la loi, n’en ressortent jamais qu’en petits morceaux. Des milliards de poissons connaissent un sort analogue et pas plus enviable. Et il est probable que les consommateurs ne sont pas près de renoncer à leurs habitudes, aussi funestes soient-elles. Le nombre des animaux ne fait d’ailleurs rien à l’affaire. Individuellement, il s’agit à chaque fois d’un massacre, d’une tragédie. Car, où que l’on porte son regard, les conditions de la mise à mort de toutes ces bêtes font honte à notre humanité, pour reprendre les termes de Dominique Lestel (L’animal est l’avenir de l’homme, éd. Fayard).
Tout abattage est un acte d’une violence inouïe. Et il n’est pas un animal jeune et sain qui ne sente et ne refuse de tout son être cette mort ignoble que l’on va lui infliger.
Mais il est faux de prétendre que toutes les morts se valent. Il peut y avoir des degrés dans l’atrocité. Il n’est que de lire pour cela le rapport d’une enquête effectuée dans les abattoirs français sur l’abattage rituel sans étourdissement de 300 bovins pour se rendre compte à quel point cette pratique est inacceptable (Revue semestrielle de droit animalier 2/2010). Il est d’autres témoignages, comme les images tournées par L214 dans les abattoirs Charal, à Metz, tout aussi pénibles. Et la vérité, c’est aussi que ce type d’abattage tend à se généraliser pour les ovins et à augmenter dangereusement pour les bovins.
La faute à qui ? A ceux qui s’accrochent à des coutumes multimillénaires, sans penser une seconde à les remettre en question ? A ceux qui, dans la sphère accommodante du politique, laissent faire, pour s’attacher un électorat potentiel, ou pour, tout simplement, avoir la paix ? Comme toujours, ce sont les bêtes qui paient. En la matière, il y a sacrifice, c’est sûr. Et pas seulement religieux. La question qu’il faut se poser c’est : pourquoi un pays laïc, qui le revendique et s’en glorifie, accepte-t-il encore les sacrifices de sang, douloureux de surcroît, au mépris de la loi et de la Constitution française ?
En attendant des jours meilleurs…
S’insurger contre la campagne qui dénonce l’abattage sans étourdissement halal et casher ne rendra service ni aux musulmans ni aux juifs. Cela ne rendra pas service non plus aux animaux. Car la pérennisation et la généralisation de cette pratique représentent, qu’on le veuille ou non, sinon une régression, au moins un archaïsme, qui font mal…
L’intervention du collectif de Tahin Party est légitime, mais inconsidérée. Sous prétexte que la souffrance est partout, on ne peut accepter qu’elle soit encore plus grande, et on a le devoir de la refuser chaque fois que cela est possible. Et si d’aventure l’interdiction effective de l’abattage sans étourdissement au profit de l’abattage standard devait un jour arriver, au moins cela éviterait-il des tortures bien superflues dans un monde qui n’en inflige déjà que trop. Pour cette seule raison, l’abattage sans étourdissement doit être combattu. Et l’abattage standard avec ses manquements, ses inavouables cruautés, doit être réglementé durement, surveillé par les services de l’Etat (ce qui n’est pas le cas), traqué, dénoncé jusque dans ses moindres faiblesses par les associations, comme le fait actuellement et sans relâche L214, dans l’attente de jours meilleurs.
Car le monde ne deviendra pas végétarien du jour au lendemain. Ni même peut-être au surlendemain, si toutefois il le devient un jour. Qui peut le savoir ? En attendant, il va falloir serrer les dents et sauver les meubles. Triviale certitude, horrible perspective…< /span>
Le combat pour l’abolition du spécisme, l’abandon de l’exploitation de l’animal par l’homme, n’en sont qu’à leurs débuts. Cette lutte a besoin de victoires, même minimes, pour pouvoir continuer. L’interdiction de l’abattage sans étourdissement en serait une.
Jeph Barn