La chaîne TV Public Sénat a diffusé un documentaire de 52 minutes intitulé « Brigitte Bardot, le serment fait aux animaux ». L’histoire d’un parcours en deux temps. Le choix assumé de tourner le dos à la gloire et au luxe pour rejoindre l’âpreté des luttes. Un rappel émouvant et efficace de ce que cette femme étonnante a apporté à la cause animale : presque tout.

La petite chèvre qui allait mourir

Quand on parle de la « passion » de Brigitte Bardot pour les animaux, le mot prend son sens radical, authentique. Il ne s’agit pas de la passion des timbres-poste ou de la marine à voile, mais du  passio latin ou du pathos grec, où le mot passion trouve son étymologie, et qui signifient l’un comme l’autre « souffrance »…

Au début des années cinquante, Brigitte était une jeune actrice prometteuse. Le cinéma en a fait, très vite, une icône. Sa carrière cependant s’arrêtera tout net après le tournage, en 1973, de Colinot Trousse-chemise, un film de Nina Companeez qui ne laissera pas un souvenir impérissable, si ce n’est par le fait qu’il sonne le glas de « BB ». C’est dans ce Moyen-âge d’opérette qu’elle abandonne les falbalas de l’actrice pour devenir la Brigitte Bardot d’après, celle de la deuxième vie, celle dont l’on se souviendra.

Brigitte explique qu’elle a toujours ressenti une attirance irrépressible pour les animaux. Sur le tournage, se trouvait une vieille femme accompagnée d’une petite chèvre. Au cours de quelques mots échangés avec la paysanne, Brigitte apprend que le jeune animal est destiné à un méchoui qui doit avoir lieu le lendemain même. Rien ne va plus. Brigitte abandonne toute retenue. Tout d’un coup, elle se demande « mais qu’est-ce que je fous là, déguisée, ridicule, alors qu’une chèvre va mourir ? » Elle achète la chèvre, l’amène à l’hôtel où elle partage déjà sa chambre avec un chien. « Un de ces bordels ! », se souvient l’ex-actrice iconoclaste. C’est qu’à l’époque, s’enticher des bêtes était plutôt mal vu. Quant à son métier, elle emploie volontiers le terme de « singeries » pour le définir. Tout cela avait le mérite d’être clair : « Je voulais faire du cinéma pour pouvoir m’acheter une ferme où on ne tuerait pas les animaux ».

Après l’épisode de la chèvre, l’affaire est donc pliée. D’ailleurs Brigitte savait qu’il s’agissait de son dernier tournage. Elle en avait plus qu’assez.
Une séquence la montre, en 1966, dans un refuge de la SPA. Prise de compassion pour ces pauvres bêtes emprisonnées, elle repart avec dix chiens et vingt chats dans sa Rolls. Elle les replace sur le tournage en usant d’un odieux chantage : si tous ces animaux ne trouvent pas sur-le-champ des adoptants, elle cesse de jouer. Et ça a marché !

Brigitte Bardot a toujours eu le culot que confère la candeur. On lui en a voulu beaucoup pour cela. Aujourd’hui encore, alors qu’elle va sur ses quatre-vingt dix ans (elle est née en 1934), elle a des emportements et des enthousiasmes de gamine. Elle parle franc, elle parle vrai, ne recule pas devant les gros mots en dépit d’une éducation bourgeoise de jeune fille rangée qui est loin. Elle a l’intelligence limpide de ceux qui ne mentent jamais.

Brigitte a toujours foncé, droit devant elle. Au début des années soixante, elle découvre l’horreur des abattoirs. A cette époque, il n’était même pas question d’étourdissement. Elle s’est faite zootechnicienne pour expliquer que la mort, on pouvait la donner autrement, avec moins de souffrances. Elle avait étudié la question. Elle venait sur les plateaux télé avec un « matador » de démonstration. En 1964, le gouvernement publie un décret : dorénavant les animaux devront être étourdis. Fort bien. Mais il est inutile de préciser que, depuis, la régression a été spectaculaire. Ce qui a déclenché les foudres de Bardot. Aujourd’hui, une proportion importante d’animaux sont égorgés sans étourdissement préalable pour des raisons essentiellement religieuses. Pour Brigitte, cela est tout simplement insupportable.

Abandonner le cinéma, d’accord, mais après ? Elle le reconnaît, « le tournant a été très dur. Tout d’un coup je me suis retrouvée à ramasser des crottes à la SPA ! »
Elle crée la Fondation Brigitte Bardot en 1976. Mais ce sera un échec et la structure fermera ses portes au bout de quatre mois. Au moins aura-t-elle appris de cette expérience. La seconde fondation ne verra le jour que beaucoup plus tard, en 1987. Pour être aujourd’hui une référence absolue en matière de protection des animaux, avec 15 millions d’euros de budget annuel, 110 salariés permanents, et un rayonnement dans 70 pays du monde. Entre ces deux dates, Brigitte ne reste pas les bras croisés.

Un événement fondateur

Il y a cet épisode décisif de son voyage sur la banquise canadienne en 1977. Pour Brigitte, un événement fondateur. Le documentaire y consacre de longues minutes. Car c’est grâce à Brigitte Bardot que le monde occidental, médusé, assistait à l’un des crimes les plus odieux qui soient commis sur les animaux (les exemples ne manquent pourtant pas) et sur l’innocence. Pour elle, c’est une sorte de voyage sans retour puisqu’il enracine encore plus fort le désir de se battre contre des actes qu’elle considère à raison comme des scandales, de la barbarie pure… Lors de cet épisode, pourtant, rien ne lui aura été épargné. Les autorités canadiennes veulent lui couper l’herbe sous le pied. Elle résiste. Le documentaire montre une scène inouïe lors de laquelle elle rencontre des chasseurs (des massacreurs) de bébés phoques. Là encore, elle surprend par son naturel, sa candeur. Elle leur demande « ça vous plaît de les tuer ? ». Elle leur propose autre chose, autrement… Un projet époustouflant. Certains rient sous cape, d’autres attendent que cela se passe. Qu’y a-t-il derrière ces visages fermés, ces regards fuyants ? Que se passera-t-il ensuite pour eux ? Auront-ils été touchés par la grâce ? L’histoire ne le dit pas. Au retour de Brigitte, Valéry Giscard d’Estaing, alors Président de la République, décide d’interdire l’importation de la fourrure de bébé phoque en France. C’est déjà ça. Mais la presse s’acharne contre elle, et cela aura tendance au fil des années à devenir une habitude. Brigitte encaisse, mais continue, sûre de son bon droit, sûre que sa cause est juste. Jamais elle n’est déstabilisée. Ne peut l’atteindre au plus profond d’elle-même que la souffrance des bêtes. Elle dit « J’ai mal… J’ai mal… ».

Brigitte Bardot est née à 38 ans. Elle a laissé les oripeaux et les paillettes de la gloire pour entrer d’une certaine façon dans une autre Histoire qui lui vaudra une célébrité plus dense, plus durable sans doute. Elle a fait le choix du progrès, de l’intelligence et de l’ouverture à l’altérité. Elle a surtout choisi d’aller là où la conduisaient son instinct et son émotion, et elle a mis son intelligence, sa fortune et sa notoriété à leur service. Car Brigitte a tout donné. On ne possède pas d’autre exemple d’un engagement plus total. Il serait bien étonnant que chez cette femme entière, intègre dans tous les sens du terme, il y ait quelque arrière-pensée.

Brigitte Bardot, qui a été coutumière des sorties fracassantes et des écarts de langage contre les uns ou les autres, partout où les animaux lui semblaient faire les frais de la brutalité et de la cupidité de l’espèce humaine, n’a pas été épargnée. Comment pardonner à cette femme prise en flagrant délit de trahison de sa propre espèce au profit des autres, les « inférieures » ? Les médias se sont souvent acharnés. Elle a fait l’objet de campagnes injustes, elle a été moquée, attaquée de toutes parts. Elle s’est retrouvée plusieurs fois devant le tribunal pour injures et autres anathèmes. Elle a été condamnée, souvent lourdement. De son propre aveu, elle s’en fout. Elle continue à braver ceux qui s’en prennent à ses chers animaux. Rien ne lui fait peur. Elle ira jusqu’au bout de ses choix.

Qui peut la juger ? Qui aujourd’hui peut rivaliser en sincérité et en engagement avec elle ? Brigitte Bardot représente une espèce en voie de disparation dans un monde qui privilégie l’euphémisme, le consensus et l’apparence. Puisse-t-elle vivre encore longtemps ! Indignée, rebelle, généreuse, flamboyante, Brigitte Bardot est unique. Combien d’années, de décennies, nous faudra-t-il encore pour l’admettre ?

Le serment qu’elle a fait aux animaux jamais ne sera trahi. D’autres générations et, parmi elles, d’autres âmes incandescentes le reprendront à leur compte. Le combat sera long. Et, dans les moments de découragement et de colère, c’est à Brigitte Bardot, à sa force et à son courage qu’il faudra penser.

JB