La commune d’Allanche, dans le Cantal, est connue pour sa fête de l’estive : à la fin du printemps, les troupeaux de vaches salers sont conduits sur les hauteurs, là où ils trouveront, pendant tout l’été, une herbe grasse et fraîche, avant d’être redescendus lorsque les temps plus froids s’annoncent. Du moins, c’est comme cela que l’on procédait, jadis.
Aujourd’hui, l’élevage extensif n’est plus vraiment la règle, sauf exceptions. Les animaux d’élevage sont tellement nombreux (il faut bien nourrir tout le monde !) que les vaches ne quittent plus leur plancher, et que les volailles, cochons, moutons et autres couvées doivent se contenter de conditions de vie nettement moins agréables.
Mais on entretient le mythe… C’est le but de la fête de l’estive d’Allanche, à laquelle les gogos se pressent pour voir passer leurs steaks. La fête de l’estive à Allanche, c’est comme la saint-cochon à Besse. Ça sent bon la ruralité, la viande fraîche et le tourisme local. Cette année, la municipalité et son maire ont voulu faire encore plus fort. Innover. C’est que la ruralité triomphante a un rêve secret : devenir Disneyland. On veut offrir du spectaculaire aux populations désœuvrées. Et les ruraux auvergnats ont fait appel aux ruraux alpins qui, eux, jouent dans les cour des grands. La montagne à vaches n’aura jamais été si bien nommée. Le samedi 23 mai, la fête de l’estive a donné lieu à une attraction qu’on n’est pas près d’oublier : le « combat des reines ».
« On n’avait jamais vu ça en Auvergne », déclare, satisfait, au journal La Montagne Philippe Deiber, président de la fête. Le « combat des reines », ça ne parle pas aux béotiens qui ne s’intéressent que de fort loin à nos belles traditions rurales. Il s’agit d’un rituel bovin de domination destiné à désigner la vache qui sera digne de mener le troupeau. Deux vaches hérens, une race que l’on trouve dans les Alpes, se défient et se combattent jusqu’à ce que l’une des deux renonce. Les grands espaces résonnent parfois de ces coups de corne titanesques qui, cependant, sont plus spectaculaires que dangereux. Il s’agit en effet moins de faire mal que de montrer qu’on est le plus fort. D’habitude, chez les mammifères, ce genre de comportement est plutôt réservé aux mecs, mais, comme disait Simone de Beauvoir, on ne naît pas femme, on le devient… La prétendue douceur des dames, bipèdes ou pas, n’est peut-être après tout que question de culture, de conditionnement, ou d’éducation…
Les animaux que nous sommes ont toujours aimé se faire la guerre, batailler pour ceci ou pour cela, se dominer, s’assassiner. Mais on ne dédaigne pas, à l’occasion, de regarder les autres espèces en faire autant (voir combats de chiens, de coqs, de chiens contre sangliers, d’ours contre chiens, de chevaux, etc.), enfin d’imaginer toutes les variantes possibles de ces passe-temps éminemment sains et stimulants pour l’esprit.
Un combat de vaches ! Après ça, qui osera les traiter de mollassonnes ? Allanche n’a peut-être pas inventé l’eau chaude, mais bien l’importation de traditions alpines dans notre belle Auvergne, ce qui n’est pas rien, tout de même !
Vu l’état déliquescent de la société du spectacle, il est certain que l’exemple d’Allanche va faire des petits. Même des petits veaux car, avec un petit coup de pouce de l’Inra qui s’y connaît en manipulations génétiques, peut-être qu’un jour ce sera les gentilles charolaises qui deviendront des vaches de combat et qui se mettront une pâtée de tête à la place des irascibles alpines…
Mais que signifient ces combats dénaturés, qui ont une véritable signification et aussi une utilité certaine au sein d’un troupeau en semi-liberté, et qui ne veulent plus rien dire lorsqu’on en fait des attractions de foire ?
Toujours pour le journal La Montagne, le président de la fête ajoute : « Les hérens sont décrites comme des vaches à caractère belliqueux, avec un besoin de domination… » Nous voilà en plein cours d’éthologie pour les nuls. De la même façon qu’il y aurait de « taureaux de combat », il y aurait des « vaches combatives », ou plus exactement des « peaux de vaches », et celles-ci, comme leurs infortunés cousins dits « de corrida » seraient bien entendu ravies de participer à nos fêtes, nos estives festives et autres festivals de la connerie…
A Allanche, il y a eu quatre « combats ». Ça ne vous rappelle rien ?
Une fois qu’on aura bien rigolé avec les salers menées en grandes pompes à l’estive, les hérens sur le ring, on conduira les animaux pour une autre transhumance, là où est leur « destin », direct à l’abattoir…
Quant aux vaches hérens, elles auraient, selon le journaliste, « une hiérarchie basée sur la loi du plus fort ». Il voulait dire sans doute de « la plus forte ». Oui, enfin, à ce jeu-là, l’animal bipède les bat à plate couture…Tiens, on va peut-être se fendre d’une pétition pour demander l’interdiction des loisirs basés sur l’utilisation forcée des animaux. Mais ça s’est peut-être déjà fait, non ?
Josée Barnérias
Illustration: Christof Berger, Combat entre deux vaches à la Foire du Valais à Martigny en 2006 (Wikipédia)
La prose de Josée est un plaisir en soi ! Une pétition de plus ? oui, pourquoi pas, puisqu’il s’agit d’empêcher la création d’une « tradition » locale nouvelle… !! Les animaux ne sont pas à la fête…
Oui je suis prête à signer une pétition pour faire arrêter ça.
Heureusement que les animaux sont enfin considérés comme des êtres sensibles… j’ai déjà lu de telles pratiques avec les vaches lors des estives en Suisse et comme on copie toutes les horreurs des autres on se croit malin d’en faire autant… c’est désolant.
Excellent Josée, toujours le mot qui fait mouche!
Déjà que les vieilles traditions locales ont la vie dure, manquerait plus qu’ils nous en inventent des nouvelles maintenant! Il va falloir tuer cette initiative dans l’œuf avant qu’elle ne fasse des petits!