De la compassion à la colère
Le 17 janvier 2012, 181 animaux de compagnie (135 chiens adultes, treize chats, et des chiots) étaient saisis dans un élevage-usine du Maine-et-Loire, à Chigné, près de Saumur. En première ligne, la Cellule anti-trafic de la SPA et celle qui la dirige depuis vingt ans, Brigitte Piquetpellorce, accompagnées par la Brigade de recherches de la gendarmerie de Saumur.
Il ne s’agit là de rien d’exceptionnel –même si, cette fois, les conditions de survie des animaux étaient, de l’aveu des témoins, particulièrement sordides– car la Cellule anti-trafic est à l’origine de bien des actions de ce type. Il n’empêche : le souhait de Brigitte Piquetpellorce serait que tout aille encore bien plus vite et bien plus loin? Brigitte, qui a derrière elle un long passé de militante pour la cause animale, a bien voulu, pour La Griffe, parler de son parcours, de son travail, de sa révolte devant la souffrance animale et de sa colère devant l’inertie des pouvoirs publics.
Vingt ans d’enquêtes
« La Cellule anti-trafic (CAT) est née officiellement en 1993 grâce à Jacqueline Faucher, qui était alors présidente de la SPA. Mais un an plus tôt, j’avais déjà commencé à faire des enquêtes. J’avais 72 dossiers en cours. »C’est à Narbonne, où résidait alors Brigitte Piquetpellorce, que la CAT est née. En 1998, la structure s’est installée, en même temps que Brigitte, à Vichy, dans l’Allier, où elle se trouve toujours.
En 1995, Brigitte Piquetpellorce avait publié un livre témoignant de son expérience. Épuisé, il est aujourd’hui introuvable, parce que non réédité.
« J’avais commencé à m’intéresser aux trafics d’animaux en 1990, à la suite de ce que l’on appelé le procès d’Agen. C’était une histoire de vols de chiens pour des labos. J’ai découvert le désespoir des gens à qui l’on avait arraché leur compagnon. Le principal accusé était un scientifique de renom qui postulait pour le prix Nobel. On a travaillé sur les vols pendant quelques années, et puis les combats de chiens, avec l’introduction des pitbulls en France, ont fait leur apparition. On avait repéré cinq individus qui étaient à la tête de tout le trafic. On a déposé une plainte qui a été classée sans suite. Le phénomène, par la suite, s’est étendu aux banlieues. Nous, on avait dès le début prévenu les autorités mais rien n’a été fait. Ces chiens étaient rendus fous par les maltraitances qu’ils subissaient. Plusieurs années après, il y a eu l’assassinat programmé de tous ces chiens(cf. la loi de 1999 sur la catégorisation des races de chiens, NDLR)? Comme d’habitude, on a mis des rustines, sans s’inquiéter du fond du problème. »
C’est à partir du milieu des années 90 que la CAT s’est intéressée de près aux importations illégales d’animaux de compagnie depuis les pays d’Europe de l’Est. Il s’agissait de chiots, essentiellement (deux chatons pour 100 chiots). « Les importations étaient légales, mais il y avait des conditions bien précises à ce commerce. Des conditions qui n’étaient quasiment jamais respectées. Nous nous sommes rendus dans les républiques slovaques, on a dénoncé. On a été beaucoup aidés par la brigade des enquêtes vétérinaires et phytosanitaires qui dépend du ministère de l’Agriculture. On a pu faire tomber des tas de réseaux. » Et Brigitte d’ajouter : « On est les seul à se battre contre ça. On continue à s’occuper des vols et des importations illégales en provenance de l’Est ou de pays tiers comme la Russie ou l’Ukraine. »
À Chigné, l’horreur
Mais il n’y a pas que cela. Les élevages-usines, où les chiennes reproductrices sont parquées dans des hangars sales, insalubres, sans jamais voir la lumière du jour, qui sont contraintes de produire deux à trois portées par an ; qui meurent prématurément par manque de soins, de tumeurs mammaires ; qui sont tuées lorsqu’elles ne servent plus à rien… Ces lieux sordides, honteux, existent aussi en France, gérés par des « éleveurs » qui ne sont que modernes esclavagistes, étrangers à toute compassion, mués par leur seule cupidité.
« Je veux dénoncer les élevages en France »,affirme Brigitte Piquetpellorce. Depuis 2005, grâce à la CAT, 3.000 animaux ont été saisis, une majorité de chiens, mais aussi des chats.
« Des tumeurs mammaires grosses comme des pamplemousses »
Revenons à Chigné, le 17 janvier 2012. Ce jour-là, lorsque l’équipe de la CAT, les bénévoles et les gendarmes sont entrés dans les locaux où étaient parqués les animaux, ils sont restés muets de stupéfaction : « L’élevage appartenait à un type qui avait déjà commis des horreurs, qui avait changé de lieu plusieurs fois, qu’on avait perdu de vue puis fini par retrouver. La première fois qu’on s’est rendus chez lui, il ne nous a pas laissé entrer. La seconde fois, il était moins méfiant, on a réussi à s’introduire dans les bâtiments . On a vu ce qui se passait. On a déposé une plainte et on est revenus sur le terrain avec la brigade de recherches de Saumur. Personne n’arrivait à parler, tellement c’était horrible. Les chiennes reproductrices souffraient toutes de tumeurs mammaires dont certaines étaient grosses comme des pamplemousses. Une chienne de treize ans, aveugle, venait de subir une césarienne. Il y avait un chiot qui ne pouvait pas marcher à cause d’une malformation des pattes arrières. Il faisait très froid. Les chats, c’était encore pire. Ils étaient enfermés dans une sorte de cagibi, dans l’obscurité totale, ils avaient tous les paupières collées par le pus, ils étaient recouverts de puces, de croûtes. Les chiens, il y en avait de toutes sortes, des petits, des gros? Des sharpei, des boxers, beaucoup de petites races? Ce genre d’élevage livre essentiellement les animaleries, et il ne s’agit pas d’un cas isolé, loi s’en faut. »
Les cages dans lesquels vivaient les chiens, à Chigné.
Trop tard?
Des affaires comme celle-ci, Brigitte en a rencontré beaucoup, beaucoup trop. Elle cite le cas d’« un type, qui, dans les années 80, avait été condamné pour des actes de cruauté sur les animaux. Plus tard, on le retrouve dans l’Allier. Il avait obtenu l’autorisation d’implanter un élevage de 600 chiens ! Il existe beaucoup d’élevages avec des milliers d’animaux, qui approvisionnent les animaleries. Il ne faut surtout pas acheter dans les animaleries, mais aller dans les refuges. On y trouve des chiens merveilleux.Aujourd’hui tout le monde veut un chiot à tout prix, cette mode commence à me gonfler. Les gens n’en ont rien à foutre des animaux, ils font n’importe quoi. La plupart du temps, ils ne savent même pas les élever. »
Le 21 février 2011, la CAT avait retiré 224 chiens, dont douze chiennes avec leurs chiots, dont certains étaient à peine âgés d’une semaine, près de Dreux, à Tremblay-les-Villages. Ils vivaient dans une ancienne porcherie, sale et délabrée, sans chauffage ni lumière. Ils souffraient de dermites causées par les piqûres de puces, de gale des oreilles, ils avaient peur de l’homme. Une plainte a été déposée. En août 2011, les éleveurs, dont un avait déjà été condamné en 2005 pour mauvais traitements, ont été condamnés chacun à six mois de prison et 2.000 euros d’amende, assortis de l’interdiction de pratiquer le métier d’éleveur pendant cinq ans. Ils devaient en outre verser 50.000 euros de dommages et intérêts à la SPA.
Mais cette victoire, ce n’est que peu de choses au regard d’une réalité terrible.
« On monte environ 500 dossiers par an. On reçoit à peu près 500 dénonciations de lieux horribles. On a des dossiers en cours d’instruction. Les plaintes pour importation illégale ne sont jamais classées sans suite. En revanche, lorsqu’il s’agit d’élevages sur le sol français, les DDPP (*) minimisent systématiquement les faits. Et pourtant, 80% des élevages sont pourris. Les procureurs, débordés, classent sans suite. Les parquets ont, d’une manière générale, beaucoup de mal à retenir la maltraitance animale. Ça les embête. Pourtant, elle est flagrante. Nous, on ne s’amuse pas à faire n’importe quoi. On tient à rester crédibles. On a un réseau de gens qui nous font confiance. Mais on n’avance pas comme on le souhaiterait. On est trop peu nombreux, c’est mon gros chagrin(l’équipe de la CAT est constituée de cinq personnes, NDLR). Et puis, quand on dépose une plainte, on n’aboutit que plusieurs mois, voire plusieurs années après. Et souvent c’est trop tard . Dans le Nord, on avait déposé une plainte contre un élevage de chiens en batterie en 2008. En 2009, on attendait toujours que quelque chose se passe. Un jour, on a appris que tous les chiots étaient morts brûlés vifs? Pourtant, les gendarmes étaient prêts à intervenir. C’est la DDPP qui a fait traîner. Quand j’apprends des trucs comme ça, ça me rend folle. C’est plus facile d’aller quatre fois de suite dans un refuge surpeuplé et d’exiger des euthanasies ou encore d’aller emmerder des éleveurs qui font correctement leur boulot que de s’occuper de sauver des vies? »
« Quatre-vingt pour cent des élevages sont pourris »
Brigitte ne baisse pas les bras, bien que le temps et les horreurs vues et dénoncées sans relâche eussent pu avoir un effet érosif sur l’enthousiasme des débuts. La rage cependant demeure, et une immense compassion aussi, que les années n’ont pas entamée. « Les porcs en batterie, c’est une horreur. Les chiens, c’est encore pire au vu de la confiance naturelle qu’ils ont dans l’homme. Ils sont d’une intelligence et d’une sensibilité inouïes. Ce n’est peut-être pas exotique de s’occuper des chiens, mais c’est quand même l’animal le plus proche de nous. Il y a dans le regard des chiens toutes les émotions de la vie, jusqu’à la poignante interrogation devant nos cruautés humaines. »
 
; Propos recueillis par Josée Barnérias
(*) : Directions départementales de la protection des populations, anciennement Directions départementales des services vétérinaires.
* ** *** ** * ** *** ** *
Le lien d’une vidéo que nous a transmis Brigitte :
http://fbasenji.canalblog.com/archives/2012/02/26/23611069.html#trackbacks