La chasse pour cible
La chasse fait partie de ces « loisirs » dont l'objectif laisse songeur : ne s'agit-il pas, avant tout, de blesser et/ou de tuer, sans vraie raison, des animaux qui auparavant vivaient libres ? Il y a là comme un grain de sable dans la machine. C'est pour démonter la machine et débusquer le grain de sable que La Griffe avait organisé une conférence, à Clermont-Ferrand, avec Pierre Athanaze, le président de l'Aspas (Association pour la protection des animaux sauvages). « La chasse : massacres et abus de pouvoir », en était le thème, reprenant en cela le contenu du Livre noir de la chasserécemment publié par le susdit.
Un grain de sable qui a tout de la montagne, du roc, du pic. Car, enfin, on pourra bien prétendre — comme le font les chasseurs qui savent manier l'euphémisme — ne faire que « prélever », ou « réguler »? Il n'en demeure pas moins que chasser, c'est tuer. Chaque année, plus de 30 millions d'animaux à poils et à plumes périssent par les armes diverses, blanches ou à feu, ou de façon plus lente et plus douloureuse encore… Cette prémisse une fois posée, on peut aller plus avant dans le sujet.
Pierre Athanaze, président historique de l'Aspas, maîtrise son propos. Mais avant de se livrer à la démolition, pièce par pièce, comme on démonte un fusil, du « sport » cynégétique, il a tenu à préciser que chacune des assertions qui se trouvent dans Le Livre noir de la chasse est vérifiable.
Vènerie et autres horreurs
La France entretient avec la chasse une relation tout à fait particulière. Il s'y trouve, par rapport aux autres pays d'Europe, le plus grand nombre de chasseurs (1.200.000). On y détient le record absolu du nombre des espèces chassables(91 à ce jour) . Enfin, c'est également en France que le calendrier compte le plus grand nombre de jours de chasse, c'est-à-dire 365, sauf les années bissextiles, et cela de jour comme de nuit?
Le tir de Pierre Athanaze n’est que fictif…
Pierre Athanaze accuse. Les massacres, d'abord : les chasseurs prétendent qu'ils « régulent » les espèces. Faux, répond le militant. La biodiversité est gravement menacée par la pratique cynégétique. Et Athanaze de citer des exemples, comme celui du grand tétras, appelé aussi coq de bruyère, dont ne subsistent plus que quelques poignées d'individus et que l'on s'obstine à tirer, condamnant ainsi l'espèce à une mort annoncée, ou celui du loup.
Le conférencier a rappelé que, avant 1973 et la loi de protection des rapaces, ceux-ci étaient en inquiétante diminution. Ce n'est qu'avec cette mesure de protection que les effectifs ont doucement pu reprendre leur envol. Il en va de même de dizaines d'espèces, traquées, exterminées, terrorisées. Comme pour le blaireau, «la chasse la plus cruelle d'Europe ». Et le conférencier d'expliquer en quoi consiste cette abomination dont sont victimes, en France, chaque année, des milliers de ces animaux paisibles, mangeurs de vers de terre et de racines? « On envoie dans les terriers des chiens de petite taille, fox, jack russel. Ils vont au fond du trou et harcèlent l'animal, le mordent, cela peut durer entre deux et huit heures. Au-dessus, les chasseurs creusent, jusqu'à pouvoir saisir le blaireau avec de longues pinces, par le museau. Là, ils le tuent en le poignardant ou alors ils le jettent, blessé, terrorisé, aux chiens. » On appelle cela la vènerie sous terre. En 2011, 3.500 blaireaux ont ainsi été massacrés dans le département de la Côte d'Or. Et les blaireaux ne sont pas les seuls concernés. Il y a aussi les renards, les ragondins? « En France, on compte 3.000 équipages, ce qui représente 40.000 chasseurs? » Au passage, le blaireau est protégé dans bon nombre d'autres pays d'Europe. Au niveau de la cruauté, l'enfumage n'est pas mal non plus, « une pratique scandaleuse? ». Il y en a d'autres?
Et les pièges, réservés aux espèces « nuisibles » : « Ils ne sont pas sélectifs. N'importe quel animal peut se trouver pris, y compris les animaux domestiques. Nous demandons l'interdiction des pièges tuants. » Chaque année, les pièges tuent des milliers d'animaux sauvages et des dizaines d'animaux domestiques.
Braconnage et prosélytisme
Également dans le collimateur de Pierre Athanaze, les chasses dites traditionnelles : « Il y a quelques siècles, la chasse était interdite aux gens du peuple. Ils usaient de certaines méthodes pour capturer les animaux. Mais, aujourd'hui, ces méthodes n'ont plus lieu d'être et, pourtant, elles perdurent encore. » Il faut dire qu'elles sont particulièrement cruelles : pièges à la glu, tendelles? Les braconnages sont interdits, mais tolérés. L'ortolan, espèce protégée, est un mets particulièrement apprécié des grands de ce monde qui n'hésitent pas à payer des fortunes pour en mettre dans leur assiette? Pour la petite histoire, François Mitterrand était un grand amateur d'ortolans. « La tourterelle des bois a été braconnée jusqu'à il y a seulement quelques années. En Ardèche, au col de l'Escrinet, on a coutume de braconner les pigeons au mois de mars? ».Et la liste des prédations, des exactions, de s'allonger démesurément au fil du discours?
Athanaze dénonce la chasse dans les espaces protégés, dans les parcs nationaux, dans 70 % des réserves naturelles. Les accidents de chasse, en 2009, ont fait 17 morts. Des accidents de moins en moins sanctionnés. « Dans le canton de Genève, la chasse a été interdite il y a vingt-cinq ans. Et c'est loin d'être la catastrophe que certains nous annonçaient? » En fait, on a remarqué que les espèces s'autorégulaient, que les équilibres se mettaient en place, et que l'homme n'avait que rarement à intervenir. D'après le conférencier, c'est l'exemple qui rend fous les chasseurs. Comment prétendre, après cela, que la chasse est nécessaire ? Cela est un mensonge, scandaleusement corroboré par les plus hautes instances de nos sociétés. « Depuis 1994, huit lois favorables à la chasse ont été votées par l'Assemblée nationale, dont les dernières en 2012 : le parti des Verts a été le seul à voter contre. Tous les autres ont approuvé. » Le législateur a créé une niche fiscale pour les chasseurs. Si vous louez un terrain aménagé pour la chasse, vous ne paierez pas d'impôts. Le 4 mars 2012, une convention de partenariat pour l'éducation au développement durable a été signée entre le ministre de l'Écologie et celui de l'Éducation nationale. Et Pierre Athanaze de s'insurger : « Ceci revient à donner aux chasseurs le droit de faire du prosélytisme à l'école ! » Un droit que n'ont pas les associations de défense de la nature, ni — a fortiori — les associations de protection des animaux.
Mais ce n'est pas tout : le décret n° 2010-603 du 4 juin 2010 a créé une contravention pour « obstruction à un acte de chasse » ! On est passé bien près d'une loi que voulait imposer le sénateur Ladislas Poniatowski. Il faut dire que la chasse est particulièrement appréciée de nos parlementaires. Àl’Assemblée nationale, le groupe « chasse » est celui qui compte le plus de députés : 160 sur 577. Le second est le groupe « pauvreté, précarité, sans-abri ». Qui n’en compte pas même la moitié !
La liberté de l'Aspas
Quant à l'organisation des sociétés de chasse, entièrement inféodées à la toute puissante Fédération nationale, elle mérite aussi que l'on s'y attarde. « On demande que les associations de chasse acquièrent un statut d'associations de droit privé. Que la liberté de choix soit donnée aux adhérents. On milite pour une recomposition démocratique des instances consultatives(jusqu'ici, les chasseurs y figurent majoritairement ?NDLR), pour une agence nationale du patrimoine naturel et de la diversité biologique qui devra comprendre en son sein un pôle national de police de la nature. »
Un petit tour d'horizon des différents ministres de l'Environnement qui se sont succédé : le meilleur, Yves Cochet, qui n'est resté que quelques mois à la fonction. La pire : Roselyne Bachelot.
L'Aspas lutte de toutes ses forces. Sur le terrain juridique, où elle remporte souvent des victoires, qui sont vite balayées par de nouvelles décisions, mais aussi sur le terrain tout court. Elle aide les particuliers qui veulent interdire la chasse sur leurs terres. Et c'est beaucoup moins simple qu'il n'y paraît. L'Aspas est à l'origine de tout un réseau de « refuges nature ». Avec 10.000 adhérents, elle est la deuxième association de protection des animaux sauvages après la LPO. Elle a engagé jusqu'à présent plus de 2.000 procédures « C'est une véritable guérilla entre le ministère et l'Aspas. On a créé une jurisprudence. On ne touche pas de subvention, on ne profite pas de l'argent public. Et c'est pour cela que nous sommes libres. Nous faisons ce que nous voulons. Nous sommes rarement invités dans les salons. Mais quand je me rase, le matin, je peux me regarder dans la glace. »
Christian Bouchardy, le naturaliste Vert, qui est aussi vice-président du Conseil régional, était présent à la conférence organisée par La Griffe, pour voir Pierre, qui est l'un de ses amis, et le soutenir. « Je veux rendre hommage à l'Aspas, a-t-il déclaré, pour le combat qu'elle mène sur le plan juridique. On a tendance à sous-estimer les lois de protection de la nature. Les associations comme l'Aspas
représentent la dernière chance de rester connecté avec notre univers. Il n'y a rien de mieux que l'animal. Le combat pour l'innocence est noble et merveilleux. C'est un combat altruiste. En le livrant, on favorise ce qu'il y a de plus noble dans l'homme. Si on n'a pas d'amour en soi, on ne peut pas militer bien longtemps. »L'homme politique regrette amèrement, en outre, que la chasse inculque la peur de l'homme chez les animaux : « Nous ne pouvons plus les voir évoluer librement, parce qu'ils se terrent. Les chasseurs ont réussi à faire que des animaux diurnes deviennent des animaux nocturnes. »Et Pierre Athanaze de surenchérir : « On a droit à la faune sauvage, à la voir vivre et évoluer librement ! »
Ce n'est qu'au bout de près de trois heures de paroles données et échangées que le représentant de l'Aspas délivrait sa conclusion, en forme de message : « Le fait qu'il s'agisse d'une espèce protégée ou pas ne doit pas être un critère pour tolérer la chasse. On n'a pas le droit de dire que ce n'est pas grave de chasser tel ou tel animal par n'importe quel moyen, du moment qu'il y a le nombre. On n'a pas à faire souffrir les animaux pour se divertir. On est aujourd'hui devant des problèmes éthiques très importants? Les associations de protection de la nature doivent désormais s'engager sur les traces des associations qui défendent les droits des animaux? »On ne saurait mieux dire?
Josée Barnérias