Des tortures « immatérielles »…

 

Il ne suffisait pas à l’État de rester immuablement inerte en matière de protection des animaux… Voilà que le ministre de la Culture décide d’officialiser le bien-fondé de la pratique tauromachique en l’inscrivant au patrimoine immatériel de la France.

 

Corrida de Rejon - Arènes d'Arles

 

L’immatérialité de la souffrance du taureau saute aux yeux…Photo Jérôme Lescure, Minotaure Films

 

 

 

Douce France?

Dans notre beau pays, pas question d’embêter les tortionnaires d’animaux ! Les élevages où sont régulièrement bafouées les règles élémentaires de protection animale ; les transports scandaleux des animaux de « rente » ; les abattoirs qui pratiquent de plus en plus fréquemment l’abattage sans étourdissement (80 % des ovins et des caprins, 20 % des bovins, des millions de volailles, et même des chevaux) : tout cela n’intéresse que fort peu les services de l’État, qui ont autre chose à faire… Des associations ont réalisé des enquêtes et des films en caméra cachée qui ont mis en lumière de graves infractions (voir le site de L214 : transport des chevreaux et des agneaux et abattage des animaux de ferme). Pas de réaction…

L’Europe interdit très clairement l’alimentation forcée des animaux, donc le gavage des oies et des canards. La France n’en a que faire : elle produit 80 % du foie gras consommé dans le monde (voir le site de Stop Gavage).

Aucune mesure n’est prise pour effectuer un contrôle des naissances des animaux de compagnie, ni a fortiori pour en « moraliser » le marché. Résultat : des refuges pleins à craquer, et des dizaines de milliers de mises à mort (sobrement appelées euthanasies) chaque année… D’innombrables chats errants vivent et meurent dans la peur et la souffrance, lorsqu’ils ne sont pas exterminés de diverses façons (fusils, poison et autres) par les communes elles-mêmes.

Et que dire des animaux destinés à l’expérimentation « scientifique » ? La France, avec 2 millions d’animaux sacrifiés par an, est le pays d’Europe qui « consomme » le plus de « cobayes » : souris et rats, mais aussi chiens, chats, chèvres, porcs et primates…

Dans la même veine, notre pays tolère allègrement les cirques avec animaux sauvages alors que, dans nombre d’autres pays, on commence à se poser sérieusement des questions.

Tout est fait pour que les chasseurs puissent tuer en paix ce qu’ils veulent et quand ils le veulent, avec la bénédiction du ministère de l’Environnement. Les préfets se font un plaisir de classer en nuisibles toutes les espèces qui ne sont pas protégées pour satisfaire à la demande des Nemrod qui, ainsi, grâce aux battues dites « administratives », peuvent se livrer toute l’année à leur loisir favori : dégommer systématiquement renards, sangliers, chevreuils, blaireaux, martres, fouines, pigeons, corbeaux, etc., douloureusement si possible… L'odieuse vénerie est en passe de devenir elle aussi une « exception culturelle ».

 

Affligés et honteux?

Et voilà que, délicatement, une cerise rouge sang vient se poser sur le gâteau… Il ne suffisait pas que cette pratique honteuse qu’est la corrida, obsolète, archaïsante de surcroît, soit acceptée avec une complaisance qui frôle l’encouragement… Désormais, elle est officiellement inscrite au « patrimoine immatériel de la France » par décision du ministère de la Culture, à qui l’on doit cette touchante reconnaissance, attendue — ô combien ! — par l’Observatoire des cultures taurines, une instance créée en 2008 pour faire plaisir aux aficionados.

André Viard, président zélé de ce même OCT, s’est, on le comprend, réjoui de cette décision qui, pour lui, constitue « une mesure de sauvegarde en soi » : « Àcompter de ce 22 avril, date historique (la décision date de janvier, mais l'information a tardé, NDLR), la tauromachie est donc inscrite sur la liste du patrimoine culturel immatériel français, la France devenant le premier pays taurin au monde à effectuer cette démarche qui, il est important de le souligner, obéit exclusivement à des critères scientifiques »… On appréciera particulièrement les « critères scientifiques ». Science sans conscience…

En prenant cette mesure, l’État français ouvre en grand la porte de la reconnaissance de la corrida par l’Unesco, et barre la route à ceux qui désirent plus que tout voir une bonne fois pour toutes ces séances de torture publiques, clinquantes et obscènes, disparaître du paysage de notre Sud qui vaut peut-être mieux que cela.

Car on a beau habiller la corrida d’une orgie de couleurs, de costumes, de rituels, de fanfares claironnantes, de chorégraphies, de subtilités techniques et d’un glossaire hispanisant, elle n’en restera pas moins une boucherie ignoblissime.

Nous ne voulons plus de la corrida ! Nous la chassons ! Nous la prions de déguerpir, de quitter nos antiques arènes, de ne plus souiller le sable doré de nos villes du Sud.

Qu’attendent les députés pour se saisir enfin de cette aberration, de ce monument de ridicule, de morgue et de suffisance, et de l’envoyer là où est sa vraie place : dans l’armoire aux souvenirs infamants, celle dont on préfère généralement égarer la clé après l’avoir fermée à double tour ?

Que signifie cette reconnaissance, sinon un encouragement franc et massif du gouvernement français (André Viard doit y avoir quelques bons amis) envers les « tauromaniaques » à se frayer un chemin à coups de pique et d’épée jusqu’au patrimoine de l’Unesco. Déployons toute notre énergie pour leur barrer la route !

Car nous sommes affligés, honteux pour notre pays. Il va falloir intensifier la lutte. La corrida est emblématique. Derrière l’ombre noire et massive du taureau appelé au sacrifice, c’est une longue cohorte d’animaux martyrisés qui attendent qu’on leur rende justice.

– Dis, c’est encore loin, la civilisation ?

– Tais-toi et tue !

                           &
nbsp;                                                                                                 Jeph Barn

 

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La Griffe écrit au ministre de la Culture :

Monsieur le Ministre,

Vendredi 22 avril. L'on nous apprend, avec quelques mois de retard, cette accablante nouvelle : vous avez inscrit la corrida au patrimoine immatériel de notre pays, lui offrant ainsi la reconnaissance de l'État !

Stupeur parmi tous ceux qui se battent pour que la cruauté gratuite, ignoble, même si elle est revêtue de falbalas théâtreux, disparaisse enfin de nos horizons? Que pouvons-nous y voir, si ce n'est une régression insupportable des m?urs de ce pays, qui n'avait pas besoin de cela ?

Ne nous voilons pas la face : vous encouragez la torture des animaux pourvu qu'elle sauve les apparences, qu'elle soit spectaculaire, qu'elle soit accompagnée de strass, de bruit et de couleurs et justifiée par un discours qui est à la culture ce que le sophisme est à la philosophie. Quelle sorte de pays sommes-nous ? Quelle sorte de ministre êtes-vous ?

Honte sur nous ! Nous avons honte et nous avons mal de cette décision.

La Griffe, association d'alerte et d'information contre les maltraitances animales, vous fait part, aujourd'hui, et solennellement, de son indignation profonde?

Car, avec ce genre de décision, Monsieur le Ministre, je crains que notre pays ne s'éloigne dangereusement de la civilisation et du sens de l'Histoire?

Avec nos salutations respectueuses,

Pour La Griffe,

           Josée Barnérias, présidente.