Covid-19 : alors, c’est quand qu’on va où ?
Josée Barnérias
Avec un peu d’imagination, on pouvait échafauder des scenarii d’anticipation. Deux mois de confinement des populations, un ciel clair, des rues vides, des places nettes, et tous ceux que d’ordinaire nous pourchassons, nous anéantissons, nous forçons à la débâcle, pouvant enfin goûter quelque salutaire répit… Beaucoup d’entre nous y voient une page tournée vers le mieux…
Gueules de bois
Ne soyons pas naïfs. Il serait bien étonnant qu’à la faveur du chamboulement de nos vies, de nos sociétés, par le Covid-19, de nouvelles visions du monde, plus bienveillantes, moins dévastatrices, plus empathiques, émergent enfin. Confrontés à encore davantage de difficultés, les représentants de l’espèce humaine risquent de ne pas se montrer sous leur meilleur jour. Comme d’habitude, les boucs émissaires seront tout trouvés. Les animaux sont les derniers dont on se soucie… Les élevages et les abattoirs n’ont jamais cessé de fonctionner, quant aux chasseurs, on pouvait les imaginer trépignant d’impatience, le doigt sur la détente du fusil. Les loups, les blaireaux, les renards et autres bouquetins ou chevreuils peuvent fissa rejoindre leurs panic rooms.
On a vu des rorquals à quelques encâblures du littoral méditerranéen, des sangliers fous de joie de pouvoir visiter enfin les faubourgs des villes, et tant d’autres, ne se sentant plus systématiquement menacés, sortir de leur trou, de leur cachette, de leur tanière. Les animaux sauvages ont été à la fête pendant quelques semaines. La fête est finie.
Sultane, victime collatérale
Quant à ceux qui ont été confinés avec nous, pour certains la vie fut douce. Pour d’autres, c’était l’enfer. Comme pour Sultane, poignardée et jetée du troisième étage d’un immeuble, au Creusot (71), atroce histoire dont la Fondation 30 Millions d’Amis se fait l’écho. Derrière les murs du confinement, combien de chats, de chiens, et autres petits animaux domestiques ont-ils fait les frais de la brutalité exacerbée par la réclusion imposée ? Combien de pervers et de malades se sont-ils fait la main sur le chat ou le chien de la maison, avant de s’attaquer à la femme et aux gosses ? Bêtes victimes, innocentes, invisibles, pour elles, pas de numéro d’urgence. Pourrons-nous en dresser la liste ? Ce serait bien étonnant tant leur souffrance, muette, est considérée encore aujourd’hui par nos contemporains comme un épiphénomène qui ne vaut guère que l’on s’y attarde…
Homo sapiens serait-il l’espèce maudite qui empêche toutes les autres de vivre (et parfois aussi la sienne) ? Pas question de faire ici l’inventaire des massacres, des trafics, des exterminations, des tortures et des captures… Il y en a trop. Cela saura-t-il se calmer, voire s’arrêter ? Ce qui ne risque guère de s’apaiser, c’est la frénésie avec laquelle nous « produisons » des milliards d’animaux pour leur voler leur pauvre vie, de leur naissance jusqu’à leur mort précoce, juste pour le profit, l’argent, le fric, les dollars, la monnaie… Honte à nous !
Nous exterminons les uns, nous multiplions les autres, juste pour avoir le plaisir de les exploiter. Quelle engeance nous faisons ! Nous aussi, nous nous multiplions, sans doute pour que se perpétuent nos crimes, que nous soyons toujours plus nombreux à en profiter.
La faute à qui ?
Sommes-nous donc aussi mauvais qu’il semblerait ? Nous nous montrons pourtant parfois bien solidaires, larme à l’œil, main sur le cœur. Nous alimentons par nos dons les actions des ONG humanitaires. Nous fondons de tristesse devant le cadavre d’un enfant migrant. A part quelques indécrottables égoïstes, la population d’une manière générale se montre empathique et relativement généreuse (bon, ça n’empêche pas quelques bassesses, quelques méchancetés, on n’est pas parfaits, non plus, hein ?) … Alors, pourquoi ce mur d’indifférence lorsqu’il s’agit de la souffrance des bêtes ? Serions-nous incapables d’imaginer ce qu’elle peut être ? Notre empathie ne peut-elle aller plus loin que la barrière de notre propre espèce (et encore, même là, elle vient souvent à manquer). Manque d’imagination, on dirait. Car qui nous dit que la souffrance des bêtes est si différente de la nôtre ? Qui ? A part ceux qui, n’en sachant rien et n’en voulant rien savoir, ont tout intérêt à ce que tout le monde continue à faire comme eux.
Nous ne sommes pas responsables, alors ? On nous abuse ? On nous fait croire que le petit agneau que l’on met sur sa table le jour de Pâques ou de l’Aïd ou de je ne sais quoi est content d’être là. Que c’est sa vocation. Qu’il est né POUR cela. Que le poisson est né POUR être pêché. Que le renard est né POUR être tué par les chasseurs. Que le taureau est né POUR mourir dans l’arène. Il faut bien pallier l’ignorance par la crédulité.
Greta, réveille-toi !
Nous ne sommes pas responsables des fables qu’on nous sert ? Bien sûr que si, parce qu’une fois qu’on nous les a servies, nous les faisons nôtres, sans trop nous poser de questions, et nous les servons à d’autres, qui eux-mêmes… Bien sûr que nous sommes responsables de tout, de nous-mêmes et du reste. C’est ce qui fait, diraient les inoxydables humanistes, notre grandeur. Modérons ce bel enthousiasme : pour l’instant, notre responsabilité est engagée dans le pire, bien peu dans le mieux. Mais tout cela ne tient qu’à nous.
Notre responsabilité, aujourd’hui, c’est d’opérer un petit retour en arrière. Combien d’entre nous ont-ils pensé que la parenthèse du Covid (qui n’est pas encore refermée, d’ailleurs), quelles que soient ses conséquences, pouvait nous aider à marquer le pas, à battre notre coulpe et à repartir sur des bases moins délétères ? Forts de cette prise de conscience salutaire, saurons-nous dire comme Renaud « Halte à tout ! » ? Et comme lui aussi : « C’est quand qu’on va où ? ».
C’est vrai que le monde a pris une drôle de tournure, en quelques décennies. Oh, il s’était déjà bien préparé faut dire. Rien n’arrive d’un coup. Pas la peine de pleurnicher, maintenant. Greta a raison : ce n’est pas joli joli, et elle n’est pas la seule à le penser. Sauf que Greta, elle ne parle pas souvent des bêtes, ou alors je n’ai pas entendu. Ça manque un peu, je trouve. Alors Greta, tu te réveilles ?
Et si pour voir ce que ça fait, on décidait d’être moins cons ?