Longue marche
 
par temps de chien
 
Aujourd’hui dimanche, encore du gris dehors. Et, comme si ça ne suffisait pas, la neige arrive ! Bon sang, je me dis, ça aurait pu être hier. On l’a échappé belle ! Hier, c’était le 19 janvier. Jour attendu par les animalistes du coin puisque, pour une fois, l’Auvergne allait être à la pointe du combat avec un millier de personnes pressenties pour aller protester contre l’expérimentation animale devant l’élevage de beagles du groupe américain Harlan, à Gannat (Allier).
 
 

Le millier était bien au rendez-vous. Et parmi ce millier, une quinzaine d’adhérents de La Griffe, seule association de la région à être « officiellement »représentée, ou plutôt visiblement : nous nous étions munis de deux banderoles, les deux seules que, pour l’heure, nous possédions.
Il fallait quand même être vaillant pour se rendre, au beau milieu de l’hiver arverne, à Gannat, trou du cul du monde et pourtant, ce jour-là, à la convergence de tous les regards.
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                                                                      La Griffe avec banderoles.
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La manifestation était prévue pour midi… Àpeu près. On était quelques centaines à être ponctuels à la gare, lieu du rassemblement. L’arrivée était sinistre. Des hommes en bleu (des gendarmes, vous l’aurez compris) partout, à chaque coin de rue, à chaque carrefour. Deux cents, il paraît. Un pour cinq manifestants. On n’en demandait pas tant !… En passant devant l’élevage, à l’entrée de la ville, on les voyait s’affairer à dresser de lourdes barrières… Dans le centre, tous les estancos avaient descendu le rideau de fer, juste conséquence d’une désinformation savamment orchestrée : on attendait des hordes sauvages qui risquaient de tout casser ! Faut pas être bien normal pour descendre dans la rue à cause des bêtes… Pas moyen de se sustenter, ni même non plus de faire pipi. La gare n’avait pu fermer sa salle des pas perdus mais avait mis ses toilettes hors service. On ne sait jamais ! Restait une moyenne surface, ouverte –c’était audacieux !– jusqu’à 13 h 30. Il y avait une file d’attente devant les toilettes…
 

 
Plus fort qu’al Qaïda
 
Il ne se contentait pas de faire gris et moche. Un vrai temps de chien ! Aussi il faisait froid et il bruinait… On tournait un peu en rond devant la gare, en attendant les cars qui n’arrivaient toujours pas. Ceux qui venaient du nord de la France étant empêchés par de sévères intempéries qui nous avaient épargnés. Seule distraction dans ces lieux oubliés : la contemplation des bannières et autres banderoles de nos collègues italiens, organisés comme une soirée de Téléthon. Qui a dit que les Ritals étaient brouillons ? Lourde erreur ! Nous, à côté, on avait presque honte ! Ils semblaient plus nombreux que nous les franchouillards, encore très minoritaires et très bordéliques dans nos tentatives de lutte.
 
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                                                                   Les Italiens devant la gare.
    
Mais bon, la manifestation avait une vocation européenne. Les Italiens étaient très présents. Ils sont passés maîtres dans l’art de faire plier les méchants. En juillet 2012, ils ont réussi à faire fermer l’élevage de beagles de Green Hill, à Montichiari.
 
En fait, GH n’a jamais été fermé. L’élevage a été mis sous séquestre et les chiens ont été confiés via des associations. Mais, depuis, grâce probablement au pouvoir de Marshall (société américaine, propriétaire de ce camp), le camp a été réouvert, mais sans activités (pour le moment !). Marshall a fait appel auprès de la cour de Cassation pour tenter de récupérer les 2700 chiens. Il est évident qu’il ne s’agit là que d’un comportement sadique : ces beagles ne pourront plus être « utilisés » car ils ne sont plus « stériles ». C’est juste pour se venger de ceux à cause desquels Marshall a perdu beaucoup d’argent ! Il y a des manifestations annoncées, et bien e
ntendu personne ne rendra les chiens, quelle que soit la décision de justice !
Ces précisions  et commentaires nous ont été communiqués par Michèle Scharapan : cette pianiste classique, lauréate de trois premiers prix du Conservatoire de Paris, qui se produit dans le monde entier en qualité de soliste ou au sein d’orchestres de chambre, est en parallèle une militante particulièrement engagée dans la défense de la cause animale (notamment contre la vivisection), au point de consacrer toute une partie de son site d’artiste à cette préoccupation, à ses yeux essentielle pour toute personne revendiquant sa qualité d’humain évolué.
 
Mais les Belges, les Allemands, les Espagnols, et d’autres étaient aussi représentés. Les cars arrivaient au compte-gouttes, déversaient leur cargaison de militants puis repartaient se garer ailleurs. Les derniers sont arrivés vers 14 heures. Après, ne restait plus qu’à mettre en place le cortège et démarrer.  
Quelle idée, d’organiser une manif un 19 janvier, me disais-je ! Ceux qui étaient, comme moi, arrivés tôt pour ne pas en perdre une miette commençaient à piaffer dans les starting-blocks.
 
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                                                                       Le cortège en route.
 
Enfin, le convoi s’est ébranlé. Huit cent cinquante manifestants pour la préfecture, entre mille et quinze cents pour les organisateurs. Rien que de très normal. Mais où que se situât l’exacte vérité, c’était sans doute beaucoup plus que n’en voient défiler les rues de Gannat, sauf pendant le festival de folklore, appelé aussi festival des cultures du monde, ce qui fait nettement plus chicos.
Nous, on n’était pas là pour danser la bourrée, mais pour empêcher les esclavagistes d’élever en rond et rond petit patapon les « produits » de leur savoir-faire (à lire absolument : l’interview du directeur du centre d’élevage gannatois dans La Montagne du 18 janvier), à ce jour entre 1.000 et 1.500 sujets d'expérimentation par an. Beau score ! Mais parlons-en, du directeur ! Un reportage de France 3, diffusé lors du JT région le 19 janvier (pour les pressés, le sujet qui nous intéresse est inséré entre 7’56 et 9’52 au chrono défilant sous la vidéo du JT), le montrait de dos, assis, courbé dangereusement vers ses chaussures. Il expliquait qu’il préférait garder l’anonymat afin de ne pas servir de cible aux activistes qui ne manqueraient pas de le traquer, comme ils l’avaient déjà fait avec certains de ses collègues. Donc la victime, c’était lui ! Ah, quelle surprise !
Ceci corrobore cela : nous sommes, en effet, de dangereux terroristes internationaux.
 
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                                                               Un groupe de dangereux terroristes.
 
« Assassino ! »
 
Au terme d’une longue, très longue marche dans la ville désertée de ses habitants (quelques-uns cependant ont eu l’audace d'apparaître à leur fenêtre pour nous voir passer, et même parfois nous encourager), sous la pluie, dans le froid, nous atteignions enfin notre but : l’usine à chiens d’où sortent ces petits beagles qu’Harlan destine aux labos pratiquant l’expérimentation animale. Afin que nous ne fûmes pas tentés d’approcher de trop près les grilles du parc, des barrières avaient été dressées à bonne distance et étaient gardées par les forces de l’ordre, prêtes à intervenir au cas où…
LG-Manif-Gannat-076.JPG                                                                               Devant le site.
 
De l’autre côté du portail, à l’intérieur du site, deux types goguenards tapaient la causette avec les militaires. De quoi agacer quelques éléments de chez nous, qui se mettaient spontanément à scander « Assassino ! », ou « Assassins ! », c’était selon, slogan vite repris en ch?ur par beaucoup d’entre nous qui, au fond, n’attendaient que cela. Mais, en principe, il s'agissait d’une manif silencieuse, ce que les organisateurs se faisaient fort de rappeler…
Ceux qui avaient apporté des fleurs (hommage symbolique aux victimes innocentes de la « science ») les jetaient, comme c’était prévu, aux pieds des pandores, et puis, en bons manifestants bien élevés, on s’est repliés là où on nous disait d’aller se faire voir : au rond-point d’à côté. C’est là que devaient avoir lieu les prises de paroles des différentes organisations représentées, étrangères et françaises, parmi ces dernières Pro Anima, la Fondation Brigitte Bardot… L’union européenne n’est pas un vain mot.
La nuit arrivait. Il fallait refaire le chemin dans l’autre sens. On s’en est allés, un pincement au c?ur en pensant à ce qui attendait les pauvres bêtes qui, elles, restaient là. On se disait qu’on descendrait bien un peu plus souvent dans la rue, histoire de hâter le processus de la libération. Ici ou là, pour les chiens, les vaches, les éléphants ou les chats. Pour les lapins, les renards, les baleines et les ours. Pour les coyotes, les oiseaux, les hippocampes et les blaireaux. Pour les sangliers, les belettes, les chevaux et les requins… Le temps presse. Le nombre de nos victimes augmente de jour en jour.
 
Avanti o popolo, alla riscossa ! (en avant ô peuple, à la révolte…)
 
 
                                                                                                                        Josée Barnérias