Ne pas oublier le goût du sang !
Les périodes fastes qui précèdent les changements d’année, les passages au solstice d’hiver, sont toujours prétexte à agapes, donc à interventions médiatiques innombrables sur la gastronomie…
Mais y est-il question de préparations subtiles de légumes frais, de céréales précieuses et rares ? Non. Les passages obligés sur l’art culinaire sont arrosés du sang des bêtes. Sang froid ou sang chaud, qu’importe. Ce qui est essentiel, en l’occurrence, c’est de garder bien vivant le goût de l’hémoglobine crue ou cuite, même si, en bons civilisés que nous sommes, il convient de cacher cette préhistorique inclination en employant mille artifices tels que conditionnements et autres préparations aux doux noms d’oiseaux qui font heureusement oublier que, sous le filet mignon à la crème safranée, il y a des regards effarés, des cris parfois, et des gueules grandes ouvertes sur le refus de la mort.
Magique… Ou tragique ?
Mais ne faisons pas les embêtants. Même si, en ce moment particulièrement, les producteurs de foie gras nous gavent avec leurs mensonges et leur slogan à trois balles : « Le foie gras, il a quelque chose de magique que les autres n’ont pas »… Formule bateau que l’association L214 a heureusement détournée. A coup sûr, grâce à elle, la phrase est promise à un grand avenir. Il suffisait de remplacer « magique » par « tragique ». Et hop, c’est dans la poche ! Vous pariez combien que, dans vingt ans, l’on se souviendra beaucoup plus du tragique que du magique ? A moins que l’on ne se soit tous entretués, mais ça, c’est une autre histoire…
Le Centre d’information des viandes (CIV pour les initiés), hénaurme machine dévolue à la promotion du sang des bêtes, ultra financée par les lobbies de l’agro-alimentaire avec, tout de même, un petit coup de pouce de l’Etat français, c’est à dire un petit peu de mes impôts de végétarienne, s’est enhardi jusqu’à faire ce qu’il n’avait encore jamais fait : une campagne du feu de dieu pour pousser le consommateur à reprendre le goût du sang, qu’il semble perdre lentement mais sûrement. La vente des produits carnés est en baisse, et le végétarisme, même s’il n’est pas encore vu comme une menace, loin s’en faut, est, pour les producteurs, une espèce de poil à gratter qui fait un peu tache dans le paysage et que l’on aimerait bien quand même supprimer d’une chiquenaude.
Donc, le CIV, avec les moyens inouïs dont il dispose, et avec la bénédiction et le « soutien » du ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation, a sorti la grosse artillerie. Consommateurs, vous n’allez tout de même pas passer le réveillon dans un panier à salade ! Des messages faisant la promotion de la viande de b?uf, de veau et de porc ont été, du 23 novembre au 6 décembre, diffusés -que dis-je ? bombardés- sur les radios, y compris France Inter (qu’en est-il de France Culture et de France Musique ? Si vous avez des infos…),un service public. La forme des messages incite à la réflexion. Sous forme d’un questionnement par une voix féminine neutre et plutôt agréable, on a une réponse labellisée terroir, faussement naturelle, du genre de celui qui n’a pas l’habitude de parler dans le poste, avec accent à couper à la serpette… C’est le côté « authentique ». Le contenu : une franche désinformation. Mais on n’est pas là pour entrer dans les détails. Le CIV est puissant, il veut que cela se sache, et cela se sait.
Banaliser la consommation de la viande, faire oublier les souffrances que ce petit plaisir de table anodin, insignifiant, représente, voilà le but poursuivi par le CIV. L’on sait aujourd’hui que l’on peut, sans le moindre risque pour la santé, et tout en satisfaisant son inclination pour les bonnes choses, s’abstenir de verser le sang, directement ou indirectement. Mais cela, le CIV voudrait bien nous le faire oublier…
Jeph Barn.