Dès qu’arrive le mois de juin, l’actualité s’appauvrit, pour cause de départs en vacances et subséquemment d’une baisse des activités. C’est alors que les médias se souviennent qu’il existe des animaux et que certains de ces animaux séjournent pour un temps plus ou moins long dans des refuges. Le serpent de mer des « abandons de l’été » refait surface…

Le mythe des 100.000

Ainsi, le quotidien régional La Montagne Centre-France (édition du Puy-de-Dôme) a-t-il consacré, samedi 11 juin, deux pages au sujet. Dans la rubrique « Le fait du jour », un article intitulé « L’été, bête noire des refuges d’animaux » était censé faire une nouvelle fois le point sur une situation qui, si l’on en croit les constatations des uns et des autres, se renouvelle à date fixe. Le discours est toujours le même et les poncifs s’y bousculent.
Le message est le suivant : les abandons se multiplient lorsque vient l’été.
On évalue à 100.000 le nombre d’animaux abandonnés chaque année en France. Cependant, ce chiffre, qui ne varie pas d’un iota d’une année à l’autre, n’est étayé par aucune recherche sérieuse. Personne ne sait ni comment ni où il a été obtenu. Mais il est bien commode. On le retient facilement. Impossible de se tromper. La vérité, c’est qu’il s’agit d’une estimation, d’une approximation même, et que personne ne sait vraiment à quel point il est fiable. Le phénomène des abandons pourrait bien être sous-évalué…
Reste que la plupart des associations ont recours au mythe des 100.000, colportant ainsi une information qui est loin d’avoir été vérifiée. De même, elles prennent appui sur les supposées augmentations d’abandons saisonniers pour lancer des appels à dons.

Un phénomène saisonnier ?

Y a-t-il vraiment recrudescence des abandons avant et pendant la saison d’été ? Ou bien s’agit-il d’une vue de l’esprit ? On ne sait pas. Puisque là non plus, il n’existe aucune donnée chiffrée sur laquelle s’appuyer avant de dire n’importe quoi. Il est coutume de déclarer (ou d’imaginer) que les départs en vacances des Français sont générateurs de chats mis à la rue, de chiens « oubliés » sur les aires d’autoroute… Cela participe pour beaucoup du mythe.
La vérité est hélas bien plus terrible : en matière d’abandons d’animaux de compagnie, il semble qu’il n’y ait pas de saison. C’est tout le temps, hiver comme été. Et les formes qu’ils prennent témoignent de l’imagination sans cesse renouvelée des abandonneurs. On a en tête quelques clichés qui sont, depuis belle lurette, dépassés. Car les cas de figure sont multiples, et ceux qui en sont à l’origine trouveront toujours quelque bonne excuse. Le tonton octogénaire, la grand-mère, ou quelque ancêtre est envoyé en Ehpad, ou pire (enfin, peut-être…) au cimetière, et le matou frileux qui a accompagné ses vieux jours et qui, lui, est encore là, se révèle indésirable, de même que le vieux caniche râpé comme un nounours des années cinquante. Qu’en faire, de ces mammifères même pas jolis ? On s’en débarrassera, d’une façon ou d’une autre. Et cela ne rentrera pas forcément dans les statistiques. Ce n’est qu’un exemple parmi d’autres. Il s’agit là de situations très fréquentes, les associations de terrain le savent… Lassé par les miaulements et les feulements de la petite chatonne qu’on n’a pas voulu, par économie ou par négligence, faire stériliser, on lui offre une liberté toute neuve en la déposant sur les espaces publics qui entourent les immeubles. Il serait étonnant qu’elle retrouve seule le chemin du douzième étage… Le hic, c’est que d’autres résidents auront eu la même idée. C’est ainsi que, dans la quasi-totalité des quartiers à la densité de population élevée, survivent des multitudes de chats livrés à eux-mêmes et à la reproduction desquels rien ne vient mettre un frein, si ce n’est la faim et d’autres aléas qui ont vite raison de leur espérance de vie.

Lacunes

A lire les articles consacrés aux abandons, et qui disent tous, et tout le temps, à peu près la même chose, on a le sentiment que les refuges absorbent toute cette misère. C’est faux. Effet d’optique. Illusion. Les refuges n’accueillent qu’une partie des animaux abandonnés. Un certain nombre d’entre eux sont mis à mort dans les fourrières. Les autres se retrouvent dans la nature, sont recueillis par des voisins, quelque bon samaritain, ou quelque association mineure. Tous ceux-ci ne seront pas répertoriés.
Quelle définition donner au mot « abandon » lorsqu’il s’agit des animaux ? Peut-être celle-ci : peut être considéré comme abandonné tout animal domestique et/ou de compagnie qui n’est plus d’aucune façon placé sous la protection d’un être humain. Cela fait du monde !
Ah les abandons ! Tout un programme ! Même le gouvernement Macron s’y est attaqué. Dans le cadre de la loi de lutte contre la maltraitance animale, figurent quelques mesures censées mettre un frein aux abandons d’animaux de compagnie en agissant à la source. L’on peut d’ores et déjà parier sur leur inefficacité. Car le problème, c’est qu’un nombre important de naissances d’animaux échappent totalement à un cadre officiel. Sait-on combien de chattes non stérilisées sont susceptibles de donner naissance à des portées de chatons ? Non. Sait-on combien de chiennes non stérilisées sont censées donner naissance à des portées de chiots ? Non. Est-on sûr que tous ces animaux seront un jour identifiés comme l’exige la loi ? Non. Maîtrise-t-on les « transactions » qui président au destin de ces vies toutes neuves ? Non. Sait-on quelle proportion d’entre elles connaîtront les aléas de l’abandon ? Non. Quant aux autres, furets, petits rongeurs, oiseaux, reptiles, etc. on ne peut même pas les évoquer. C’est le brouillard complet.
Les équidés ayant toujours un statut d’animaux « de rente », il n’est même pas nécessaire de les abandonner pour s’en débarrasser. On peut les revendre directement à un maquignon qui les refourguera à un abattoir après avoir pris sa commission.
Les innombrables contextes dans lesquels surviennent les abandons d’animaux demanderaient à être connus pour que l’on puisse envisager des pares-feux. Mais cela imposerait des investigations sérieuses auxquelles apparemment personne n’a envie de consacrer le moindre moyen. Un observatoire de la condition animale ne serait pas du luxe… Car ce n’est qu’en maîtrisant la connaissance des causes que l’on parviendra à en stopper les effets.

Quant au traitement de ce fléau par les médias… La Montagne livre quatre « solutions de garde pour partir en vacances l’esprit léger ». Ben voyons ! Il suffisait d’y penser.

Josée BARNERIAS

Abandon sur une aire de repos en Dordogne