L’autrice, Aimée Moulinard, « Mouly », est une déjà ancienne adhérente de La Griffe. Pendant de nombreuses années, elle a pris soin quotidiennement d’une petite colonie de chats libres, dans un bois non loin de chez elle. Les « chats de la forêt » de Mouly étaient de sa famille. Elle les a regardés vivre, elle les a nourris, les a aidés dans les moments difficiles, les a aimés, secourus et respectés. Jusqu’au bout. Et c’est à travers ce très beau texte qu’elle nous livre leur histoire…
Fin 2007, l’APA 63 avait trappé une quinzaine de chats et six d’entre eux avaient été remis sur le site. Des cabanes avaient été aménagées en bordure de forêt, à 50 mètres de deux chemins de promenade. La nourriture était assurée deux fois par jour par Jacques et Josette J., et j’effectuais une visite à la mi-journée. Il y avait Gris, Loulou, Pirate, Léo, Moune et La Mère qui avait assez vite quitté le groupe pour rejoindre la cour d’un voisin qui tient table ouverte aux chats de passage et elle avait, peu après, disparu.
Restaient donc cinq chats. Rien de grave à signaler jusqu’à la disparition de Gris en 2016, et un abcès sur le dos de Loulou, le premier à découvrir litière et collerette, et le tout-confort humain chez Josette, après son opération. Un lotissement s’est construit sur d’anciens jardins en friche, les privant d’un fabuleux terrain de chasse, mais les proches voisins étaient bienveillants. Par la suite, les cabanes ont à plusieurs reprises été vandalisées (et encore en 2022). Puis quelques soucis de santé ont valu à tous de faire des séjours chez moi, chacun de nous gardant une réserve prudente ! Et puis le Covid et le confinement sont arrivés avec leur cortège de promeneurs, de chiens en liberté, d’enfants curieux, de vélos, dont la fréquentation n’a plus cessé. Mais comment mettre à l’abri les quatre chats restants, qui n’avaient connu que la liberté et qui n’étaient plus en sécurité ? Sans compter qu’ils avaient 15 ans et que les hivers devenaient difficiles malgré les aménagements des cabanes. Les événements en ont décidé assez rapidement et j’ai récupéré tout le monde, en plusieurs épisodes, pour les accompagner sur leur dernier chemin.

Gris – Il était plutôt solitaire mais appréciait les caresses tout en gardant une certaine réserve. Bien que présent, il avait élargi son territoire. Il a disparu en janvier 2016, probablement victime des chasseurs qui sévissaient à deux pas de nos cabanes.
Adieu Gris… Je pense encore si souvent à toi et à tes yeux de loup…
Pirate – Qui portait bien son nom. Il était censé avoir été castré… Il n’en était rien ! Il disparaissait durant des mois, et il arpentait, loin, lotissements et forêt. On l’apercevait parfois. En fait, il avait gîte et couvert sur le site, mais le plus souvent dans la cour de ce même voisin, au bout de ma rue, ce que nous avions découvert par hasard. En 2019, lors d’un séjour aux cabanes, une grave tumeur à l’oreille avait été repérée et des captures délicates effectuées. S’en étaient suivi deux longs séjours chez moi, suite à l’ablation de l’oreille, et une castration… tardive. Au début, il n’était pas particulièrement coopératif, surtout chez le véto. Un grand furieux quoi ! Un furieux terrorisé qui se réfugiait dans la cage de convalescence laissée ouverte ! Mais avec de merveilleux moments de tendresse lorsque je lui amenais Loulou en visite. Il avait ensuite retrouvé sa vie et sa liberté mais ne quittait plus le site. Il ne cherchait pas le contact mais ne fuyait plus vraiment. Fin d’automne 2021, il s’approchait de plus en plus, comme en demande d’aide, et en novembre ses postures montraient de la souffrance. Et pour cause, il était atteint d’une tumeur au niveau du ventre et souffrait beaucoup. Pour ne pas agir précipitamment et dans l’attente du retour de congés du véto, il avait été mis sous morphine et partageait la chambre « d’amis » avec Léo, en convalescence suite à une attaque de chien. Cette courte période avait fini de le réconcilier avec les humains et il appréciait les coussins et les caresses.
Pirate a été endormi à la maison le 25 novembre 2021, tout près de Léo qui était son frère. Il a rejoint ce coin de forêt qui avait été toute sa vie.
Salut Pirate ! Salut mon Piratou !


Loulou – Il était non pas le chef du groupe mais son âme. Il était notre mascotte. Il avait à plusieurs reprises bénéficié de séjours chez nous, ou de soins réguliers en forêt. Il nous attendait à chacune de nos visites et il appréciait les câlins et les longues pauses quotidiennes et ronronnantes sur mes genoux. Il était partagé entre son amour des coussins et sa forêt, sa liberté. Et puis, comment le séparer du groupe ?
Fin novembre 2021, Il semblait dire que l’hiver qui s’annonçait serait difficile. Je le revois les coussinets dans la neige, comme implorant : « emmène-moi », lorsque je quittais le site, la mort dans l’âme. Sa respiration devenait inquiétante et le véto a diagnostiqué une hypothermie et une bronchite chronique. Il n’y avait plus à hésiter. Il appréciait les séances d’inhalation, les bouillottes, le canapé et la télé. Il avait fait ami-ami avec les chats de la maison et il était heureux, les jours de beau temps, de faire une petite visite aux cabanes où il se roulait dans la mousse.
Et puis début mars 2022, le déclin est arrivé, précédant une lente et douce agonie auprès de Moune et Léo, récupérés peu avant. Nous avons « laissé la vie faire » et il s’est éteint le vendredi 25 comme la toute petite flamme d’une bougie qui vacille et s’éloigne dans la nuit.
Lui aussi repose dans la forêt, aux côtés de Pirate.
Adieu Loulou, notre merveilleux Loulou…
Léo – Notre athlète magnifique, notre beau ténébreux. Pendant des années, il n’avait eu aucun souci et puis les accidents et les blessures se sont multipliés, touchant les vertèbres à deux reprises, réglés dans un premier temps par l’ostéopathie ! En novembre 2021, une attaque de chien imparable, sous mes yeux, lui a valu une chirurgie de la mâchoire et une longue convalescence à la maison. Si les premières fois, la trappe ne lui inspirait qu’une méfiance relative, ce soir-là, la bouche en sang, il s’était réfugié sous une cabane et la capture avait été pour le moins acrobatique. Puis les ligaments croisés des deux pattes arrière ont été abîmés, suite à on ne sait quel avatar. C’était fin février 2022. Ils n’étaient plus que deux et le site avait pris un air de désolation. Léo se réfugiait la journée vers un abri de jardin (voire en dessous) en traversant péniblement un grand roncier, évitant ainsi d’être à découvert, pour répondre à mes appels ou venir dormir et manger aux cabanes.
Il n’était plus question de le laisser sur le site, mal en point, exposé aux intempéries et aux aléas d’une fréquentation pléthorique, pas plus que de laisser Moune toute seule et donc… Trappages avec imagination à la carte et patience à rude épreuve… Ils connaissaient ! Puis direction la chambre « d’amis », puis toute la maison, puis le jardin… Ils se sont merveilleusement bien adaptés, bien au-delà de mes espérances.
Fin juin, lors d’une journée ensoleillée, alors qu’il venait de retrouver une belle énergie, Léo m’alertait par une sorte de miaulement étouffé… Et pour cause ! Assis sur le pas de la porte de la cuisine, il avait une musaraigne entre les dents… Cadeau ! Mais à partir de juillet, sa santé s’est dégradée en quelques mois : diabète puis MICI (Maladie inflammatoire chronique de l’intestin, dont les traitements sont incompatibles), hypothermie, puis rupture des ligaments croisés d’une patte arrière en décembre. Malgré les soins et la bienveillance de plusieurs « soignants », son état n’évoluait guère, cependant très vite il avait réussi à s’adapter pour se déplacer, mais les douleurs au niveau du ventre étaient violentes. Il était toujours aussi gourmand, il profitait des massages, de la chaleur et des câlins, de la tendresse de Moune, blottie contre lui dans leur couffin. Le 21 mars 2023, son état s’est détérioré en quelques heures. C’était la fin et la souffrance était telle qu’il a dû être endormi. C’était une fin de journée bien triste.
Il avait fait sien mon jardin et il en avait profité quelques mois. Il y repose désormais.
Adieu mon si gentil Léo. Adieu mon gros nounours…
Adieu mes gentils matous, mes « chats de la forêt »… Après 15 ans de vie de « chats libres », vous avez finalement rejoint le monde des humains pour votre dernier voyage et vous vous y étiez adaptés avec bonheur. Je vous dis merci pour la totale confiance que vous m’avez alors accordée et pour votre douceur. Et merci aux vétérinaires et aux « soignants » qui ont accompagné vos dernières années avec tant de bienveillance et notamment le Dr Thernay qui avait si bien su vous apprivoiser.


Et Moune ? Moune l’insoumise, Moune la craintive, Moune ma douce … La voici :
Nous étions nés là, une vraie misère ! Ensuite nous avons eu de bons moments, des étés magnifiques et de grosses frayeurs, les visites rassurantes de nos humains et des croquettes à volonté. Nous avions des tiques, mais jamais de puces et nous avons eu froid parfois, malgré l’aménagement des cabanes toujours plus performant. Nous étions libres ! C’était notre vie ! Avec les merles qui nous rendaient visite sur leurs petites pattes, partageaient nos croquettes dans les cabanes et se baignaient dans nos gamelles d’eau, les mésanges et plein d’autres « volants » qui s’affairaient dans leur mangeoire. Nous, notre truc c’étaient plutôt les mulots. Un jour pendant qu’elle rangeait nos couchages, je suis allée chasser pour Pirate et je lui en ai apporté un, mais il était déjà souffrant et il n’en a pas voulu.
En quelques mois, nous avons tous finalement rejoint le monde des humains. Il est vrai qu’ils ne nous ont pas laissé le choix ! Fin février, Léo venait d’être capturé, j’étais maintenant toute seule et en ce matin bien givré, après des jours où j’avais été plus rapide qu’elle, et profitant de mon petit déjeuner, « elle » a réussi à me coincer dans la cabane. Un très gros caillou pour bloquer la « chatière », le temps qu’elle aille récupérer la trappe, bien planquée dans les ronciers, qu’elle l’installe… Et voilà !… Pas d’autre issue que de sortir par la cage ! Adieu la forêt ! Mais ça en valait la peine, pour la douceur des couffins et les radiateurs, les soins attentifs et la sécurité du jardin. C’est MA maison ! J’ai appris à miauler et il paraît que je « miauroule » tout le temps. Je joue et je galope comme un chaton (à mon âge ! ! !)… Et je voisine plutôt bien avec la minette et les deux matous de la maison. Peut-être qu’un jour on s’aimera !
Adieu la forêt ! Adieu mes frères ! Ceux pour de vrai et ceux de mon cœur ! Gris, Pirate, Loulou, Léo… Je vous sais au paradis des chats, libérés de vos corps souffrants et un jour viendra où je vous y rejoindrai. Mais pas tout de suite… J’aime beaucoup cette vie et j’aurais tant aimé la partager avec vous tous… Mais nous nous retrouverons…
Aimée Moulinard
Avril 2023