On pensera ce qu’on voudra du Mesrine historique, « bandit d’honneur » ou vraie crapule, mais ce n’était tout de même pas un enfant de chœur. N’empêche que d’anonymes admirateurs ont baptisé un jour du nom de l’ennemi public un chiot qui n’avait rien demandé. Mesrine, croisement de malinois et de leonberg, n’avait pourtant rien d’un braqueur de haut vol.

C’était un innocent, comme tous les chiens. Il a connu la rue, la zone… Son nom sentait la provoc, la punkitude. La planète des asociaux. Et puis les années ont passé. Mesrine, dans le sillage de sa compagne humaine, s’est sédentarisé. La jeune femme a fait un enfant, s’apprêtait à en faire un second, vivait seule avec les gosses et ce gros chien qui veillait sur elle jour et nuit. Elle a considéré qu’elle ne pouvait pas s’occuper de tout ce monde. Mesrine était de trop.

Il avait onze ans lorsqu’elle l’a conduit chez un vétérinaire pour le faire euthanasier. Cela partait d’un bon sentiment. Elle préférait qu’il meure plutôt qu’il subisse un abandon qui, c’est certain, l’aurait anéanti de chagrin. Mais le vétérinaire a refusé de tuer un chien en pleine santé. Il a appelé La Griffe. Qui a accepté de prendre en charge Mesrine jusqu’à la fin de ses jours. C’est Corinne, dont le grand cœur pouvait bien héberger trente ou quarante kilos de plus, qui l’a accueilli…

Cela ne s’est pas fait sans quelques péripéties. Moyennant quelques caresses, une promesse de balade, le chien a consenti, sans grand enthousiasme, à nous suivre, Edith et moi, et à monter dans la voiture. Mais très vite il a flairé l’arnaque. Lorsque, arrivées à destination, nous avons, avec mille précautions, entrouvert la portière, Mesrine, forçant le passage et nous arrachant la laisse des mains, a pris la fuite…

C’était en novembre. La nuit est tombée très vite. Nous l’avons cherché pendant des heures, sûres qu’il essaierait de rejoindre sa maison et sa maîtresse, à l’autre bout de la ville. Il se faisait tard, et pas de Mesrine en vue. Il fallait renoncer. J’ai raccompagné Edith, et puis j’ai pris le chemin du retour. Je traversais la ville lorsque je l’ai aperçu, au beau milieu d’un carrefour, visiblement épuisé, perdu. J’ai posé la voiture en catastrophe, j’ai couru derrière lui en l’appelant. Et il a accéléré l’allure, jusqu’à se mettre hors d’atteinte… Inquiétude, désarroi, je savais que je ne passerais pas une bonne nuit.

Il fallait lui faire confiance. Mesrine savait où il allait. Ce chien d’une grande intelligence, d’une grande sensibilité, a mal vécu d’être enlevé à sa vie et à ceux qu’il aimait. Il était hors de question qu’il se laisse faire. Au matin, on nous a appelés : Mesrine, pendant la nuit, s’était rendu chez un ami de sa maîtresse. Celui-ci n’était pas encore rentré. Il l’avait attendu devant sa porte.

Nous sommes allées une seconde fois chercher Mesrine avec mille égards. Il avait compris. Il n’a pas bronché. Il a fallu quelques jours pour qu’il fasse le deuil de son ancienne vie. Ganja, la golden retriever de Corinne, l’y a aidé. C’était parti pour quatre ans et demi d’affection, de bonheur, de jeux, de balades et de câlins… Tout a une fin. Mesrine s’est éteint le 3 juillet, laissant un vide à la mesure de ce qu’il était. Un « grand » chien.

J. B.