Ils l’ont affublé de l’un de ces noms de guerre que l’on donne aux animaux lorsqu’on est un minable qui veut se montrer puissant par procuration. Ces imbéciles l’ont appelé Kaiser. Et pourquoi pas Hitler, pendant qu’ils y étaient ? Ils l’ont acheté en région parisienne, sans doute à l’une de ces misérables petites frappes qui se livrent à l’élevage clandestin de molosses pour arrondir leurs fins de mois en gagnant de l’argent facile (c’est le privilège de ceux qui exploitent les animaux). Bien sûr, Kaiser, qui n’a rien demandé, et surtout pas à naître, est un american staff bon teint, pur de pur, un très beau chien, mais qu’on aurait vraiment du mal à faire passer pour un cocker.
Car ces triples crétins ont acheté un chien qui n’est pas inscrit au sacro-saint Livre des origines françaises (une sacrée supercherie, ça aussi), ce qui fait de lui, depuis la loi débile de 1999, un proscrit, un indésirable, un monstre. Un pitbull ! Catégorie 1. La pire des condamnations. Peu importe qu’il soit doux, obéissant et gentil. Il est potentiellement dangereux ! Tous aux abris, planquez vos femmes, vos gosses, fermez bien vos coffres forts, enfilez vos armures, sortez les M16 et les porte-avions nucléaires : Kaiser est lâché !

Lâché ? Façon de parler. Ce pauvre chien a vécu jusqu’à l’âge de sept ou huit mois dans une famille de crétins qui d’un coup, n’en a plus voulu. Il l’ont  « vendu ». Le hic, c’est qu’ils n’avaient pas le droit de le vendre. Ces chiens-là, on ne les vend pas, on ne les donne pas, on ne les adopte pas… Qu’est-ce qu’on en fait ?

C’est alors que, grâce à Maïté, une griffeuse qui l’avait repéré, l’association est entrée en piste. A fait stériliser Kaiser, c’était au moins ça. Vacciner aussi, on n’est jamais trop prudent. On l’a conduit chez un vétérinaire pour voir s’il n’y avait pas moyen de le sortir de cette catégorie de chiottes, des fois que… Les critères sont tellement cons que quelquefois, ça marche. Il aurait eu un centimètre ou deux de plus au garrot, le Kaiser, ça y était, on pouvait le sortir de ce merdier. Mais non. Kaiser, à ce moment-là, était parfaitement dans les clous… des passages interdits !

Il fallait attendre qu’il atteigne sa taille adulte, il y aurait alors peut-être une chance qu’il soit un poil trop mince, trop court, trop long, trop large, pour être considéré comme une bombe accrochée à la ceinture d’un kamikaze.

En attendant, ce fut bien galère. La Griffe n’a pas pu mettre Kaiser à son nom. Faut être habilité pour ça. C’est une autre association, Droit de vivre, spécialisée dans ce genre de chiens, qui a fait les démarches administratives. Le rôle de La Griffe s’est borné à payer… Et à se prendre la tête en se demandant ce qui allait arriver. Kaiser ne pouvait être adopté. Au mieux, il pouvait être placé à vie dans une famille d’accueil qui aurait dû obtenir un certificat de capacité et obéir à toutes les inepties administratives qui vont avec.

Il n’y a pas très longtemps, on a eu un peu d’espoir… Une famille était en vue. Bien sérieuse et tout. On a fait les présentations. Kaiser, il s’est montré très sage. Il n’a pas envie qu’on le chasse, il fait tout ce qu’il peut pour montrer que non, en dépit des apparences, il n’est pas un monstre. On en a vu, déjà, des princes charmants déguisés en crapaud. Kaiser, c’est un peu ça.

Mais voilà : dans l’immeuble où habitait la personne qui devait l’accueillir, on n’a pas souhaité donner un avis favorable. Dehors ! Ouste ! Pas question d’héberger un « tueur d’enfants », dixit l’agent immobilier. J’espère que Kaiser n’a pas entendu ça, lui qui n’a jamais tué personne, ni même essayé, ni même sans doute eu envie de. Les chiens ne sont pas rancuniers.

Depuis fin mars, Kaiser se trouvait dans une pension canine, et puis une autre. Dans la première, il était aux petits oignons avec Bernadette, une dame gentille, qui lui faisait des câlins, lui apprenait des trucs, comme à se coucher, à s’asseoir, enfin bon, tout ce qu’il y a à savoir pour un chien bien élevé, et qui l’appelait Kaïkaï (tout de même nettement plus sympa que Kaiser). Et puis il a dû en partir, parce que d’autres chiens arrivaient, qui avaient réservé leur place. Plus un seul box de libre. On a dû lui trouver une autre pension ailleurs, plus loin… On a eu de la peine pour lui. Il a dû se demander, dans sa grosse tête de pit, pourquoi, chaque fois qu’il commence à se sentir chez lui quelque part, on l’en chasse.

LG Kaiser 12Même si Kaiser n’est pas méchant, la société fait tout pour qu’il le devienne. C’est une histoire de fou. On décrète qu’un animal est dangereux. Il ne l’est pas ? Qu’à cela ne tienne, pas question d’avoir tort. On fera tout pour qu’il le soit. Il faut bien justifier ses choix…

La plupart des refuges, qui pourraient prendre ces chiens en charge, ne le font pas. S’ils leur en tombe un, il est  « euthanasié ». Traduction : « éliminé », assassiné, quoi. Comme dans les fourrières.

On le lui a dit, à Kaiser, qu’on ne le laisserait pas tomber. Qu’on ferait tout. Qu’on allait potasser la question. On a envoyé des courriers, passé des coups de fil, essayé de trouver des solutions…

Parce que c’est trop injuste. Kaiser, il représente toutes les victimes de la loi de 1999 sur les chiens dits dangereux. Ils sont 11.000, au moins. Morts pour rien. Morts parce qu’un jour, ils ont eu le culot de naître. Et il ne s’agit que de ceux qu’on a répertorié. On n’a pas le chiffre des autres, les pauvres bêtes assassinées en douce, celles que l’on a forcées à combattre dans des sous-sols abjects, devant des mecs dégénérés brandissant leurs liasses d’argent sale. S’ils ne meurent pas au combat, ceux-là, ils ont intérêt à gagner. Combien de fois en a-t-on retrouvé (ou ce qu’il en restait) attachés le long d’une voie ferrée, punis de ne pas avoir su se défendre. Pendus à un arbre… Pour les chiens, la pendaison promet une mort très lente, question de morphologie…

LG Chiens de combatLes types qui font ça sont des nazis. La compassion, connaissent pas. C’est le plus fort qui mérite de vivre. Point barre. Et nous, au lieu de foutre des branlées à ces salauds, on s’en prend aux chiens, c’est plus facile. Les bipèdes, eux, ils sont VRAIMENT dangereux. Ce sont eux, les monstres. N’en déplaise aux anthropocentristes obsessionnels qui n’hésitent pas à dire que la vie du pire des salopards est plus précieuse que celle de n’importe quel animal.

Combien de morts à cause des chiens depuis… vingt ans, par exemple ? Quelques unités. C’est déjà trop, on est bien d’accord là-dessus, mais ce ne sera jamais autant que les morts provoquées par la chasse (entre vingt et trente chaque année), les bagnoles, les homicides divers et variés… On peut multiplier les exemples… Et il y a infiniment plus de chiens massacrés par les hommes que le contraire…

L’histoire de Kaiser, c’est l’histoire d’un petit pit gentil qui déboule dans un monde de brutes ou de trouillards, c’est selon. Pour lui et pour ceux qui sont comme lui, c’était vraiment mal barré. Kaiser, il serait tombé dans une fourrière, dans un de ces refuges qui n’ont de refuge que le nom et qui ne veulent surtout pas s’emmerder avec des chiens comme lui, il était fichu…

Mais voilà, la chance veillait, un peu aidée, quand même… A sa dernière visite vétérinaire, Kaiser avait grandi… Il était sorti des critères qui faisaient de lui un chien dit « dangereux ». Kaiser n’est plus un pitbull ! Kaiser a été dé-ca-té-go-ri-sé ! Kaiser pourra désormais vivre une vie normale de chien normal !

En attendant de trouver une famille, il va retourner chez Bernadette, dans sa première pension. La Griffe va seulement participer aux frais pour monter un enclos autour de son nouvel abri et pour sa nourriture. Il sera patient Kaiser, parce qu’il sait que cette fois, il tient le bon bout. Adieu Kaiser. Souhaitons longue et belle vie à Kaïkaï !

Joss Barn

Merci à Maïté, qui a pris en main le destin de Kaiser et s’est donné un mal de chien pour le sauver,

Merci aux adhérents de La Griffe, et d’autres, qui ont fait des dons pour Kaiser,

Merci à l’association Droit de vivre,

Merci à Bernadette et à ses amis qui ont donné un coup de main,

Merci au médecin vétérinaire qui a pris le temps de l’examiner afin de le sortir de cette ignominieuse catégorie,

Merci à Patrick Sacco, de l’association Respectons, pour sa disponibilité et sa bienveillance,

Merci à tous ceux qui ne sont pas restés insensibles au sort de Kaiser…