Depuis l’entre-deux guerres, le sort des animaux familiers a évolué. Mais leur nouveau statut d’animaux de compagnie susceptibles d’être protégés s’est accompagné d’une inquiétante tendance à un consumérisme qui vient le contredire.
Des progrès tout récents
Cela nous paraît aujourd’hui évident : les animaux dits « de compagnie » s’intègrent dans notre environnement immédiat, qu’on le veuille ou non. Ils investissent notre vie quotidienne. Ils font souvent partie de notre entourage. Voire de notre famille. Tant et si bien que certaines associations animalistes s’escriment à nous convaincre qu’ils seraient une sorte de caste privilégiée, par rapport à d’autres espèces qui paient le prix fort de leur proximité avec l’homme. N’a-t-on pas pu, certaines fois, lire des slogans tels que « Pourquoi en choyer certains et en manger d’autres ? », vision carrément manichéenne d’une réalité qui recouvre bien d’autres aspects, pas toujours très reluisants.
Le concept d’animal de compagnie est assez récent. Pendant fort longtemps, on ne s’est pas encombré de ce genre de classification. Les animaux, quels qu’ils fussent, étaient tous logés à la même enseigne. Exploitation, mépris, maltraitance… Rares étaient ceux qui trouvaient dans leur relation avec l’humain quelque considération et quelque tendresse. Cela ne se faisait pas. C’est que l’Homme, avec le concours complaisant des dieux qu’il avait inventés, s’était autoproclamé maître de tout ce qui vit… Et il fut (est encore) un maître exigeant, parfois cruel, souvent brutal et de toute façon insoucieux de la souffrance et de la détresse des autres espèces. L’Homme avait oublié qu’il était lui aussi un animal.
Les mœurs ont évolué depuis peu (après la seconde Guerre mondiale, de façon graduelle en France), et certaines espèces animales ont droit, du moins en théorie, à notre considération. En théorie aussi, la loi les protège. Il en va ainsi des chiens, furets, chats et autres NAC. Hélas, la réalité nous montre qu’animal de compagnie est souvent synonyme d’objet de consommation. Ils n’ont jamais cessé au fond d’être des choses à notre disposition…
Des horreurs légales
Pendant l’entre-deux guerres, en Europe, on consommait encore dans certains pays de la viande de chien. Cette pratique a désormais disparu, et les chiens ont gagné leur place auprès de nous comme « animaux de compagnie ». Pas tous.
Quant aux chats, si certains esthètes les placent volontiers dans le panthéon des animaux mythiques et leur vouent une adoration toute intellectuelle, si le commun des mortels les accepte dans ses foyers et les traite plus ou moins bien, d’autres en revanche les rejettent comme des déchets (il arrive trop souvent de trouver des cadavres de chatons dans les bennes à ordures, ou encore dans des sacs poubelles flottant au fil de l’eau).
Les « nouveaux animaux de compagnie », nés il y a quelques dizaines d’années, sont là pour répondre à un marché qui va en s’amplifiant. Ils sont en principe peu encombrants, ont une espérance de vie limitée et, grâce à eux, on peut éventuellement se singulariser aux yeux de son entourage. On peut aussi en faire des éléments de décor. Le gamin à qui l’on achète un hamster, un cobaye ou un lapin nain, le jeune punk qui se balade avec un rat sur l’épaule, le « gothique » qui conserve dans des vivariums mygales et pythons, mais aussi l’acheteur de chien ou de chat « de race » chez des éleveurs ou des marchands, tous permettent l’émergence d’un business florissant qui ravale les animaux de compagnie au rang de marchandises.
Début 2019, la Fondation 30 Millions d’Amis est intervenue dans un élevage en Haute-Loire. Cette entreprise n’avait rien d’illégal, mais les animaux qui s’y trouvaient étaient laissés à l’abandon à la suite d’un « drame familial ». Opération de taille : il ne s’agissait ni plus ni moins que de ce que l’on appelle un « élevage-usine » comme il en existe des dizaines en France. Dans des bâtiments en forme de hangars, des alignements de cages avec sol grillagé contenaient lapins nains, hamsters, cochons d’Inde, rats, gerbilles, et… animaux morts. Au total étaient restés en vie 5.719 petits êtres captifs !
Si un problème totalement extérieur à l’élevage n’était survenu, cette exploitation aurait continué sans problème. Les exploitants marchaient dans les clous. Cette hyperproduction était tout ce qu’il y a de plus légal. Toutes ces petites bêtes, on aurait pu les retrouver dans des animaleries. Car c’est à cela que sert ce genre de business.
A l’appel de la Fondation, soixante-deux associations se sont mobilisées et tous les animaux ont pu être sauvés. Mais que l’on pense cinq minutes à tous ceux, des milliers et des milliers, qui croupissent, survivent – ou meurent – dans des cages insalubres avant d’être mis en vitrine et vendus (ou pas) comme des porte-clés, des peluches ou des pots de fleurs.
L’enfer du décor
Les chats échappent peu ou prou à cette fièvre consumériste. Il existe bien des éleveurs, qui font payer grassement leurs portées. Il existe bien des acheteurs qui n’hésitent pas à leur confier quelques centaines, voire quelques milliers d’euros juste pour pouvoir écrire à leurs « amis » des réseaux sociaux qu’ils sont les heureux propriétaires d’un magnifique norvégien, d’un sublime persan ou d’un absolument incroyable bengal !
Quant au chat commun, encore appelé (pour quelle raison ?) chat européen, il est tellement représenté qu’on n’a qu’à se baisser pour en ramasser un. Bien entendu, cela nuit considérablement à sa valeur marchande. Je ne pense pas qu’il s’en offusque. Hélas, il n’en est pas plus heureux pour autant.
Et les chiens ? C’est un cauchemar, une abomination. Un enfer. Brigitte Piquetpellorce, qui a dirigé pendant vingt-trois ans la cellule anti-trafic de la SPA, a été le témoin de ce qu’on n’oserait même pas imaginer. Elle prépare d’ailleurs sur le sujet un livre qui devrait stupéfier le citoyen lambda pour peu qu’il s’intéresse à la question. Des élevages-usines, il n’y en a pas qu’en Europe de l’Est. Ils sont le théâtre d’horreurs que le commun des mortels ne peut même soupçonner. Ils prospèrent ici aussi grâce à des réglementations soit inexistantes soit non respectées. Grâce à des éleveurs au profil de maquignons ou de voyous, ou les deux. Grâce à la cécité et à l’indifférence des services de l’Etat, services vétérinaires en tête. Salons du chiot, animaleries et autres sinistres boutiques se chargent d’écouler la marchandise, pour le profit de tous, sauf des animaux.
Les chiens « tendance »
J’ai trop souvent rencontré des gens accompagnés d’un chien de la race à la mode du moment. Ces chiens sont achetés à prix d’or auprès d’éleveurs qui n’ont absolument aucun état d’âme à les vendre au premier quidam venu, à la seule condition que celui-ci sorte un carnet de chèques ou – mieux encore – des espèces sonnantes et trébuchantes. Les éleveurs acceptent fréquemment un paiement en plusieurs mensualités. Cela leur évite d’avoir des animaux qui leur restent sur les bras.
Au bout de quelques mois, l’acheteur, souvent jeune, se lasse de son acquisition. Avoir tous les jours le même animal chez soi, c’est un peu monotone. Alors il court en acheter un autre, d’une race différente, pour varier un peu, et n’hésite pas à s’endetter. Il peut garder l’ancien quelque temps encore, ou bien le refourguer au rabais sur un site du genre leboncoin.fr.
Bien sûr, le second achat connaîtra à terme le même sort que le premier. Car lorsque le détenteur trouvera mieux à faire que de se montrer avec son chien à pedigree, il n’éprouvera aucun état d’âme lorsqu’il faudra s’en débarrasser. Les chiens font souvent partie du costume. On veut avoir l’air d’un caïd : on se procurera un molosse, ou un malinois. On veut paraître sportif : un berger, du genre border collie, fera l’affaire. On aime se singulariser : le sharpeï sera parfait…
Le problème majeur, c’est que, dans ces cas de figure, l’animal est vraiment considéré comme un objet. On ne prendra pas la peine de l’éduquer et, après être passé de main en main pendant quelques années, lorsqu’il sera adulte et devenu moins attrayant, il ne trouvera plus preneur. Des failles insondables dans son éducation l’auront rendu ingérable, voire agressif. Il finira dans un refuge. Et ce sera vraiment une chance pour lui s’il trouve des gens bienveillants et intelligents pour l’adopter. Dans le cas inverse, ce qui l’attend, c’est la mort par piqûre létale.
L’éleveur respectueux et honnête existe-t-il ? Sans doute, de temps en temps. Mais même celui-ci fait du fric sur le dos des chiens. Ses intentions ne sont pas innocentes et serait-il une mère poule pour ses reproducteurs (ce qu’il n’est par définition pas), il fourgue au plus offrant le fruit des entrailles de ses chiennes, trop souvent sollicitées. Ceux qui prétendent faire cela par « amour des chiens » sont des menteurs. Ou des névrosés.
Un marché de taille
Il n’y a pas que les éleveurs et les marchands d’animaux qui trouvent leur intérêt dans ces modernes esclavages. La France passe pour être le champion toutes catégories de l’animal de compagnie. Avec, officiellement 14 millions de chats, 7 millions de chiens et plusieurs millions de NAC, elle bat les records européens. Ce prétendu engouement arrange bien les affaires d’un marché parallèle : nourriture, produits divers… Le marché de l’animal de compagnie pèserait plus de 4 milliards d’euros par an, ce qui est considérable. Sans parler des cliniques vétérinaires qui font florès.
Si tout ces animaux étaient bien traités, on n’y trouverait bien entendu rien à redire. Mais ce n’est pas comme cela que ça se passe.
Cent mille abandons par an. C’est ce que l’on nous répète depuis des lustres sans vraiment savoir. Parce que l’on ne dispose d’aucun chiffre. En réalité, si l’on tient compte des millions de portées de chats qui ne cessent de naître sans y avoir été invitées et à coloniser le no cat’s land de la rue, des friches, des bâtiments désaffectés, des granges, des caves, ils sont bien plus nombreux que cela. Car il n’y a pas que les animaux que l’on vend et que d’autres achètent. C’est beaucoup plus compliqué que cela. Dans la mesure où aucun frein n’est mis à la reproduction, chiens, chats et autres bestioles font l’objet d’un vaste traficotage où, s’il n’est, c’est vrai, pas trop question d’argent, les animaux deviennent la propriété d’individus douteux, lorsqu’ils ne passent pas de main en main pour finir en refuge où en fourrière. Là, à cause du surnombre, beaucoup sont mis à mort.
L’association AVA (Agir pour la vie animale) a publié des chiffres datant de 2017 et émanant du Bureau Protection animale du ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation, d’où il ressort qu’au terme d’une enquête effectuée dans 82 fourrières et 86 refuges, 46% des chats et 13% des chiens y étant reçus sont euthanasiés. C’est considérable. Mais bien sûr, il n’y a pour l’heure aucun moyen d’avoir des données chiffrées globales. Les euthanasies massives ne sont pas des pratiques dont on se vante.
Il y a urgence à tout changer
Cependant, ces millions de chiens qui ne viennent de nulle part, ces millions de chats qui deviennent on ne sait trop comment la propriété de quidams souvent anonymes, puisque l’obligation d’identification, pour les chats du moins, est largement dédaignée, constituent tout de même un marché intéressant. Même si beaucoup d’animaux sont nourris à coups de croquettes multicolores et de pâtée nauséabonde, cela constitue à terme des sommes rondelettes qui vont directement dans la poche des fabricants et des revendeurs, grande distribution en tête.
Voilà pourquoi rien n’est fait pour freiner la reproduction, rien n’est fait pour ne pas laisser n’importe qui faire main basse sur un animal et le rendre malheureux. Rien n’est fait pour freiner la casse qui se chiffre par dizaine de milliers, sans doute bien plus, d’individus. Il est hors de question de nuire à la loi du profit. Trop d’animaux ? Tant mieux pour le business. Et tant pis pour les rebuts.
En dépit de propriétaires d’animaux (ils sont, à ce qu’il semble de plus en plus nombreux) qui respectent leur animal, ont pour lui une véritable affection et font en sorte de le rendre le plus heureux possible pendant toute la durée de sa vie, les animaux restent objectivement des marchandises. Pour la justice, même s’ils sont depuis peu des « êtres vivants doués de sensibilité », ils font avant tout, encore aujourd’hui, partie de la catégorie des « biens ». C’est plus simple et comme l’on n’a pas de temps à perdre avec ça… Combien de temps encore devrons-nous supporter ce déni de la part des institutions ?
Faire des animaux des biens de consommation est une manière radicale de les cantonner au rang des objets. Tant que des animaux, familiers, domestiques ou autres, seront à vendre, il ne saura y avoir de véritable avancée de leur condition. Ils resteront nos esclaves, nos jouets, nos outils et seront soumis au bon vouloir de ceux qui les possèdent. Réfléchir à une autre relation avec les animaux est devenu désormais primordial.
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