On ne va tout de même pas pleurer parce qu’un abattoir met la clé sous la porte. On aimerait bien qu’il y en ait plus souvent. Bien sûr, on a une pensée pour les salariés qui se retrouvent sans boulot, et qui, bien qu’étant surexploités et peu payés, regrettent leur enfer. L’affaire des abattoirs bretons Gad est plusieurs fois lamentable. Pour les raisons déjà évoquées, mais aussi parce qu’on a vu les salariés virés et les non-virés s’insulter copieusement, et même en venir aux mains, pendant que des porcs condamnés attendaient la mort, entassés dans des camions. Quel journaliste les a remarqués ? Quel photographe s’est approché d’eux ? Quel politique, quel syndicaliste, les a évoqués ? Il est toujours triste que des gens perdent leur emploi et se retrouvent sur le carreau, mais n’y a-t-il pas des événements que l’on devrait anticiper ? L’existence des élevages industriels est une aberration doublée d’un cauchemar, d’une infamie. Et, au lieu d’essayer de les éradiquer peu à peu, en reclassant ceux qui y travaillent, les gouvernements qui se sont succédé, de droite comme de gauche, n’ont fait qu’encourager leur présence et leur verser subvention sur subvention. Les élevages de porcs et les abattoirs qui vont avec sont parmi les plus odieux. (Photo L214).
Dans la Drôme, 9.000 dindes sont mortes noyées dans un élevage à cause des crues qui ont ravagé la région.
Incendies en Australie : on a entendu, sur une radio nationale française, le commentaire suivant « il n’y a eu que des dégâts matériels ». Les fantômes des kyrielles d’animaux de toutes espèces, êtres vivants et sensibles, qui y ont perdu la vie de manière atroce, apprécieront…
En Syrie, les responsables religieux d’un village de 3.000 habitants assiégé et affamé par les hommes de Bachar El-Assad ont fait savoir que l’on pouvait exceptionnellement se nourrir avec des aliments impurs : la viande des chiens et des chats de la ville, en l'occurrence. On n’ose pas imaginer les scènes auxquelles cette dérogation aura donné lieu… C’est un peu l’histoire du radeau de La Méduse. Ce sont toujours les plus faibles qui sont mangés, noyés, oubliés…
Bien meubles
Pourtant, « LA » nouvelle de la semaine, c’est l’annonce de la signature, par 24 intellectuels français, à la demande de la Fondation 30 Millions d’amis, d’un manifeste pour changer, dans le code civil, le statut juridique de l’animal. Il est bien précisé qu’il s’agit essentiellement des vertébrés. Ce qui représente tout de même du monde : mammifères, mais aussi oiseaux, reptiles, amphibiens, poissons, etc.
Le code civil dans son article 528 assimile en effet les animaux à des biens meubles, c’est-à-dire à des choses que l’on peut s'approprier mais également transporter. Ces « choses » sont aussi en mesure de se déplacer sans l’aide de personne et d’aller où bon leur semble, s’ils n’en sont pas empêchés, ce qui les différencie d’une façon assez éclatante des objets.
Le code civil est en retard d’une bonne longueur sur le code pénal et le code rural. Le premier condamne, dans l’article 521-1, les sévices et actes de cruauté à l’encontre des animaux, et prévoit une sanction de deux ans d’emprisonnement et 30.000 euros d’amende (sauf pour la corrida et les combats de coqs). Quant au second – la chose n’avait pas échappé à l’association éponyme – dans l’article L214, il reconnaît aux animaux la qualité « d’êtres sensibles ». A côté des deux autres, le code civil fait figure de demeuré.
Parmi les 24 intellectuels qui se sont engagés, certains étaient attendus, compte tenu de leurs prises de position connues et pérennes en faveur de la condition animale : les philosophes Elisabeth de Fontenay, Enrique Utria et Florence Burgat, le professeur de droit Jean-Pierre Marguénaud. D’autres, en revanche, montrent un intérêt pour la question qui, sans vraiment surprendre, les fait apparaître comme légèrement différents de leurs contemporains. Un brin plus avertis. Un poil plus « humains ».
L’intention est louable et l’événement important, car, au moins, il aura eu le mérite d’attirer l’attention des médias, et d’entrouvrir un débat. Sur le simple plan de l’efficacité, il est probable que les effets d’un éventuel changement de statut n’auront guère (s’il intervient, ce qui est douteux, du moins dans l’immédiat) plus de consistance que la chute d’une feuille morte sur une flaque d’eau. Mais comment savoir ? D’aucuns accordent à cette mesure, si elle devenait effective, une « portée symbolique » qui pourrait bien, à terme, changer radicalement notre regard sur les bêtes.
Il faut tout de même constater que, en dépit des sanctions sévères prévues par le code pénal contre toute atteinte grave à l'intégrité des animaux, ceux-ci sont martyrisés comme jamais. Dans les élevages, les abattoirs, à la chasse, dans la rue, dans les maisons (on n’envie guère le sort de certains animaux domestiques), dans l’océan, dans les arènes avec la bénédiction de la loi (art. 521-1 du code pénal, encore : Les dispositions du présent article ne sont pas applicables aux courses de taureaux lorsqu’une tradition locale ininterrompue peut être invoquée. Elles ne sont pas non plus applicables aux combats de coqs dans les localités où une tradition ininterrompue peut être établie) ! A ce propos, que dirait-on d’une loi qui condamne fermement l’homicide mais le permet lorsqu’il est perpétré dans une région X ou Y sous prétexte que le meurtre fait partie de la culture locale, comme les « crimes d’honneur » par exemple ? On trouverait la chose révoltante et absurde…
Le fait que le code rural reconnaisse dans les animaux des « êtres sensibles » ne bouleverse pas leurs tortionnaires qui, de toute façon, ne l’ont certainement pas lu. Que faudrait-il attendre alors d’un changement au niveau du code civil ? Néanmoins, pas question de ne pas soutenir l’initiative. Toute victoire, même insignifiante en apparence, est bonne à prendre. Ne faisons pas la fine bouche. Ne quittons pas pour autant des yeux nos objectifs ultimes : la reconnaissance pleine et entière des droits fondamentaux des animaux (ne pas être exploités, ne pas être vendus, ne pas être maltraités, ne pas être tués), avec sanctions à l’appui, des sanctions qui seraient vraiment appliquées, pour le coup. Parce que, pour l’instant, les tortionnaires et les assassins d’animaux ont encore de beaux jours devant eux.
Alors, allons voter des deux mains la pétition…
Josée Barnérias