Animal, halal, scandale
On s’agite fort autour de la viande en ce moment, et particulièrement de la viande halal. Il était temps. Mais ce qui se dit n’est pas toujours porteur de vérité : informations tronquées ou imprécises, mauvaise foi et oubli généralisé d’un élément qui a pourtant son importance : la viande, halal ou pas, c’est d’abord des animaux !
Une onde de choc qui s’est très vite dirigée sur le halal est partie le jeudi 16 février de l’émission Envoyé Spécial, sur France 2, lors de laquelle a été diffusé un reportage intitulé La viande dans tous ses états. Il s’agissait d’une exploration (le mot n’est pas trop fort, tant ce sont des lieux où il est difficile de pénétrer) des abattoirs français. Les portes en sont closes, les murs infranchissables et les cloisons parfaitement opaques. Rien ne sourd, rien ne sort de ces temples de la mort, de la souffrance et du sang.
L’équipe de tournage a cependant fait du bon boulot, réussissant même à voler des images grâce à une caméra cachée (d’autres l’avaient fait avant eux, notamment les militants de l’association L214 dans les abattoirs Charal de Metz). C’était l’aspect sanitaire qui intéressait surtout les auteurs du reportage. Mais comment l’évoquer sans poser la question : l’abattage rituel donne-t-il toutes les garanties sanitaires auxquelles le consommateur a droit, et est-il vrai que l’on retrouve dans le circuit classique des morceaux issus de l’abattage halal et/ou casher non étiquetés ?
Les abattoirs Charal, à Metz : abattage rituel de bovins (Photo L214, 2008).
Le choc des images
Un animal de boucherie est toujours considéré comme de la viande sur pattes. Peu importe qu’il endure mille morts et souffre le martyre. C’est de la viande. Point.
On était dans cette configuration-là, apparemment. Cependant, les images très choquantes d’animaux égorgés, d’hommes vociférant en maniant le couteau, des flots de sang coulant dans un décor sordide, les hurlements qu’on percevait en fond sonore, et dont on ne savait s’ils émanaient des hommes ou des bêtes, ont dû heurter la sensibilité de pas mal de téléspectateurs. Beaucoup ignorent d’ailleurs en quoi consiste réellement ce que l’on appelle un abattage rituel. Là, ils en ont découvert la réalité crue, par le biais d’images fugitives, floutées : la souffrance et la mort auraient-elles quelque chose d’obscène, qu’il ne faudrait pas montrer ?
Préoccupations sanitaires, soit : on découvrait que, dans certains établissements, la rigueur n’est pas vraiment au rendez-vous. Carcasses traînant par terre, ou reposant sur le bord d’un évier crasseux? Les salmonelles et autres e-coli ont encore de beaux jours devant elles…
Un spécialiste s’échinait à montrer, croquis à l’appui, que le risque de contamination par des bactéries existe bel et bien lorsqu’il s’agit d’abattage rituel. Les morceaux les plus exposés sont ceux qui se trouvent dans la région du cou (appelée collier) et que l’on utilise pour faire du steak haché. Damned ! Va-t-il falloir renoncer au steak purée dont les chères têtes blondes font généralement leur régal ?
Pas de panique, tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes de la boucherie : de grands progrès ont été accomplis, de gros efforts consentis par la filière pour protéger la précieuse santé des carnivores : de 2007 à 2011, nous apprend-on, le nombre des établissements qui étaient dans le collimateur des services vétérinaires est passé de 41 % à 11 % ! On n’avait pas fait mieux depuis l’invention du steak tartare !
Mais, tout de même, on avait beau s’intéresser, en bon consommateur de sang frais, aux risques que l’ingestion d’une matière organique – qui fut jadis palpitante, sensible, intelligente, et qui aujourd’hui, si l’on n’y prenait garde, pourrait rapidement se transformer en puante charogne – nous fait courir, impossible de faire l’impasse sur ces images atroces de mise à mort?
Trois, ou quatre, ou cinq…
Au-delà du prétexte du reportage, les auteurs ont-ils voulu envoyer des images subliminales pour montrer l’inénarrable horreur des abattoirs et particulièrement des abattoir halal et/ou casher ? Il faudrait évidemment leur poser la question?
Depuis, en tout cas, le sujet fait le buzz. Surtout depuis que Marine Le Pen s’en est emparée. Un peu à côté de la plaque, tout de même. Il a
été dit, au cours du reportage, que la totalité des abattoirs d’Ile-de-France étaient halal. Traduction du leader du FN : toute la viande vendue en Île-de-France serait d’origine halal? Tollé général dans Landernau : on n’avait même pas remarqué que Mme Le Pen avait dit une grosse connerie. Soit qu’elle somnolait en regardant Envoyé Spécial soit que ceux qui avaient regardé à sa place somnolaient également pendant la diffusion. Depuis, elle a rectifié le tir. La vérité serait la suivante : il y aurait, selon certaines sources, cinq abattoirs pratiquant le halal en Île-de-France, un sixième ne « faisant » que « du » porc. Selon une autre, trois halal et un porc. Peu importe, un abattoir, halal ou pas, c’est un abattoir de trop !
Les journalistes en ont mis du temps, avant de s’apercevoir que l’info provenait directement de France 2, mais que, de surcroît, l’info avait été mal comprise, peut-être, en tout cas mal rapportée ! Volontairement ou pas, on ne saura jamais?
Quoi qu’il en soit, l’affaire a fait grand bruit. On a interrogé les « professionnels de la filière viande » qui ont joué l’indignation et ont assuré que tout cela était très exagéré. Mais on avait oublié de leur poser la question concernant les abattoirs d’Ile-de-France. Enfin, ils ont bien rassuré le carnivore : les risques sanitaires n’existent pas ! Que la bestiole ait agonisé un quart d’heure ou trois secondes, cela ne fait aucune différence quant à la qualité de la viande.Certains ont bien concédé du bout des lèvres que oui, il se pouvait que, parfois, un morceau halal se retrouve par hasard dans le circuit classique, mais qu’est-ce que ça change, hein ? C’est aussi savoureux, vous savez?
Un étiquetage
Il y en a qui doivent se sentir bien seuls : ce sont les organismes associatifs qui essaient en vain de faire entendre leur voix dans cette foire. Frédéric Freund, qui accompagnait un temps les journalistes dans leur visite des abattoirs, doit en savoir quelque chose. Il est le directeur très compétent de l’OABA, ?uvre d’assistance aux bêtes d’abattoir, opposée à l’abattage sans étourdissement. Il prétend que la quantité des morceaux issus de l’abattage halal et/ou casher se retrouvant dans le circuit classique est bien plus importante que ce que l’on veut bien nous dire. Certains de nos concitoyens, pour qui l’éthique n’est pas un vain mot, pourraient bien s’émouvoir de cette situation et, pour éviter de consommer de la souffrance à l’état pur, pourraient bien soutenir la demande des associations d’un étiquetage précisant la façon dont la bête a été abattue.
Depuis, les chiffres sont sortis du bois. On a appris, enfin, que les consommateurs de viande halal ou casher, c’est-à-dire les pratiquants musulmans et juifs, représentent environ 7 % de la population française, mais que les abattages rituels représentent 32 % du total… Il y a là comme qui dirait une c… dans le potage !
Les abattoirs choisissent de « faire » du halal/casher parce qu’ils sont sûrs de l’écouler, ici ou ailleurs, en vertu du vieil adage « qui peut le plus peut le moins », et aussi parce que cela leur fait faire l’économie de certains postes (pas d’étourdissement : pas de salarié pour étourdir). S’il devait y avoir une traçabilité, le risque de voir certains morceaux boudés par le chaland non musulman (les juifs ont leurs propres filières) serait grand? D’où la répugnance des politiques à évoquer de front le problème de la souffrance des bêtes qui est, pour l’heure, le seul véritable argument contre l’abattage rituel.
Quant à la surdité et la cécité des médias, elle s’explique de diverses façons : par leur « suivisme » des politiques, par leur ignorance du sujet et par leur indifférence, voire leur déni, de la souffrance des animaux.
Tout est bon pour leur rappeler où est leur devoir d’informer.
Cependant – Alléluia ! – depuis quelques jours on assiste à de saines réactions ! Celle de Franz-Olivier Giesbert, par exemple, qui tout à coup trouve que l’abattage rituel est une chose bien atroce ; d’autres aussi, journalistes, écrivains… Manque les politiques, mais ça viendra quand ils sentiront le vent tourner…
Depuis de longues années, les associations de défense animale s’échinent à dénoncer ces pratiques, sans le moindre succès. Au mieux, on les ignorait, au pire on les taxait de racisme ! Mais on assiste aujourd’hui au phénomène du « saut qualitatif ». Pendant longtemps, rien ne se passe, et puis, tout à coup, arrive comme une éruption et tout se met à bouger. On aura une pensée pour Victor Hugo, grand défenseur des bêtes… Victor Hugo qui écrivait « Rien n’arrête une idée dont le temps est venu »…
C’est peut-être le début de la fin de l’abattage sans étourdissement. Ne lâchons rien !
QUELQUES CHIFFRES
- En France, on consomme en moyenne 92 kg de viande par an et par habitant.
- Il existe à l’heure actuelle 275 abattoirs en France, classés selon la qualité de leurs prestations selon quatre catégories. Les deux tiers au moins « feraient » du halal/casher…
Pour en savoir plus sur l’abattage rituel, consulter l’excellent dossier de la Revue semestrielle de Droit animalier (direction Jean-Pierre Marguenaud, Florence Burgat et Jacques Leroy) du second semestre 2010 sur le sujet (téléchargement gratuit).
Josée Barnérias