C’est un peu dérangeant parfois cette impression que l’on a de se répéter…
Les chats, toujours les chats… Ils se multiplient, ils foisonnent, dans des conditions affreuses. Partout en France. Peut-être ailleurs aussi (n’a-t-on pas vu, en Australie, que la guerre leur avait été déclarée ?). Sûrement. Mais intéressons-nous à ce qui se passe ici…
UNE VASTE BLAGUE
La Griffe a été amenée (nous nous sommes un peu fait avoir, mais nous le savions…) à intervenir sur un site de terres agricoles où coexistent des dizaines de jardins dits « ouvriers ». Nous y avons intercepté deux chattes gestantes (voir lettre d’info n°135). Après leur stérilisation (par hystérectomie, pour éviter la naissance des petits), nous avons gardé la plus âgée, très familière, et avons dû relâcher la plus jeune, trop craintive, sur les lieux mêmes où nous l’avions trouvée.
Nous n’avons pas fait cela de gaieté de cœur. Nous n’avions pas d’autre solution. Il va de soi en effet que la vie aléatoire des chats dits « libres » est un piège : embûches de toutes sortes, souffrances diverses en constituent la substance. L’espèce féline serait-elle maudite ?
Nous avons vu une kyrielle de chatons affamés sur ce site jonché d’ordures, de déchets, de saloperies diverses, les chemins qui mènent aux jardins faisant office de décharge sauvage.
C’est là qu’ils survivent. Ils sont partout, on ne les voit guère, seulement lorsqu’on arrive avec, dans les paniers et les sacs, la promesse de quelques repas. Toute cette misère nous a dissuadés de partir sans nous retourner. Nous nous sommes dit qu’il était trop tard pour faire marche arrière. Désormais, nous sommes condamnés à nous occuper de cette petite faune. Nourrir, tous les jours si possible, et stériliser. Nous avons décompté pour l’instant une dizaine de chatons qui ont entre trois et cinq mois. Tous sont sauvageons. Tous ne survivront pas. Ils seront tués par leurs parasites qui provoquent typhus et autres affections mortelles si elles ne sont pas soignées. Et plusieurs adultes. D’autres viendront de plus loin, nous n’en doutons pas, attirés par la nourriture. Comment survivent-ils ? Quelquefois, les riverains leur apportent de restes de repas. Il est probable qu’ils chassent aussi. Beaucoup ne dépasseront pas l’âge de deux ou trois ans. S’ils ne tombent pas malades, ils finiront leur courte vie sous les roues d’un véhicule filant sur la voie express qui passe un peu plus loin. Ils auront cependant eu le temps de laisser derrière eux quelques dizaines de rejetons si rien n’est fait.
Ils sont des millions en France. Plusieurs fois, nous avons alerté les municipalités du département, de la région, les députés, les sénateurs. Jamais nous n’avons reçu la moindre réponse. C’est que la souffrance des animaux est toujours considérée comme une vaste blague, et ceux qui la prennent en compte comme, au mieux, des allumés et, au pire, des individus faibles, dotés d’une hypersensibilité suspecte, proche de la névrose.
On pensait sans doute cela il y a moins d’un siècle lorsque des voix s’élevaient pour évoquer la souffrance des nourrissons, à laquelle personne ne croyait. Ou pour dénoncer les mauvais traitements réservés aux esclaves, avant que l’esclavage ne fût aboli. On pourrait multiplier les exemples de la cécité qui frappe hommes et femmes lorsqu’ils ne veulent pas voir.
Les options que nous prenons nous apportent plus de déboires que de satisfactions. Les dépenses engagées (nourriture, carburant, vétérinaire), pèsent sur le budget de l’association même si, souvent, les bénévoles y sont de leur poche. Du temps, de l’argent, de l’énergie et une importante charge émotionnelle, une grosse pression psychologique, voilà notre lot. Nous ne nous en plaignons pas, nous l’avons choisi. Mais nous aimerions simplement parfois que cet investissement ne fît pas l’objet du mépris des politiques, à défaut d’être reconnu.
DES JARDINS OU FLEURIT LA MISERE
Parlons un peu de ces jardins « ouvriers » qui occupent la périphérie des villes et sont exploités par des gens qui en sont soit les locataires, soit les propriétaires de leur lopin. Il y a quelques années, nous avions eu l’occasion d’aller voir de près ce qu’il s’y passait. Nous avions découvert alors que certains « jardiniers » amenaient sur place des chatons, les nourrissant un peu au début pour les fidéliser. Ensuite, charge à eux de se nourrir eux-mêmes. Ces pratiques avaient pour seul but de faire la guerre aux rongeurs et autres petites bêtes qui auraient pu boulotter les plantations. Avec les chats, les salades et autres haricots verts peuvent pousser tranquilles. Ils ne s’y intéressent guère. Les petits félins avaient pour boulot d’éloigner les « ennemis des cultures ». On ne les nourrissait pas, on ne les identifiait évidemment pas, et on les stérilisait encore moins. Lorsqu’une portée apparaissait, si le maître des lieux pouvait mettre la main sur les chatons avant qu’ils ne soient aptes à s’enfuir, il les supprimait, quel que soit leur âge. Nous nous étions ainsi entretenus avec un homme qui nous avouait sans le moindre état d’âme les noyer lorsqu’il les trouvait. Il a fallu lui expliquer dans des termes appuyés que ces actes constituaient un délit passible de sanctions pénales (bien que nous ne nous fissions déjà aucune illusion sur ces fameuses sanctions qui avaient fort peu de chances de survenir). Le bonhomme était tombé des nues. On ne lui avait jamais dit que martyriser des chatons constituait un crime.
Il n’est pas douteux que ces pratiques subsistent encore. Personne ne fait rien pour y mettre un terme. Le Moyen âge ne finira donc jamais ?
Grâce à l’ingéniosité et à l’opiniâtreté de deux ou trois bénévoles, un « Baracha » improvisé a été installé sur le point de nourrissage. Au moins la nourriture y est-elle protégée. Les mêmes bénévoles infatigables envisagent aussi de fabriquer, avec quelques matériaux de récupération, un ou deux abris qui permettraient aux chats de venir s’y réchauffer et s’y reposer lorsque le froid et l’humidité envahiront les lieux et les rendront encore plus sordides, plus misérables. Dérisoires efforts, sans doute. Mais nous nous sentirions tellement minables si nous ne faisions rien…
L’HUMANITE QUI DETRUIT…
Repartons vers le continent australien. Dans le collimateur des autorités, plusieurs millions de chats qui sont d’ores et déjà condamnés à mort, au motif qu’ils nuisent gravement à la petite faune autochtone et se reproduisent sans le moindre frein.
Les chats n’existaient pas en Australie avant que des colons ne les amènent avec eux. Ils se sont tellement bien adaptés à leur nouveau milieu qu’aujourd’hui leur nombre est si important qu’ils sont décrétés indésirables. Mais comment en venir à bout ?
C’est là que la merveilleuse technologie intervient. Grâce à des robots « intelligents », on va enfin pouvoir éradiquer ces importuns. Les machines aspergeront tous les petits félins qui croiseront leur route d’un liquide contenant du poison. Les chats, ensuite, se lècheront pour se débarrasser de cette substance étrangère… L’histoire ne dit pas quelle sera leur agonie, quelles seront leurs souffrances. J’ai un jour vu mourir une souris qui avait ingéré de la mort-aux-rats. Je n’oublierai jamais le supplice de ce petit animal que je n’ai même pas eu le courage d’achever…
Le poison est l’arme des lâches. Une société entière peut faire preuve d’ignominie.
Il existe d’autres bassesses. En 1910, le parti Jeunes-Turcs, à son arrivée au pouvoir, a décidé de se débarrasser des chiens errants d’Istambul. Ils ont été par milliers déportés sur une petite île au large de la cité ottomane, où on les a abandonnés (voir l’ouvrage de Catherine Pinguet « Les chiens d’Istambul », publié par les éditions Bleu Autour). Privés de nourriture, privés d’eau, ils y sont morts de soif et de faim (voir aussi le court métrage de Serge Avédikian « Chienne d’histoire »). Les sociétés humaines ne cessent de trahir les animaux qui leur ont un jour fait confiance et de mépriser ou massacrer tous les autres.
La supposée grandeur de l’homme est une flamme vacillante qui pourrait bien un jour s’éteindre.
Les gens de La Griffe continueront, à leurs risques et périls, de protéger quelques créatures infortunées. Ce sera toujours ça.
Comme le rappelle la philosophe Florence Burgat, il y a « l’humanité qui détruit et l’humanité qui répare ». Faites votre choix.
QUELLES ISSUES ?
Nous avons un peu réfléchi à la question.
Dans un premier temps, il s’agirait d’informer et d’inciter à la stérilisation, par tous les médias possibles. Nous avons souvent demandé à des maires (sans résultat) de publier sur chaque bulletin municipal quelques lignes invitant les propriétaires de chats à les faire stériliser et identifier. Des campagnes d’affichage seraient également opportunes. La presse pourrait être mise à contribution. Les bailleurs sociaux pourraient favoriser l’affichage dans les immeubles qu’ils gèrent. En un mot, on pourrait envisager d’utiliser tous les supports à disposition.
Il y a sans doute d’autres idées à trouver. C’est moins une question de moyens que de bonne volonté et d’imagination. Les associations, nous en sommes persuadés, pourraient jouer un rôle crucial, à condition qu’on leur en donne la possibilité, notamment par le biais de la loi qui, actuellement, n’est absolument pas satisfaisante.
Que dit-elle la loi : que les maires « peuvent » s’ils le désirent, procéder sur leur commune à des campagnes de stérilisation en partenariat avec des associations. S’ils le désirent ? Et s’ils ne le désirent pas, rien ne les y oblige. Donc cette loi ne sert à rien et n’a pas lieu d’être.
Elle dit aussi que tout animal trouvé sur la voie publique doit être conduit en fourrière. Ce qui signifie qu’aucune association n’a le droit de faire procéder, comme une immense partie d’entre elles le fait, à des stérilisations. En agissant ainsi, elles commettent une infraction. C’est absurde : jamais les fourrières ne pourraient absorber le nombre de chats errants qui se trouvent sur un territoire donné. Et on sait fort bien que les animaux qui leur sont confiés sont quasiment toujours exterminés, parce que les collectivités pour lesquelles les fourrières sont des prestataires de service ne veulent pas financer des stérilisations, ou alors à titre exceptionnel. Question : combien leur coûte une « euthanasie » et combien leur coûterait une stérilisation ?
La stérilisation rendue obligatoire pour les chats de particuliers serait certes une solution radicale, mais elle entraînerait immanquablement des abandons par milliers, à moins que des fonds ne soient débloqués pour aider les détenteurs sans moyens, et que tous les vétérinaires consentent à revoir leurs tarifs à la baisse.
Quant aux chats dits libres, dont le nombre est inconnu (d’après certaines estimations, 7 ou 8 millions sur le territoire français), leur stérilisation nécessiterait un déploiement particulier de mesures. Généralisation des captures par des bénévoles spécialement formés, afin de joindre l’efficacité à l’humanité (éviter le plus possible de stress aux animaux), installation de lieux de convalescence puis, après relâcher, organisation de plans de survie (nourrissage et surveillance).
VIOLENT ET INDIGNE
Car, ce qu’il risque de se passer, si des mesures ne sont pas très rapidement mises en place, ce sont des massacres organisés tels qu’ils se profilent en Australie, ou – pire – des « ratonnades ». Déjà, des voix provenant d’associations écologistes (on ne se doutait pas que les attaques les plus virulentes viendraient de là) font entendre que les chats sont à l’origine de la diminution progressive du nombre des oiseaux, tant en ville qu’à la campagne. On ne sait par quel moyens ces données ont été collectées, si tant est qu’elles l’eussent été et qu’il ne s’agisse pas d’une simple estimation avec toute la marge d’erreur que cela comporte. Mais il faut bien un bouc-émissaire. En l’occurrence, on pourrait aussi voir du côté des pesticides et de la bétonisation.
En l’absence de sorcières à brûler, reste les chats…
Les chats, on ne se lasse pas de le rappeler, sont des animaux domestiques depuis plus de 10.000 ans. Ils n’ont pas vocation à vivre sans l’intervention de l’être humain qui les a rendus dépendants de lui. Aujourd’hui, ce même être humain, trouvant qu’ils sont trop nombreux, décide de les exterminer. C’est violent, c’est indigne. Nous avons un devoir d’assistance envers ceux que nous domestiquons. C’est ainsi. Ou alors nous ne valons pas mieux que les pires menteurs, les pires voleurs, les pires tortionnaires que notre morale réprouve.
C’est parce que nous sommes des êtres humains et que nous avons pris la main sur le monde qui nous entoure et nous accompagne que notre capacité d’empathie doit absolument l’emporter sur notre capacité de nuire. Sinon, mériterions-nous de vivre ?