J’ai assisté à une conversation entre militants animalistes qui soulevaient un dilemme fréquemment rencontré et qui est beaucoup moins anodin qu’il n’y paraît.
Les uns évoquaient la possibilité d’acheter à un éleveur plusieurs agneaux pour leur éviter le sacrifice de l’Aïd (celui-ci a eu lieu les 11 et 12 septembre). Les autres faisaient remarquer aux premiers que l’intention était noble, mais qu’elle ne réglait en rien ni le problème de l’élevage ni celui de l’abattage, car les agneaux seraient remplacés par d’autres et l’éleveur, lui, n’y serait pas perdant…
Au fond, personne ne savait trop ce qu’il était juste de faire en pareil cas, les premiers connaissant parfaitement, et les approuvant dans une certaine mesure, les arguments des seconds, les seconds ne pouvant balayer d’un revers de main les arguments des premiers à savoir que quelques vies de sauvées, c’était déjà ça.
En réalité, deux attitudes s’affrontaient sans vraiment l’exprimer : celle qui consiste à tenir compte, lors de toute action, du facteur émotionnel, ou compassionnel, et celle qui met en avant la seule raison au service d’une plus grande efficacité. Il est évident que ni l’une ni l’autre de ces attitudes n’est complètement satisfaisante, parce que dans un cas, elle fait en quelque sorte le jeu de ce contre quoi elle est censée lutter, dans le second cas, elle fait fi de ce qui est l’origine même du combat pour la justice, à savoir l’empathie, l’altruisme, sans lesquels aucune avancée, ni humanitaire, ni animalitaire, n’aurait jamais vu le jour.
On a connu au cours de l’histoire de ces personnalités monolithiques pour lesquelles la moindre des concessions à ce qui pouvait passer pour un manquement aux yeux de l’objectif à atteindre était inacceptable. De tels personnages ne connaissent pas la nuance et ne désirent pas la connaître. Ils puisent dans des certitudes quasi minérales la matière de leur inflexibilité. Il n’est pas question pour eux de dévier de la ligne préalablement tracée, sous peine de se voir coupable de trahison. Quel que soit le nom qu’ils portent et la cause qu’ils défendent, ils font preuve d’une rigueur inhumaine, car la vie, les mouvements auxquels elle contraint bêtes et gens, tout cela n’est pas d’un seul bloc. Les choix ne sont jamais faciles. Qu’il s’agisse de ressentir de la pitié pour un ennemi, au point de l’épargner, alors que d’autres l’ont condamné, qu’il s’agisse de ressentir de la compassion pour quelques agneaux au point de leur éviter le couteau, tout en sachant que cela n’est qu’une goutte d’eau dans un océan de souffrance, le problème se pose : est-on en train de faillir à la mission que l’on s’est préalablement assignée ?
Cette dualité a fait maintes fois l’objet de développements de toutes sortes : légendes, mythes, romans, films, ont abondamment emprunté leur substance au problème du choix cornélien, là où, quelle que soit la voie empruntée, ce ne sera jamais vraiment la bonne.
En matière de militantisme animaliste, ce n’est pas différent. Lorsque nous appelons à ne pas acheter d’animaux de compagnie issus d’élevages, mais à les adopter dans les refuges, nous sommes dans la même situation que celui qui désapprouve d’acheter des animaux de boucherie pour leur éviter la mort, parce qu’il est évident qu’en faisant cela, en achetant animaux de compagnie ou de boucherie, nous participons à cette odieuse marchandisation des animaux, que nous dénonçons à cor et à cri. Et jamais nous ne pourrons acheter TOUS les animaux pour les sauver, et quand bien même, les producteurs auraient vite fait de produire des remplaçants…
C’est insoluble. Cependant, je fais partie de ceux qui se disent que l’on ne se trahit pas en sauvant un animal d’une souffrance et/ou d’une mort certaines, même si on engraisse, en le faisant, un horrible maquignon, même si l’on encourage des éleveurs qui font irrésistiblement penser au célébrissime couple Thénardier… Non seulement on ne se trahit pas, mais on se grandit peut-être, en acceptant et en assumant la contradiction qui accompagne toute quête…
Militant, militaire, c’est le même mot… Prenons garde à ne jamais devenir implacables, la cause que nous servons n’y résisterait pas…
Mais peut-être qu’il existe une troisième voie… Supposons que les militants évoqués plus haut aient vraiment acheté ces agneaux, ne peuvent-ils pas leur demander en échange de représenter la multitude de leurs frères sacrifiés en en faisant des ambassadeurs auprès du public ? C’est ce que font nombre d’associations, à commencer par l’OABA qui abrite en ses fermes beaucoup de rescapés de la boucherie, ou Welfarm, ou Groin-Groin, ou encore la Fondation Brigitte Bardot, et tant d’autres. Quant aux associations qui recueillent des animaux de compagnie, laquelle d’entre elles n’a jamais cédé à la tentation d’échanger quelque argent contre un animal en souffrance, parce que c’était le seul moyen de le sauver ? Ne soyons pas rigides, les animaux eux, ne le sont jamais. Quelle que soit la situation à laquelle ils sont confrontés, ils tentent de s’adapter. Ils savent que de là dépend leur survie. Et qu’y a-t-il de plus important que de vivre ?
Josée Barnérias
Le même dilemme se pose avec les loups et les ours réintroduits dans les montagnes et qui s’attaquent aux ovins qui sont dans leurs pâturages. Mais la conclusion de l’article résume bien la nécessité de tout tenter pour sauver ces innocents d’une mort funeste, comme l’a fait le maire de Hayange lors de la Fête du Sacrifice, et qui est aussi membre de la Fondation Brigitte BARDOT, en rachetant deux brebis.
« Nous ne pouvons aider tous les animaux, mais tout le monde peut aider un animal. Sauver un animal ne changera pas le monde, mais pour cet animal le monde changera pour toujours. Ensemble pour la cause animale. » Sauvegardeplanèteanimaux.com