Dimanche matin 13 juillet, à 9 h 50, la chaîne Arte rediffusera L’orque tueuse, un documentaire qui a la force des grandes tragédies. Le personnage principal s’appelle Tilikum. Il s’agit d’une orque mâle, capturée en 1983 dans les eaux islandaises, à l’âge de deux ans. A l’époque où le documentaire a été réalisé, Tilikum vivait encore dans un bassin du Seaworld d’Orlando, en Floride. Au cours de son existence, il aura tué trois fois.

La dernière, c’était en 2010. Il s’est saisi de sa dresseuse, Dawn Brancheau, qui se trouvait au bord du bassin, et l’a entraînée dans le fond. Dawn est morte noyée. De la capture de Tilikum à « l’accident », il s’est passé bien des années, il y a eu bien des souffrances. Le documentaire revient sur les différentes étapes de la vie du cétacé et élargit le propos. De la responsabilité de la firme Seaworld, ses mensonges, à la légitimité de l’exploitation de ces animaux marins ; de la cruauté de leur capture aux liens quasi fusionnels que certains dresseurs entretiennent avec eux ; des méthodes coercitives et inhumaines de leur dressage à l’enfer que représente leur captivité, le documentaire passe en revue, d’une manière méthodique et implacable, tous les rouages d’une vaste entreprise à briser les orques, au risque de rendre certains d’entre elles folles de douleur et de colère trop longtemps contenue.

Tilikum n’était qu’un bébé lorsqu’il a été arraché aux siens. En liberté, une orque mâle peut vivre jusqu’à 60 ans, une femelle jusqu’à plus de 80 ans. En captivité, l’espérance de vie est de 35 ans. L’orque a une vie familiale et sociale très riche au sein de son groupe. Certaines orques ne quittent jamais leur mère. Le lien maternel est incroyablement fort chez ces grands prédateurs (entre 8 et 10 mètres de long pour les mâles, jusqu’à 7 mètres pour les femelles) joueurs, observateurs, et qui possèdent un langage très élaboré, spécifique à leur groupe, qui leur permet d’être en communication permanente avec les autres individus de cette même « famille ». C’est dire si l’arrachement est terrible pour une jeune orque qui se retrouve orpheline, obligée de cohabiter avec d’autres orques qui ne parlent pas le même langage qu’elle. Pourtant, le jeune Tilikum, bien qu’agressé et mordu en permanence par les deux femelles avec lesquelles il cohabitait dans un bassin bien trop exigu pour ces immenses mammifères marins, faisait l’admiration de ses dresseurs. Il se montrait intelligent, affectueux et docile…

On a du mal, tant qu’on n’a pas pris connaissance des coulisses de cette exploitation, à en saisir l’exacte portée. L’orque tueuse en ce sens, est un document incomparable. L’histoire de Tilikum est une tragédie. En aucun cas, il ne pouvait échapper à son destin. Le jour où les chasseurs l’ont pris (le film présente le témoignage de l’un d’eux, ses remords, la conscience d’avoir « fait le mal »), quelque chose d’inéluctable s’est mis en place. Quelque chose de monstrueux et de désespéré. Il ne servirait à rien de paraphraser ce que dit et montre le documentaire. Il faut juste le regarder, de bout en bout, même s’il s’avère extrêmement pénible de se sentir, en tant que représentant de l’espèce humaine, une vague responsabilité dans l’affaire. Le public raffole des spectacles de mammifères marins, et tout particulièrement des spectacles d’orques.

On a gardé Tilikum, en dépit de sa dangerosité, parce qu’il est utilisé -sinistre et obscène farce- pour la reproduction. De toute façon, il est impossible de relâcher une orque qui a passé trop de temps en captivité. Désormais, il attend la mort, flottant entre deux eaux, seul, dans un bassin étroit et sombre. Cette image, la dernière du film, choquante, atroce, suffit à elle seule à résumer notre honte et leur désespoir.

                                                                                                           Joss Barn

Voir aussi le lien http://www.dauphinlibre.be/antibes-orques-tueuses.htm