Binouze, Gasoil et Marmite : levée d’écrou
Par Josée Barnérias
« Je leur ai tout expliqué. Ils étaient sereins quand on les a laissés. Personne n’a moufté. » Edith, secrétaire de La Griffe, et Pierre, bénévole qui l’accompagnait, avaient mené à bien leur mission : Binouze, Gasoil et Marmite, en fourrière à Valence depuis un mois, étaient désormais en sécurité au refuge Bienvenue, à Riom-ès-Montagne, dans le Cantal. C’était le 7 septembre 2020.
De vieilles connaissances
Un mois plus tôt, le 7 août, je recevais un appel de la fourrière animale de Valence, dans la Drôme. Deux chiens identifiés au nom de La Griffe ainsi qu’un troisième y avaient été conduits après que le jeune homme avec qui ils se trouvaient eut été arrêté par la police. D’après nos informations, il avait été incarcéré, mais nous n’en savions pas plus.
Cet appel ne nous a pas vraiment surpris. Le détenteur des trois chiens, nous le connaissions bien pour l’aider depuis plus de deux ans. Nous l’avions rencontré alors qu’il était sans abri et sans un sou. La petite Marmite avait quatre mois. Gasoil, son père, et Binouze, sa maman, totalisaient à eux deux à peine plus de trois ans. Seule Binouze était identifiée.
Dans un premier temps, nous apportions régulièrement de la nourriture, et puis nous avons fait procéder à l’identification de Marmite et de Gasoil, à la stérilisation de Binouze et de Marmite, puis, quelques mois plus tard, de Gasoil. Nous avons fait opérer Marmite qui avait avalé un hameçon (!), nous l’avons fait soigner alors qu’elle avait contracté un début de parvovirose… Entre autres.
Les chiens nous connaissaient bien, et nous avons suivi leur parcours de vie. De la rue, leur maître est passé au squat, puis une association humanitaire lui a trouvé un petit appartement à Clermont-Ferrand. Il était enfin tranquille avec ses trois « bébés », comme il les appelait. Mais son passé un peu brouillon l’a rattrapé. Un sursis qui court, un faux pas, un sursis qui saute et c’est l’incarcération. Nous n’avons réussi à obtenir aucun renseignement précis. Mais là n’était pas le plus important : il fallait trouver une solution pour les chiens avant qu’ils ne soient confiés à un refuge, et proposés à l’adoption, au mieux.
Un box pour la famille
Nous avons multiplié les appels à l’aide, les contacts avec la fourrière, dont nous craignions qu’elle ne se débarrasse des loulous une fois le délai passé. Nous y avons trouvé écoute et compréhension. La responsable de la fourrière nous a assurés que les chiens ne bougeraient pas tant que nous ne serions pas venus les chercher.
C’était une expédition un peu difficile à mettre en place. Et puis nous ne savions pas encore où conduire les chiens. Il fallait d’urgence trouver une pension. Nous avons demandé conseil à Colette de l’ASCN, qui nous avait déjà rendu service dans le passé. C’est elle qui nous a dirigé vers Claudie, du refuge Bienvenue, à Riom-ès-Montagne.
Pas évident de placer trois chiens de taille respectable dont nous ne voulions pas qu’ils soient séparés. Nous avons été ravis lorsque Claudie nous a confirmé que les chiens pouvaient venir au refuge, qui propose aussi les services de pension lorsqu’il y a de la place. Or, il y en avait : un grand box « familial » de 15 m2 n’attendait qu’eux.
Un périple de treize heures
Edith et Pierre ont dû poser un jour de congé pour aller chercher le trio à Valence. Moi, j’avais charge d’âme : il avait été convenu que Pantoufle, le chien de Pierre (adopté à La Griffe), viendrait passer la journée à la maison.
De leur départ jusqu’à leur retour, il s’est écoulé treize bonnes heures. C’est ce périple que nous allons vous faire suivre, avec images à l’appui.
Première étape : Valence. Impossible de passer à la fourrière avant midi, parce qu’Edith et Pierre avaient prévu de faire une petite halte pour se restaurer un peu et que, pendant ce temps-là, il était exclu de laisser les chiens dans la voiture. Il faisait beaucoup trop chaud et ils n’auraient pas compris de toute façon.
Donc, l’arrivée à la fourrière a eu lieu peu après l’ouverture, vers 14 heures
Edith : « Il n’y avait qu’un seul agent. Il était débordé. On a attendu qu’il raccroche le téléphone, et puis on s’est présentés. Ah oui, La Griffe ! D’accord, on vous attendait. On est contents de vous voir, il nous a dit. Il nous informait de l’absence de la directrice qui était malade. Il nous expliquait que lorsque les chiens sont entrés, tout s’est bien passé mais Gasoil, par la suite, a mal supporté la séparation d’avec les deux fifilles. Le local de l’accueil est spacieux. Il y avait un chiot qui se baladait de bureau en bureau, et un dodo dans un coin. Le garçon lui parlait, le chiot le suivait partout. »
Le cas Gasoil
Les box sont tous individuels (les 5 m2 réglementaires), les chiens avaient été placés les uns à côté des autres, les deux chiennes se sont adaptées sans problème à leur détention, mais Gasoil, lui, restait sur la défensive. Il montrait des attitudes d’évitement. Il faut dire que, pendant un mois, ils ne sont pas sortis de leur box. Eux aussi, d’une certaine façon, ils étaient en prison. Même s’ils n’avaient rien fait.
Le garçon de la fourrière disait : « Notre but, c’est d’abord de faire en sorte de les remettre dans le circuit. Si vous n’étiez pas intervenus, les deux filles auraient pu être adoptables, mais Gasoil risquait l’euthanasie ». Gasoil, nous le connaissons bien. Il n’a rien d’une brute, mais il est, en dépit de sa corpulence impressionnante, sujet au stress. C’est un chien assez peureux à qui il arrive de prendre une attitude défensive s’il se sent menacé.
Il fallait sortir les chiens des box. Pour Gasoil, cela semblait problématique. Il restait coincé au fond du box, il grognait et montrait les dents.
Edith : « Je voyais qu’il me reconnaissait. J’ai pris le temps de lui parler. Mais je voyais aussi qu’il avait peur. Je suis entrée dans le box avec Binouze, et il a fait pipi sous lui. J’ai demandé aux deux garçons de s’éloigner, de se mettre hors de sa vue. Et là, il s’est calmé. Je lui ai dit : on va aller se promener. Je lui ai passé la laisse autour du cou. Il était tout content. Binouze et lui se sont jetés à l’extérieur du box. Il avait compris qu’on s’en allait. C’était fini. On les a amenés dehors, on leur a fait faire un petit tour, ils en ont profité pour faire leurs besoins dans l’herbe. Les chiens ne font leurs besoins sur le dur que lorsqu’ils y sont obligés. Ce n’est pas évident pour eux. »
Enfin dehors !
Edith : « Le garçon de la fourrière est revenu avec de l’eau et là, Gasoil s’est laissé caresser sans problème. En face de la fourrière se trouve le refuge Saint-Roch. Des gens du refuge sont sortis, tout le monde était content de les voir partir. Et puis on s’est dirigé vers la voiture. Lorsque Pierre a ouvert les deux portes arrière, Binouze a bondi, et puis Gasoil. Quant à Marmite, un peu pataude, elle a commencé à mettre les pattes avant, mais il a fallu pousser derrière ! »
Et voilà ! Direction Riom-ès-Montagne et les paysages pittoresques du Cantal. Mais auparavant, il y avait quelques heures de route.
Edith : « Ils étaient contents avant de monter dans la voiture, et pendant le trajet ils ont été très sages. Sur les trois, il y en avait toujours un debout qui regardait défiler la route, à tour de rôle. Au départ de la fourrière, ils regardaient tous les trois les lieux qu’ils venaient de quitter. On ne s’est arrêtés qu’une seule fois. »
A bon port
A 19 h 45, c’est-à-dire 4 h 30 après avoir quitté Valence, la petite équipe arrivait devant les portes du refuge Bienvenue où les attendait Claudie.
Edith : « Il faisait encore jour mais plus pour très longtemps. Claudie a proposé de leur faire visiter le refuge. Mais ils ne regardaient pas. Ils sentaient et levaient la patte. Elle leur a donné des friandises. Ils n’en ont pas voulu. On les a conduits vers le box. Elle leur a dit qu’elle allait leur chercher à manger, qu’elle allait revenir. C’était drôle de les voir guetter son retour. Dans le box, il y a une immense niche qui peut sans problème les accueillir tous les trois s’ils veulent. Et puis une autre plus petite au cas où l’un d’entre eux voudrait s’isoler ».
Edith et Pierre les ont laissés sans le moindre regret. Nous sommes sûrs que là-bas, ils seront heureux le temps que durera la détention de leur « papa ».
Le lendemain, nous avons eu des nouvelles : ils sont tout le temps en demande de câlins et leur truc, c’est la baballe. Tous les jours, ils sortent dans le grand terrain sur lequel est implanté le refuge, et ils courent, et ils jouent… D’ici quelques semaines, nous irons leur rendre une petite visite… En attendant, nous allons envoyer un courrier à leur maître en espérant que cela adoucira sa détention.
Chaque année, en France, entre 10 et 15 % des chiens sont euthanasiés dans les fourrières et les refuges (et près de 50 % des chats). Si Gasoil n’avait pas été identifié au nom de La Griffe, sa jeune vie ne tenait qu’à un fil. C’est parce que deux des chiens, sur les trois, étaient enregistrés au nom de l’association que tous ont pu être récupérés et qu’ils pourront attendre leur maître sereinement. La Griffe demande expressément que les chiffres des fourrières (entrées, sorties, euthanasies) soient rendus publics.
Rétroliens/Pings