La Courtine, commune des confins de la Creuse, côté Corrèze, dans le Parc naturel régional de Millevaches, environ 700 habitants. C’est là que les éleveurs du secteur, soutenus par la FDSEA, ont choisi d’ériger les baraquements concentrationnaires et nonobstant ultra modernes qui devraient abriter, à terme, 1.400 « broutards », comme ils disent, à l’année. Il faut comprendre « des petits veaux de huit ou neuf mois », juste sortis des pis de leur mère. Ces « broutards » devraient y être engraissés pendant neuf autres mois avant de partir pour l’abattoir à Ussel, en Corrèze, pour y être égorgés selon le rituel halal (sans étourdissement préalable) avant que leurs cadavres dûment dépecés ne rejoignent les pays du « pourtour méditerranéen ».
On nomme cela par l’élégante locution de « centre d’engraissement ».
Des veaux de dix-huit mois… Sachant qu’un bovin peut vivre vingt-cinq ou trente ans… A dix-huit mois, c’est un gosse, un gamin, qui va passer sous le couteau et connaître l’impitoyable brutalité des hommes avant d’avoir même eu le temps de goûter à la douceur de vivre…
Des baraquements sinistres, mais neufs, au faîte d’une colline. Les travaux avancent vite. Il ne faut pas perdre de temps. La mort est au bout, et n’attend pas. On a appelé cela la « ferme-usine des Mille veaux », et si le sort des jeunes bovins n’intéresse visiblement pas grand monde, il est toutefois quelques individus qui se rebiffent, à différents titres, contre la manifeste généralisation de ce type de structure. Bien sûr, les principaux intéressés (on parle des éleveurs, pas des veaux qui auraient pourtant leur mot à dire s’ils pouvaient parler) invoquent l’économie, les lois du marché, l’avenir de l’agriculture et autres poncifs alors que l’on sait très bien que l’élevage, lui, n’a guère d’avenir… Mais passons. Certains veulent y croire encore. Ou faire semblant. C’est pour cela que les gouvernements (la France n’est pas en reste) injectent des sommes colossales dans une activité qui ne fonctionne que grâce à des perfusions d’argent public. Dans les veines des petits veaux coule un peu de la sueur du contribuable.
Un collectif, l’OEDA (Oui à l’étourdissement dans les abattoirs) a organisé, samedi 4 juillet, sa deuxième manifestation de protestation – la première avait eu lieu en janvier dernier – contre cette ferme-usine. Entre 400 et 500 personnes (530, a compté un participant…) s’étaient donné rendez-vous dans le village de La Courtine (quelques kilomètres plus loin, devant le site, les forces de l’ordre veillaient…). Le vendredi, un super-barbecue organisé par les éleveurs et la FDSEA avait réuni un millier de viandards… Le rapport de force, on en conviendra, n’est pas très équilibré mais inutile de se laisser impressionner par ce genre de considération quantitative, car, comme disait Cyrano, « Que dites-vous ?… C’est inutile ?… Je le sais ! / Mais on ne se bat pas dans l’espoir du succès »… Bon, peut-être que le fameux « panache » du héros gascon ne trouvera guère d’écho auprès des militants pur jus…
Samedi, il s’agissait de prendre fait et cause une nouvelle fois contre la souffrance infligée aux bêtes par les hommes. C’est ce qui justifiait la présence de La Griffe et d’autres associations : la Fondation Brigitte Bardot, représentée par Christophe Marie ; L214 et sa présidente Brigitte Gothière ; Causa, association creusoise, Dignité animale 03 ; la Convention vie et nature pour une écologie radicale et son « leader charismatique » Gérard Charollois… Le sujet commence à tracer son chemin, mais n’est pas encore, on en est loin, à la une des médias. Car ce que ceux-ci retiennent surtout, ce sont les considérations sur les dommages éventuels causés par l’élevage intensif sur la santé des consommateurs et l’environnement. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il y a un léger brouillage au niveau du message.
Sur la place de La Courtine, inondée d’un soleil brûlant, sur le podium miniature qui avait accueilli d’abord un jeune chanteur et sa guitare électrique – il avait égrené du Renaud et du Brassens, rien que des valeurs sûres -, Aurore Lenoir, coordinatrice de l’OEDA, a expliqué le pourquoi des risques sanitaires inhérents à ce type d’élevage. Serait-ce moins cruel si les risques n’existaient pas ? Bien sûr que non. A la limite, évoquer les risques, c’est avouer que l’on se contenterait d’élevages extensifs plus sains, et du même coup plus « respectueux de l’animal », comme on dit, plus épanouissants pour l’homme (voir les théories de Jacqueline Porcher sur la question). N’empêche qu’au bout, se profile toujours le spectre de l’abattoir. Dire « non » à l’élevage industriel, ne serait-ce pas dire « oui » à l’élevage artisanal ? Or la plupart de celles et de ceux qui se trouvaient samedi à La Courtine étaient pour le moins végétariens…
Doit-on obligatoirement s’en remettre à l’argument environnemental tout en se réclamant de la cause animale, comme si on craignait que les raisons de la seconde ne se suffisent pas à elles-mêmes ? Là est toute la question. Un jour, il faudra bien choisir. Car, quand bien même le monde entier renoncerait à l’élevage industriel, voire à l’élevage tout court, les animaux seraient-ils mieux traités pour autant ? Pas sûr…
Il y a un gouffre entre la pratique et ce qui motive une pratique. Un acte exemplaire effectué pour de mauvaises raisons restera entaché de ce malentendu originel. On peut être inoffensif par peur du gendarme. Que fera t-on lorsque le gendarme aura tourné le dos ? Cela ressort d’un réflexe d’esclave et non d’un acte d’homme libre. Là où le premier se laissera guider par sa peur des conséquences, le second affirmera la primauté de la conscience sur l’intérêt… Un peu comme Cyrano.
D’un côté, il y a une posture pragmatique et opportuniste, de l’autre une attitude digne et éthique. Faut-il faire un amalgame des deux ? Essayer d’exploiter l’une pour mieux servir l’autre ? Peut-on à la fois évoquer la souffrance des veaux et le fait que leur traitement aux antibiotiques puisse présenter des dangers pour le consommateur ? Quelle relation de l’une à l’autre ?
C’est une question que l’on devrait sérieusement se poser. Pour savoir qui nous sommes. Quel combat est le nôtre. Ce que nous cherchons vraiment. Il ne sert à rien de mélanger les genres. La cause animale n’a pas besoin de prétexte : santé, environnement… Et cessons d’assimiler les animaux à « l’environnement ». C’est réducteur et facile. Les animaux sont des individus. Comme nous.
« Les animaux sont nos égaux devant la souffrance », pouvait-on lire sur une pancarte. Pas seulement devant la souffrance. Il nous appartient à nous, animalistes, animalitaires, zoophiles, philozootes… de ne jamais oublier cela…
Josée Barnérias
Les interventions
Aurore Lenoir. Fidèle à son habitude de précision et de didactisme, elle a expliqué et argumenté, comme elle le fait à chaque fois, totalement maître de son sujet dont on mesure à quel point elle en a examiné, soupesé, étudié, les moindres facettes.
Christophe Marie. Le porte-parole de la FBB ne bouge pas d’un millimètre de sa mission : la cause animale.
Anne de Loisy. Cette journaliste a révélé bien des infos intéressantes, notamment que la France, au premier rang européen pour la production de volailles, au troisième pour la production de porcs, n’arrivait qu’à la 97e place mondiale pour ce qui est du nombre des vétérinaires chargés de veiller sur les élevages et les abattoirs.
Gérard Charollois. Le regard du président de la Convention vie et nature, tourné vers l’intérieur, n’en a que plus d’acuité. Son éloquence, son sens de la formule, la cohérence de son discours en font un tribun incontournable lorsqu’il s’attaque aux forces de l’argent, du productivisme, du profit qui tue, et lorsqu’il s’engage pour la cause du vivant. Il a annoncé officiellement son intention de présenter sa candidature à la prochaine élection présidentielle.
Brigitte Gothière. Le courage, la passion et la fougue sont toujours à l’œuvre chez les fondateurs de la jeune association L214 qui a effectué, depuis sa création, une percée fulgurante grâce à des actions audacieuses, une communication parfaitement maîtrisée et un discours on ne peut plus clair.
Acteurs. Enfin, une petite troupe anonyme a donné, façon théâtre de tréteau, mystère-bouffe médiéval, un court spectacle allégorique. Le fric, qui rend cupide, inhumain et aveugle, le sang, la souffrance, et la rédemption possible grâce à la conscience.
La conscience… Quoi d’autre ?
Je suis en colère que ma région subventionne un tel élevage avec mes impots !
On se sent tout petit et impuissant… pour l’instant… mais ne baissons pas les bras !
L’animal n’est pas une machine c’est un être vivant et sensible et pour en arriver à ce genre de décision et donc au gigantisme sans s’en préoccuper, c ‘est que vous avez oublié d’être humain, c’est-à-dire, « faire preuve d’empathie. Si vous continuez dans ce sens vous encouragez la monstruosité? vous n’avez plus de conscience? ni de repères et seul le « fric » est votre référence. Ce n’est pas très glorieux
. Vous oubliez la souffrance de ces bébés, appelés Veaux, de vos enfants par la pollution engendrée et la mal bouffe, de notre terre nourricière, du chômage dans les campagnes. En fait, vous êtes sortis de « l’humanité ».
La laideur et la cruauté feront partis de votre parcours, avec cette pancarte « est-il digne de faire parti ou non de l’humanité ? » tout dépendra de votre décision. Pensez à leur souffrance, le feriez-vous pour des bébés humains ?