Nous sommes souvent effarés et révoltés devant les violences infligées directement ou indirectement aux animaux non humains par les animaux humains. Dans certains pays, dont la France, la loi envisage des sanctions envers les auteurs de maltraitance, de sévices et d’actes de cruauté sur les animaux (*). La justice est garante de l’application de la loi. Mais qu’en est-il dans les faits ?

Victimes muettes

Fin 2021, de nouvelles lois ont été promulguées, dites « de lutte contre la maltraitance animale ». C’est ainsi que les sanctions prévues par l’article 521-1 du code pénal ont été durcies : « Le fait, publiquement ou non, d’exercer des sévices graves ou de commettre un acte de cruauté envers un animal domestique, ou apprivoisé, ou tenu en captivité » sera passible désormais de trois ans d’emprisonnement (contre deux ans auparavant) et de 45.000 € d’amende. Si les actes cités entraînent la mort de l’animal, la sanction est portée à cinq ans d’emprisonnement et 75.000 € d’amende. Inutile de préciser que, de mémoire d’homme, jamais ces peines maximales n’ont été infligées à qui que ce fût, fût-il le pire des tortionnaires d’animaux. Alors, pourquoi annoncer de telles sanctions si elles ne sont jamais appliquées ?

Cela partirait-il d’une bonne intention ? On peut le supposer, du moins l’espérer. Mais il y a loin de la coupe aux lèvres, et c’est le juge qui reste, en dernier ressort, le dépositaire des jugements. Et l’on assiste à une grande disparité d’une juridiction à l’autre, d’un parquet à l’autre, d’un magistrat à l’autre.

En réalité ces mesures affichées tendraient à faire croire à une véritable politique de protection des animaux. Mais plusieurs facteurs viennent infirmer cette vision : la réalité nous dit autre chose.

D’abord, les actes de maltraitance, voire de cruauté, ne sont que rarement identifiés. Les animaux ne se plaignent pas. Il faut un sacré concours de circonstances pour que les faits soient mis au jour, et aussi pour que leur auteur soit désigné. Dans une affaire récente (voir l’entretien avec Me Caroline Lanty), un jeune homme qui avait exercé les pires sévices sur une vingtaine de chats a été trahi par la caméra de surveillance d’une propriété privée. Celle-ci le montrait en train de capturer le matou de la famille. L’homme a reconnu sans mal le meurtre d’une vingtaine de petits félins. Une pure violence, gratuite de surcroît, qui comporte un caractère de sadisme assez effrayant. Le prévenu a écopé d’une peine de prison… avec sursis. Comment comprendre cela ? N’est-ce pas un encouragement à recommencer ? On peut le considérer en effet de cette façon.

Et que se serait-il passé si l’homme n’avait pas été pris sur le fait ?

Cas d’espèce… humaine

En août 2022, à Cébazat, un homme de 47 ans a tué, en le projetant plusieurs fois au sol devant témoins, un basset fauve de Bretagne de deux ans. Le pauvre chien était régulièrement battu, et vivait dans ses excréments. En 2023, le tribunal a condamné l’auteur des faits à 140 heures de travaux d’intérêt général et l’interdiction de posséder un animal… pendant cinq ans. Il est possible que le cas de cet homme relève de la psychiatrie, mais enfin, il maltraitait son chien de la pire façon, et cela devait se savoir dans le quartier. Personne n’est intervenu avant que n’arrive le pire, et que se passera-t-il si le tortionnaire décide un jour de reprendre un chien ou tout autre animal de compagnie ?

Et la liste est longue de ce genre de méfaits… Que dirait-on, que ferait-on, s’ils étaient commis sur des humains sans défense, des enfants, des handicapés, des vieillards ? J’entends d’ici certains crier au scandale : comment peut-on oser comparer des êtres humains et des animaux ? Le fait est que la terreur, la souffrance, l’incompréhension dans de tels cas sont bien partagés. Si l’on considère le résultat de pareils actes, la mort infligée à quelqu’un qui, de toutes ses forces, animal humain ou non-humain, la refuse, il n’y a pas si grande différence.

Mais ne nous éloignons pas de notre sujet, qui est celui de la sanction infligée – ou pas – aux tortionnaires d’animaux… Il faut bien le constater, les magistrats, lorsque les animaux sont les victimes, n’osent pas frapper trop fort. Encore cette vieille inhibition de ceux qui craignent qu’on les accuse d’anthropomorphisme, de sensiblerie, et qui, soucieux de se plier à une vision désormais obsolète, s’autopersuadent qu’au fond, « ce ne sont que des animaux », que la chose n’est pas si grave et qu’en tout cas une sanction trop lourde ferait, pour des tas de raisons réelles ou supposées, plus de mal que de bien.

Une incompréhensible indulgence ?

Les sanctions pénales, on le sait, n’ont jamais empêché les malfaiteurs de mal faire, c’est vrai. Et lorsque la peine de mort existait, elle n’a jamais été dissuasive au point d’empêcher des horreurs d’être commises. D’accord. La prison n’est pas une panacée, loin de là, et parfois les détenus en sortent bien pires qu’ils n’étaient en y entrant.

Mais il est choquant de constater cette évidence : la plus grande mansuétude préside aux décisions des magistrats lorsqu’il s’agit d’animaux maltraités, voire bien pire. Car tuer son chien en le projetant au sol, massacrer par plaisir de pauvres chats dont le seul crime est d’exister sont des actes de barbarie particulièrement odieux. Ils sont peut-être accomplis par des malades, mais s’ils étaient conscients de leurs gestes au moment des faits, comment expliquer l’indulgence des magistrats ? Cela revient à encourager ce genre de méfaits. Et nous renseigne hélas sur ce que l’on savait déjà : lois ou pas, les animaux sont considérés comme moins encore que des objets. Car, si le tueur du chien ou le tueur de chats avaient mis le feu à la voiture de leur voisin respectif, a fortiori s’étaient rendus coupables de vols et de dégradations du bien d’autrui, les peines auraient-elles été moins importantes ? On en doute. Et c’est là que le bât blesse : non seulement les animaux sont des victimes toutes désignées, des boucs émissaires pour les violents, les sadiques, les déséquilibrés et, en gros, tous les salopards que compte la planète mais, de surcroît, si la loi fait semblant de les protéger, la justice, elle, semble bien les ignorer. Sinon, pourquoi, lorsque des actes graves de maltraitance sont portés à la connaissance des parquets, ceux-ci, soit font la sourde oreille, soit prennent des décisions de réquisition bien trop tardives ?

Il faut cependant modérer le propos : il semblerait que la justice évolue d’année en année sur le sujet, du moins dans certaines juridictions. Mais il y a encore beaucoup à faire.

On ne rend pas la justice pour faire plaisir aux victimes. Mais la justice existe pour les protéger, quelles que soient ces victimes. Arrêtons de proclamer que « l’animal est un être sensible », que « le bien-être animal doit être respecté » et autres sentences creuses qui n’ont pour but que de convaincre les naïfs ou les paresseux. La réalité, c’est que les animaux ne pèsent pas encore bien lourd dans la balance de Dame Justice !

Josée Barnérias

(*) Pas tous, car seuls sont concernés les animaux domestiques et les animaux sauvages apprivoisés ou tenus en captivité.