En 2005, Caroline Lanty a été inscrite au barreau de Paris. Depuis lors, elle n’a cessé de mettre sa profession d’avocate au service d’une cause, celle des animaux, dont il y a urgent besoin qu’on la défende.
Me Lanty, qui a été, de 2006 à 2008, la plus jeune présidente de la SPA, a très souvent accepté d’aider La Griffe. Elle a plaidé, elle nous a soutenus par ses précieux conseils. Elle a toujours été à nos côtés lorsque nous le lui avons demandé. Toujours avec le même enthousiasme, la même générosité. Lorsque Caroline Lanty cesse de sourire, c’est qu’elle est en colère. Or, les raisons ne lui manquent pas.
Me Lanty, forte d’une longue expérience, a accepté de nous livrer ses sentiments à propos de la façon dont la justice est rendue lorsque les victimes sont les animaux (1).
La Griffe – Tu es citée dans l’une des dernières lettres de 30MA. La Fondation, que tu représentais, s’était constituée partie civile dans une affaire impliquant un jeune homme de 23 ans qui avait reconnu avoir massacré sans véritable raison une vingtaine de chats. Pour toi, ces actes justifiaient une peine en rapport avec la gravité des faits…
Me C. Lanty – Oui, les faits étaient très marquants et le prévenu visiblement peu concerné par la gravité de ses actes, qu’il a sans difficulté reconnus. Son expertise psychiatrique faisait état « d’une dangerosité sociale avérée ». Il avait massacré des chats qu’il capturait la nuit. Une caméra de surveillance en avait attesté. Il n’a pas essayé de nier, il n’a montré aucun regret et, à l’audience, il n’a eu aucun mot d’excuse pour les familles de plusieurs de ces pauvres chats qui se trouvaient dans la salle. En vertu de la loi, il encourait cinq ans d’emprisonnement et 75.000 € d’amende. Le tribunal l’a condamné à une peine de sursis de six mois. Est-ce que ce sera suffisant pour l’empêcher de recommencer ? Il est permis d’en douter, tant il n’a montré aucun regret. S’il n’y avait pas eu cette caméra, personne n’aurait su ce qu’il s’était passé. Les chats disparaissaient dans le quartier, Sa violence s’est déchainée contre eux. Ils ne parlent pas. Ne se plaignent pas, et meurent le plus souvent à l’abri des regards.
LG – Peux-tu évaluer le nombre d’affaires que tu as défendues et qui concernaient des maltraitances ou des actes de cruauté sur les animaux ?
Me CL – Chaque année, je plaide plus de 100 dossiers en rapport avec les animaux et des faits de maltraitance, d’abandons, de sévices graves, de mauvaises conditions de détention, de privations des besoins élémentaires de l’animal, d’actes de zoophilie ou d’infractions au code de l’environnement pour les animaux détenus dans les cirques. C’est un océan de violence et de misère que les avocats de la cause et les Fondations et associations de protection animale souhaitent voir condamner pour éviter une réitération des faits.
LG – Entre les différentes catégories d’animaux, y a-t-il une différence de traitement ?
Me CL – Le droit fait une distinction entre les infractions qui concernent les animaux. Les faits les moins graves sont réprimés par des contraventions (peines d’amende), les faits les plus graves sont des délits et sont réprimés par des peines de prison et d’amende. On constate une réponse pénale plus appuyée et plus forte lorsque les faits concernent des animaux domestiques dits de compagnie. Pour les animaux non domestiques captifs (animaux de crique notamment) et pour les animaux dits d’élevage, la sanction pénale n’est pas encore assez dissuasive. Nous assistons à des situations très délétères pour les animaux d’élevage (bovins, cochons, volailles, lapins, essentiellement). Les magistrats hésitent encore trop souvent à appliquer des sanctions dissuasives car il s’agit de « l’outil économique du prévenu ».
LG – Justement, depuis 2008, tu es l’avocate de L214. Il y a eu des preuves, des vidéos montrant des actes de maltraitance, voire des actes de cruauté. Tout ceci est avéré. Cependant, les peines infligées sont rarement à la hauteur de ce que les plaignants auraient souhaité. S’il n’y avait pas les associations pour montrer l’envers du décor, est-ce que tout cela serait porté à la connaissance des tribunaux ?
Me CL – Ce qui se joue avec les animaux de ferme appartient à un secteur où l’économie est en jeu, en l’occurrence l’élevage, c’est pour cela que les magistrats sont souvent plus indulgents. Il faut cependant se féliciter des poursuites de plus en plus régulières contre des éleveurs ou des responsables d’abattoirs. L’association L214, notamment mais pas seulement, a permis d’inscrire cette question à l’agenda des tribunaux. Les conditions d’élevage imposées aux animaux sont dures et nous assistons à des situations révoltantes. Le grand public commence juste à savoir ce qu’il se passe dans un élevage, notamment en intensif. Idem en abattoir. Il existait auparavant une opacité tenace qui arrangeait bien ceux qui exploitent les animaux. Les animaux d’élevage sont des êtres sensibles, capables de ressentir la douleur, comme un chien ou chat. Aucun raison qu’ils subissent un traitement si différencié.
Rappelons aussi, que, selon les statistiques officielles, 1% seulement des élevages subit les contrôles officiels de la DDPP. Souvent, l’éleveur est informé de ces contrôles. De plus, les manquements, non-conformités et infractions sont très peu relevés et font l’objet de très peu de suites judiciaires. L’élevage est fondé sur la contrainte exercé sur l’animal pour qu’il réponde à des critères de productivité. Son bien-être ne constitue à l’évidence pas une préoccupation, ou à tout le moins pas une préoccupation essentielle. Il faut changer le regard sur ce sujet et rappeler aux services de contrôles que les textes qui encadrent l’élevage doivent être appliqués strictement. Ce sont des centaines de milliers d’animaux, des millions, qui, chaque jour en élevage, sont placés dans des conditions contraires à leurs besoins.
Quant aux abattoirs, la réglementation y prévoit la présence permanente d’un agent de la DDPP. Mais celui-ci ne se rend pas sur le poste d’étourdissement, de saignée ou d’abattage, là où les infractions sont les plus nombreuses. Son rôle c’est surtout d’assurer la sécurité alimentaire, les souffrances de l’animal dans ses derniers instants restent dans l’angle mort.
Alors, oui, s’il n’y avait pas les associations, tout cela resterait opaque. Elles jouent un rôle essentiel d’information, de communication, de diffusion d’informations sur ce sujet d’intérêt général. Elles sont le relais des animaux pour dénoncer les souffrances dont ils sont victimes.
LG – A ta connaissance, quelles sont les peines les plus lourdes à avoir été prononcées par des actes délictueux tels que sévices graves et actes de cruauté ?
Me CL – Un jeune homme, à Metz, avait été filmé en train de tuer un chat à coups de crosse, puis de le dépecer avec une feuille de boucher. Il a été condamné à deux ans de prison, dont huit mois fermes. Sur une autre affaire de sévices graves, il y a eu une condamnation de 18 mois de prison, avec huit mois fermes et mandat de dépôt (c’est-à-dire que le prévenu est parti en détention à l’issue de l’audience). Il s’agissait d’un gestionnaire de pension animale, donc un professionnel, ce qui représente un facteur aggravant. Dans les deux cas, il y a eu interdiction à vie de posséder un animal. Pour le second, interdiction définitive d’exercer une activité en lien avec des animaux. Les lourdes peines sont très rares, quelques affaires par an. Ce que nous obtenons en revanche fréquemment, lorsque les faits ont été commis à l’égard d’un animal de compagnie, c’est la peine complémentaire d’interdiction à titre définitif de détenir un animal. En complément, et lorsque l’animal n’est pas décédé, les Fondations et associations demandent toujours qu’il leur soit définitivement confié pour qu’il soit remis à une famille aimante et responsable, et qu’il ne retourne pas chez son ou ses bourreaux. Nous sommes suivis sur cette demande dans la plupart des cas. Les associations et Fondations de protection animale viennent en soutien de l’action du Parquet / du Procureur de la République pour rappeler et détailler la réglementation et les sanctions applicables.
Il est rare que la peine prononcée soit très forte et dissuasive pour ce que l’on appelle un primo-délinquant (quelqu’un qui n’a jamais été condamné avant). Notre droit prévoit une gradation dans la sanction, donc des peines légères pour le ou les premiers faits (amende, prison avec sursis…). Je pense tout au contraire qu’il faudrait des sanctions rapides et fortes dès le premier acte pour faire comprendre et faire passer l’envie de recommencer.
C’est un travail de longue haleine que de parvenir à réunir tous les éléments pour faire condamner un auteur de maltraitance, d’abandon ou de sévices graves.
En plus de la condamnation pénale (amende / prison), les auteurs doivent verser des dommages intérêts aux associations et fondations, sommes que nous avons le plus grand mal à recouvrer car les auteurs sont peu ou non solvables. Situation paradoxale : ce sont les associations qui sont pénalisées car elles n’arrivent pas à recouvrer les frais qu’elles ont engagés.
Ce qui est certain, c’est que ce n’est pas la durée de l’incarcération qui est la plus importante, c’est le fait de frapper fort, et tout de suite.
LG – Que faut-il attendre de la justice, alors ?
Me CL – Même si on attend davantage de la justice, il ne faut pas dénoncer uniquement ce qui est négatif. Il faut reconnaître une plus grande écoute, un plus grand investissement des magistrats sur la question animale. Jamais assez selon nous cependant. En effet, la maltraitance à l’égard des animaux n’est pas anecdotique ou sans conséquence, elle signe un comportement de dangerosité sociale, d’envie de s’attaquer aux plus faibles, à ceux qui n’ont pas les moyens de se défendre. Ces actes doivent être appréciés à une plus juste valeur. Ce n’est pas rien de s’en prendre à un animal.
Les associations et Fondations réalisent, au quotidien, un fantastique travail pour déposer plainte, réunir les éléments, accueillir les animaux maltraités dans leurs structures le temps de l’enquête à la demande du Procureur. Il faut ensuite que la justice passe, et passe fort pour décourager et dissuader la réitération. La justice a un rôle protecteur à jouer.
LG – Actuellement en France, les avocats spécialisés en droit animalier sont-ils nombreux ?
Me CL – Stricto sensu, la mention de spécialisation « droit animalier ou protection des animaux » n’existe pas. Donc aucun avocat ne peut se revendiquer « spécialisé » en droit animalier. Mais bien sûr les avocats qui, au quotidien, travaillent avec les associations de protection animale sur ce sujet, ont développé une expertise précise sur ces thèmes. En qualité d’auxiliaire de justice, il est important que l’avocat puisse rechercher tous les éléments de faits et de droit qui permettront au magistrat d’appliquer le plus fidèlement possible les sanctions au regard des faits poursuivis.
Propos recueillis par La Griffe
(1) Il s’agit essentiellement là d’animaux dits de compagnie ou d’animaux de rente, c’est-à-dire destinés à la consommation. Sont concernés par la loi sur les actes de maltraitance ou les sévices et actes de cruauté également les animaux sauvages tenus en captivité. Mais ces lois protectrices ne s’appliquent pas lorsqu’il s’agit d’animaux sauvages libres.
(2) Direction départementale de la Protection des populations.
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