Avant même d’avoir entrepris la lecture du dernier ouvrage de Florence Burgat, consacré à « L’Inconscient des animaux », nous avions, pensant que l’événement en aurait valu la peine, caressé le projet d’une rencontre entre l’autrice et les lecteurs dans une grande librairie de Clermont-Ferrand. Nous étions en effet persuadés que la richesse du propos et l’excellence de celle qui le portait seraient des cautions suffisantes pour nous ouvrir les portes de ce temple local des livres. Ajoutons le prestige de l’éditeur, Le Seuil, qui n’a pas coutume de publier de la littérature-prospectus…
Florence Burgat, elle, avait accueilli la suggestion avec la gentillesse et la simplicité dont elle a toujours fait preuve (*). Elle se montrait prête, en dépit d’un planning surchargé, à faire le déplacement jusqu’à Clermont-Ferrand.
Mais de rencontre clermontoise il n’y aura pas. Pour l’instant, du moins.
A notre grande déconvenue, nous avons reçu de la part de la librairie une réponse condescendante qui avait toutes les caractéristiques d’une fin de non-recevoir pas très bien assumée. Une nouvelle fois, nous comprenions que les animaux n’étaient décidément pas destinés à représenter un sujet d’études convenable.
Florence Burgat, elle, ne fut pas surprise. Voilà quelques dizaines d’années qu’elle consacre inlassablement sa pensée prolifique, sa grande érudition, non à réhabiliter les animaux, qui n’ont jamais été « habilités », mais à leur rendre ce que nous leur refusons et qui pourtant leur appartient aussi : la sensibilité, l’émotion, l’intelligence, la conscience… Et aujourd’hui la psyché.
Florence Burgat, qui est, rappelons-le, une éminente philosophe, a relu Freud. Elle a noté chez le Père de la psychanalyse un intérêt certain pour ceux qu’il appelait les « animaux supérieurs ». « Les perspectives qu’ouvrit Freud, au soir de sa vie, concernant les animaux attestent une nouvelle fois son génie et la fécondité de son œuvre », écrit-elle dans son introduction. Et elle s’engouffre dans cette brèche avec une lumineuse détermination.
Elle prend à témoins d’autres auteurs : Conrad Lorenz, à qui elle se réfère fréquemment, Schopenhauer, et autres penseurs, éthologues, philosophes…
Elle établit quelques incontournables passerelles : « Qu’est-ce qui distingue la psyché du comportement sinon un point de vue sur l’objet et les méthodes d’observation qui en découlent chaque fois ? Comment penser l’une sans l’autre et réciproquement ? »
Elle aborde le chapitre de la psychiatrie animale, une « discipline récente encore peu structurée » qui accompagne les connaissances de l’éthologie. Elle brocarde les « savants décérébrés » qui se sont livrés à des expériences d’une cruauté sans nom – vrai catalogue d’horreurs – pour prouver quoi au fait ? Que les animaux étaient capables de souffrance ? Ils le sont. « Si le modèle n’est pas bon, pourquoi procéder à ces expériences et, s’il est bon, pourquoi alors ne pas poser la question de l’éthique ? »
Elle démonte minutieusement les argumentaires qui nient aux animaux non seulement une conscience, mais aussi un inconscient. Elle les démonte en réfutant mais surtout en affirmant et c’est là toute la force de l’ouvrage.
On ne peut ramener la vie animale à la biologie, l’autrice le prouve de mille façons. La vie elle-même le prouve. Quant aux héritages archaïques, leurs « contenus innés sont propres à tous les êtres vivants. […] Admettre l’existence d’un héritage archaïque réduit ipso facto le gouffre que l’orgueil humain a creusé entre lui et les animaux. »
La question est : sommes-nous différents des autres animaux. Pour Florence Burgat, la réponse est définitivement « non ». Mais pour nombre de nos contemporains, la chose n’est pas d’une fulgurante évidence. Il ne suffit donc pas d’avoir des impressions, des intuitions, des certitudes. Il faut comme le fait Florence Burgat racler jusqu’au sang les truismes des négationnistes de la cause des animaux. Il faut prouver, argumenter, prouver encore, puisque cette cause-là, plus que toute autre, doit faire la preuve de sa nécessité, de sa justice et de sa justesse.
Au fil de ses quelque 260 pages, la découverte de « L’inconscient des animaux » n’est pas toujours aisée. Mais voilà un document qu’il faut lire, parcourir, acheter, promouvoir. S’il présente des complexités, des difficultés, il n’en comporte pas moins des passages limpides dont la beauté et la clarté nous remplissent de la conviction dont nous avons de plus en plus besoin pour continuer à avancer.
(*) Florence Burgat est membre d’honneur de La Griffe.
L’Inconscient des animaux par Florence Burgat, Editions du Seuil.