Sept universitaires en face d’un public constitué d’une cinquantaine de personnes, dans un amphi de l’Ecole de Droit, à Clermont-Ferrand… C’était pour un colloque sur La mort de l’animal à la lumière du droit, une manifestation accueillie avec bienveillance par le Doyen de l’établissement, Christine Bertrand. L’une des deux organisatrices, Anne-Blandine Caire, le faisait remarquer : « Il y a des facultés qui auraient refusé ce colloque. Ici, au contraire, c’est le centre de recherches qui l’a entièrement financé ». Cinquante auditeurs, ce n’était pas le Zénith un soir de concert, ni même un match de foot de promotion d’honneur dans une sous-préfecture du Cantal, mais c’était déjà bien… Il était évident que seuls les concernés, les initiés, les convaincus, se rendraient au rendez-vous, pourtant d’accès libre et gratuit.
Dommage pour les absents… Il y a deux ans, un colloque sur le droit animalier avait eu lieu au même endroit, organisé par le Barreau de Clermont-Ferrand et le Centre Michel-de-L’Hospital. On ne se réjouira jamais assez de ces initiatives récurrentes qui, on l’espère, vont « récurrer » encore longtemps, parce qu’il y a tellement de choses à dire, et tellement de choses à faire, les premières étant souvent le moteur des secondes, à moins que ce ne soit le contraire !…
Les six intervenants prévus disposaient chacun de vingt minutes pour développer le thème de leur choix. Evidemment, vingt minutes, c’était trop peu, aussi, presque avant d’avoir commencé, on accusait déjà un sacré retard. Par ailleurs la densité des propos tenus faisait un peu regretter cette course au temps… Peut-être à l’avenir, l’initiative, excellente par ailleurs, gagnerait-elle soit à limiter le nombre d’intervenants, soit à se déployer sur la journée entière, voire sur deux jours.
Bien que chacun eut choisi un thème précis, les discours devaient de temps à autre se recouper, mais l’angle étant à chaque fois légèrement différent, on évitait la répétition.
Xavier Perrot, maître de conférences en histoire du droit, venait de l’Université de Limoges. Il n’était pas le seul. Lucille Boisseau-Sowinski, maître de conférences en droit privé et sciences criminelles, avait également fait le voyage depuis la capitale du Limousin où officie, il faut le rappeler, Jean-Pierre Marguénaud, en tant que professeur de droit privé dans cette même université. Jean-Pierre Marguénaud est le directeur de la Revue semestrielle de droit animalier.
Les interventions
Observation anthropologique du droit sur la mort animale par Xavier Perrot
De la mort de l’animal au cours de l’histoire, qu’elle soit ritualisée ou anomique, qu’elle concerne les animaux domestiques ou les animaux sauvages, qu’a dit le droit au cours des siècles ? Xavier Perrot, dans son intervention intitulée Observation anthropologique du droit sur la mort animale, répondait à cette grave et vertigineuse question. Pour l’anecdote, il évoquait les procès d’animaux au Moyen-âge, lors desquels les accusés étaient de toute façon condamnés. Souvent il s’agissait de porcs ayant passé leur mauvais poil sur les enfants qui les gardaient.
La mort des animaux, c’est aussi le chagrin de leurs détenteurs, et leur volonté de donner une sépulture à leurs compagnons. En ce domaine, rien n’est acquis. La religion est passée par là : les bêtes dépourvues d’âme, et les gens, créatures d’essence divine, ne se rejoindront pas davantage dans la mort qu’ils n’avaient les mêmes prérogatives dans la vie… Toutefois, rien n’est joué définitivement, et l’histoire du chien Félix montre que peut-être, il existe des brèches dans lesquelles pourraient se glisser l’ombre des animaux défunts pour partager la tombe de leur maître adoré.
Xavier Perrot parlait aussi de l’animal dit « d’utilité », de l’animal de sacrifice, de l’animal de boucherie, de l’animal sauvage, de l’animal destiné au combat… Évoquait au passage les abattoirs, la corrida, la taxidermie (« Pourquoi admirer l’animal mort ? ») et tout-à-trac, la chasse et la recherche du trophée, etc. « Pourquoi, concluait-il, des muséums d’histoire naturelle ? Que signifient des musées qui présentent des animaux morts ? ». A elle seule, l’intervention de Xavier Perrot aurait bien valu un après-midi entier…
La nécessité et la légitimité de tuer des animaux par Lucille Boisseau-Sowinski
Bon sang, que le sujet de l’animal mort est vaste, riche, puissant ! Même réduits à l’état de cadavres, les animaux existent encore, nous les fréquentons et ils nous habitent. On devait encore une fois en prendre note avec Lucille Boisseau-Sowinski, qui évoquait La nécessité et la légitimité de tuer des animaux à la lumière des différentes lois qui ont vu le jour pour codifier cette importante question. Mais qu’en est-il du concept de « nécessité » ? « Au regard de la jurisprudence, on a conclu que la nécessité était comme un équivalent de la légitime défense ». Sauf que la justice se trouve piégée parfois par cette acception. « Lors du récent procès qui a eu lieu à Brest sur le broyage des poussins, et lors duquel l’association L214 s’était portée partie civile, le tribunal a été bien mal à l’aise et il a botté en touche. Le seul argument qu’il a pu évoquer, c’est que l’élevage industriel est légal, et qu’il n’appartient pas au juge de remettre cela en question ». Toutes les pratiques de mise à mort des animaux en surnombre (sacrifice des chevreaux pour pouvoir obtenir du lait de chèvre, pratique fréquente de l’euthanasie dans les zoos, etc.) ne se retrouvent pas dans les tribunaux. Il y aurait grave pléthore d’affaires ! « Le débat sur la nécessité de tuer doit être ouvert », concluait l’oratrice.
La mort problématique et différenciée des animaux aquatiques par Philippe Boucheix
Le troisième intervenant, Philippe Boucheix, est maître de conférences en droit public à l’Université d’Auvergne, mais également, on ne peut pas ne pas l’invoquer, président de l’Association nationale de protection des eaux et rivières (ANPER). D’où sa passion pour l’élément liquide et ceux qui le peuplent. Son intervention portait d’ailleurs sur La mort problématique et différenciée des animaux aquatiques.
D’entrée de jeu, l’universitaire dénonçait la « pensée spéciste » qui ne concerne pas seulement les poissons, certes, mais qui est encore plus manifeste à leur égard. « La mort des animaux aquatiques, disait-il, fait l’objet d’un regard très différencié. Toutefois, au regard du droit de la pêche, quelques espoirs sont permis… »
Braconnage, pollution due notamment aux déversements de lisier dans les cours d’eau… La mort programmée des uns (les animaux d’élevage) entraîne la mort accidentelle des autres, car les poissons ne résistent guère à de tels traitements. Philippe Boucheix dénonçait aussi les effets de la pêche industrielle. « C’est une fin de vie terrible pour tous ces animaux, une mort lente et extrêmement douloureuse ». Et à l’entendre, qui pouvait ne pas prendre conscience de ce carnage qui concerne plusieurs centaines de milliards d’animaux chaque année dans le monde ? D’après lui, la question de la mort des animaux aquatiques va au-delà d’une question de droit.
En Italie, il est désormais interdit d’ébouillanter les écrevisses… Et en France ? dans certains restaurants, on propose des « truites au bleu ». Cela consiste à jeter une truite encore vivante dans l’eau bouillante… Une pratique vigoureusement dénoncée par Philippe Boucheix. On comprend aisément pourquoi…
La fin de vie des chevaux par Jean-Marc Neumann
L’exposé de Jean-Marc Neumann, juriste, directeur-fondateur de l’association Animal et Droit, qui portait sur La fin de vie des chevaux était dédié à Ebène, « un âne abattu il y a quelques jours par des jeunes imbéciles d’une balle de 22 long rifle »…
C’est vers -3.500 ans avant J.-C. que le cheval a été domestiqué dans les plaines du Kazakhstan… « Le cheval captive et fascine. » Sur le plan juridique, le cheval est considéré comme un animal de rente, mais le cheval « compagnon » a tendance à prendre de plus en plus de place. En France, une population de 1.100.000 équidés représente un marché de 14 milliards d’euros par an. La transition du statut d’animal de rente à animal de compagnie serait-elle en train de s’effectuer ? « Le cheval occupe une place particulière dans le droit français, expliquait Jean-Marc Neumann. Il suscite une jurisprudence abondante. »
Les équidés peuvent être, par une procédure qui leur est particulière, exclus de la consommation humaine (en France, chaque année, 70.000 équidés finissent à l’abattoir, dont environ 20.000 sur le sol français, les autres étant envoyés à l’étranger). Jean-Marc Neumann insistait sur le fait qu’en France, les abattoirs n’étaient pas équipés pour l’abattage des équidés, ils ne sont simplement pas aux normes. En 2013, 105 abattoirs étaient censés recevoir des équidés (sur un peu mois de 300), mais en réalité très peu pratiquent cette sorte d’abattage. Pour les cadavres des équidés qui ne finissent pas à la boucherie, il y a deux alternatives : l’équarrissage (la transformation industrielle des corps qui sont transformés en farines animales) ou l’incinération, cette dernière représentant un coût très élevé (environ 1.200 euros par individu). Jean-Marc Neumann évoquait « les images choquantes montrées par L214 », et déplorait que, depuis quelques années, on dénombre en France de plus en plus de chevaux. Des poulains naissent « qui n’ont aucun avenir ». Il insistait sur la nécessité urgente de réguler le nombre des naissances, afin qu’il y ait moins de morts injuste et atroces…
Du droit de disposer du corps de son animal par Muriel Falaise
L’exposé de Muriel Falaise, maître de conférences à l’université Jean-Moulin Lyon III, portait sur un sujet précis mais complexe sur le plan juridique, celui du Droit de disposer du corps de son animal. Une préoccupation de santé publique qui est née avec l’ère industrielle. « En 1855, on a institué une taxe pour chaque chien possédé, qui était à l’époque l’équivalent de 15 euros aujourd’hui. A la suite de cela, on a constaté la mort de très nombreux chiens dont les propriétaires se débarrassaient pour ne pas avoir à payer. Il y avait tellement de cadavres qu’on ne savait qu’en faire, on s’est mis à fabriquer des gants en peau de chien. La Seine regorgeait de chiens morts flottant au fil de l’eau… » Du coup, la loi du 21 juin 1898 instituait l’interdiction de jeter les cadavres dans les bois, les rivières les mares ou les voiries, de les enterrer à proximité des puits, etc.
Aujourd’hui, les cadavres des animaux qui ne sont pas consommés peuvent avoir quatre destinées différentes : l’équarrissage, l’incinération, l’enfouissement (on dit « enfouissement » pour les animaux, et « inhumation » pour les hommes NDLR), la naturalisation. A chacune de ses options correspondent des règles différentes. L’oratrice insistait cependant sur l’incinération des animaux de compagnie dont les cendres, selon le choix du propriétaire, peuvent être conservées à domicile, dispersées ou enfouies dans un terrain privé, un cimetière animalier, et même un cimetière communal, aux côtés du propriétaire, au titre des objets familiers. Il faut cependant pour cela obtenir l’autorisation expresse du maire.
Peuvent cependant être enterrés les animaux domestiques de moins de 40 kg, mais pas dans tous les cas. Du coup, la question du cimetière animalier se pose de plus en plus. A l’heure actuelle, il en existe quarante en France (quatre dans la région Rhône-Alpes Auvergne), le premier ayant été créé à Asnières au tout début du XXe siècle.
De plus en plus, expliquait Muriel Falaise, on a recours aux cimetières virtuels, certes moins coûteux et permettant de garder une trace d’un animal aimé, de partager son souvenir. Quant à la taxidermie, elle est un recours pour quelques propriétaires : 5% des animaux naturalisés sont des animaux familiers.
Les lois « Ag Gag » par Allison Fiorentino
Qui avait déjà entendu parler des lois « Ag Gag » américaines dans l’assistance ? Un sujet passionnant développé par Allison Fiorentino en fin de colloque. Ces lois, qui ont commencé à faire leur apparition dans plusieurs états aux USA, sont censées bâillonner les témoins des horreurs qui se déroulent dans les abattoirs et sanctionner, avec de très lourdes peines à la clé, toute dénonciation d’actes de cruauté dans les élevages et ces mêmes abattoirs. Ces lois sanctionnent non seulement les militants qui prennent des photos et des films, mais également les associations qui les diffusent. Cela, bien entendu, est à nos yeux une grave atteinte à la liberté d’expression, et si de telles lois avaient existé en France, L214 n’aurait jamais pu diffuser ses vidéos. Outre-Atlantique, il faut y voir le poids des lobbies qui finissent par avoir ce qu’ils désirent auprès des politiques. Devons-nous craindre à notre tour ce genre de censure ?
Allison Fiorentino rappelait l’historique des enquêtes dans les élevages et les abattoirs. Tout commençait en 1905 avec un roman, The Jungle, écrit par le journaliste et romancier Upton Sinclair. Celui-ci s’était fait embaucher un an plus tôt dans un abattoir pour dénoncer l’épouvantable condition des salariés. Sans le vouloir vraiment, il a fait coup double, puisque dans The Jungle sont largement évoqués les traitements atroces que subissent les animaux.
Aux Etats-Unis, en 2013, des propositions de loi Ag Gag ont été déposées dans quinze Etats…
Le point de vue de La Griffe, association de défense des animaux
En fin de colloque, la parole était laissée à La Griffe, qui avait été invitée. Il était important pour nous qu’une association, quelle qu’elle soit, puisse s’exprimer sur les sujets qui avaient été évoqués et aussi sur l’aide que pouvait apporter le droit aux militants associatifs. Sauf que, justement, le droit ne les aide pas beaucoup…
La philosophe Florence Burgat écrit, dans l’ouvrage récemment publié qu’elle a cosigné avec Jean-Pierre Marguénaud et Jacques Leroy, et qui s’intitule Le droit animalier : « Par droit animalier, on entend l’ensemble des dispositions légales et réglementaires actuellement en vigueur portant sur les animaux. Il n’existe pas de livre, et moins encore de Code, regroupant ces dispositions ; elles sont réparties au gré des usages auxquels l’homme soumet les animaux. » Le droit animalier, pour le droit, est anecdotique, alors qu’il existe, par exemple, un Code de l’environnement… Là encore, on s’aperçoit que les animaux, selon l’espèce et la catégorie à laquelle ils appartiennent, voire la « race » (le concept de race a mauvaise presse lorsqu’il s’agit de l’homme, en revanche, on l’emploie à l’envi lorsqu’il s’agit des animaux), sont traités différemment et ne méritent pas encore, aux yeux du législateur, d’avoir un droit – sinon le droit – pour eux.
La mort des animaux, c’est le quotidien des militants associatifs. Même plus la peine d’évoquer les horreurs dévoilées par l’association L214. Tout le monde les connaît (en France, pas encore de lois « Ag Gag »). Tout nous laisse à penser que ces scènes sont loin de représenter une exception. Que fera la justice ? En dépit de la posture de certains politiques, il est probable que l’on va tenter de faire oublier l’affaire… Pas difficile. L’actualité regorge de pratiques scandaleuses, de crimes, de guerres, d’horreurs en tout genre. Pourtant, attenter à la vie d’un être, quel qu’il soit, c’est la pire des violences que l’on puisse lui faire subir. Et puis les animaux dédiés au « grand massacre », pour emprunter le titre de l’un des premiers livres parus sur le sujet en 1981, ne valent pas tripette au yeux de leurs tueurs. Pourquoi alors se priveraient-ils de faire joujou avec eux, d’en faire des objets de risée, de les moquer, de les brutaliser ? Il en faudra des contrôles, des lois, des réglementations, fussent-elles draconiennes, pour changer cela…
La mort à l’abattoir est une mort légale. Encore faut-il être sûr que tout cela se passe « proprement » comme on dit. Mais les abattoirs sont des lieux absolument opaques. Aujourd’hui on comprend mieux pourquoi. La loi dit qu’on ne doit pas faire souffrir un animal sans nécessité. Mais on ne précise pas les contours de cette nécessité. Depuis 1964, la loi, toujours elle, exige que les animaux soient étourdis avant leur égorgement, il existe pour cela des méthodes plus ou moins fiables, plus ou moins traumatisantes et douloureuses, mais passons. Cette loi supporte une dérogation qui a tendance, si l’on considère les estimations (il n’existe pas de chiffres officiels) à devenir la règle. Les cultes juif et musulman exigeant que les animaux ne soient pas étourdis avant leur abattage. On pense qu’environ 50% des ovins, plus de 20% des bovins, et d’innombrables oiseaux sont aujourd’hui égorgés sans étourdissement.
La mort des animaux, c’est aussi la mort-spectacle, avec la corrida, dûment interdite sur les neuf dixièmes du territoire français. L’article 521-1 du code pénal assimile la corrida à des sévices et actes de cruauté sur un animal captif, actes qui sont virtuellement passibles de deux ans d’emprisonnement et 30.000 euros d’amende. Or, que voyons-nous : par un tour de passe-passe dont nous avons en France le secret, ce qui est illégal ici devient légal un peu plus loin, pour peu qu’il s’agisse de lieux où une pratique ininterrompue peut être évoquée. On ne nous en dira pas plus, ni sur ces lieux (des villes, des villages, des départements, des secteurs, des zones…), ni sur ce que signifie exactement « pratique ininterrompue ». C’est une brèche dans laquelle pas mal de cités taurines se sont engouffrées.
Il y a aussi la mort-loisir des chasseurs. Qui, sinon armé d’une monumentale mauvaise foi, comme les politiques ou les chasseurs eux-mêmes, pourra prétendre que la chasse est utile à quelque chose, si ce n’est à semer la mort et la souffrance, en plus d’un évident massacre écologique ? Et pourtant, la loi admet que l’on classe certaines espèces en « nuisibles » et que, dès lors, tout soit bon pour les éliminer, même les pires des pratiques, les plus sauvages, les plus cruelles. Et que dire du braconnage, souvent toléré, dans le sud-ouest par exemple, par des arrêtés qui ont force de loi ? Les animaux sauvages, faut-il le rappeler, si ce n’est au titre d’espèces protégées, sont totalement ignorés par le droit.
Quant à l’expérimentation animale, normalement, les textes qui la réglementent sont des garanties que le maximum de souffrance sera évité, mais les dérogations sont légion. Et de toute façon, l’opacité des pratiques est totale. En Europe, douze millions d’animaux sont utilisés aux fins de recherche dans toutes sortes de domaines ; 2,2 millions en France. Citons Audrey Jougla, auteur de Profession : animal de laboratoire, qui a enquêté pendant un an et demi dans des laboratoires publics et privés, qui est venue récemment à Clermont invitée par La Griffe, et qui a déclaré ceci : « Il est tout simplement impossible de bien traiter les animaux de labo. Parce qu’ils sont rendus volontairement fous ou malades ; parce qu’ils vivent dans un confinement extrême, dans des lieux très bruyants, des sous-sols éclairés en permanence au néon. C’est un environnement carcéral. Quant aux relations avec le personnel animalier… On a beaucoup de mal à travailler avec des animaux qui souffrent, dont on sait qu’ils sont là pour ça, et à prendre soin d’eux en même temps. Des fois, cela se passe bien, et d’autres fois moins bien ou très mal. Mais quoi qu’il en soit, ce sont tous des animaux en grande souffrance. » Ces animaux en meurent quasiment tous, un petit nombre seulement réchappe de des expériences. Là non plus, on le voit, le droit n’est pas d’une grande utilité.
Enfin il y a les animaux que l’on connaît le mieux et qui sont, pour nous La Griffe, des préoccupations et des souffrances de tous les jours, les animaux dits de compagnie. Que nous préférons appeler « animaux compagnons », « animaux de compagnie » évoquant irrésistiblement un « marché », florissant d’ailleurs . On a tendance à croire que ceux-ci sont les mieux protégés par la loi, mais là encore il convient d’y regarder d’un peu plus près. En France, qui n’est pas le pire des pays, on dénombre à environ huit millions le nombre de chats vivant dans des foyers. Et on estime à plus de dix millions ceux qui vivent dans la rue. Ceux-ci, on peut à peu près tout leur faire. Et on ne s’en prive pas. A la demande de communes, de particuliers, ils peuvent être capturés et éliminés, dans les fourrières, dont les murs sont à peu près aussi opaques que ceux des abattoirs, mais aussi dans certains « refuges » qui évoquent des raisons sanitaires, ou simplement une prolifération ingérable. Ils sont nous dit-on euthanasiés… Il y a euthanasie et euthanasie. Pour avoir assisté à de telles scènes, nous savons que ces prétendues euthanasies sont souvent des mises à mort douloureuses et de toute façon extrêmement stressantes pour un animal jeune et vigoureux qui n’a pas envie de mourir. D’autres petits félins ont encore moins de chance : ce sont toutes sortes de tortures, de mutilations, ou, pour les chatons, la tête écrasée sous la botte ou contre le mur, cela peut être également l’asphyxie et la noyade (on n’est jamais trop prudent) enfermé dans un sac plastique et jeté au fil de l’eau.
Quelle loi, quel droit vont les défendre ?
Quant aux chiens, ils sont les victimes désignées des tortionnaires, et les chiens martyrs sont plus nombreux qu’on ne croit. Les chiens surnuméraires sont eux aussi éliminés sans état d’âme dans les fourrières, dans certains refuges, assassinés par des particuliers. Ils sont bradés sur Internet. Ils n’ont aucune existence. Eux aussi, qui va les défendre ? Nous avons monté un dossier à partir de témoignages très précis, des témoignages que l’on sait fiables, sur ce qui se passe sur les aires des gens du voyage avec les chiens. C’est édifiant. Et c’est terrible. Aucune loi ne protège ces animaux. Elles existent pourtant, mais personne ne se risquera à les utiliser. Pour avoir la paix, les autorités ferment les yeux. Dans nos belles campagnes, c’est la même chose. Où que nous allions, nous voyons toujours le même spectacle : des chiens à l’attache, pataugeant dans leurs excréments, mal nourris, bouffés par la vermine. En ville, ils sont enfermés dans des appartements d’où ils ne sortent que rarement, privés d’eau et de nourriture pour qu’ils fassent le moins de saletés possible, de pipis, de déjections… Quand ils ne sont pas roués de coups… Oh bien sûr, ils ne sont pas tous assassinés, mais c’est tout comme. La loi ? Nous appelons la police ou les gendarmes qui parfois vont se faire prier pour venir constater. Et s’ils viennent, ils ne pourront rien faire. Il faudra une décision de justice. Celle-ci tardera à arriver ou bien n’arrivera jamais. Et nous, nous sommes impuissants à sauver ces animaux, qui, pour le coup, finiront par y laisser la vie. Et les NAC, vendus par centaines de milliers, comme des jouets, dans les animaleries ? Eliminés dès qu’ils présentent le moindre défaut ? Que dit la loi pour eux ? Quant aux animaux de ferme en souffrance, abandonnés dans des champs, sur des exploitations dont l’exploitant a depuis belle lurette baissé les bras, avant que la justice prenne une décision, il se sera fait bien tard, trop tard, et ce que l’on retrouvera, ce seront des cadavres… Le droit ? Où est le droit ?
Nous déposons plusieurs plaintes chaque année, pour des motifs qui sont considérés au pire comme des délits, au mieux comme des infractions. Nous n’avons jamais eu le moindre retour. Rien pour nous dire que la plainte était classée sans suite. La justice est sinistrée, mais lorsqu’il s’agit des animaux, elle l’est encore bien davantage. Qu’allons-nous devoir faire ?
Il y a tout juste un an, trois chiens dont le détenteur avait été trouvé mort à son domicile (on a conclu à un suicide) ont été conduits manu militari à la fourrière. Le chat de la maison s’était planqué sinon il y aurait eu droit lui aussi. Le cadavre de cet homme montrait, sur l’un des côtés de la face, des plaies qui avaient une origine post mortem. Immédiatement, on a catalogué les chiens comme étant des mangeurs d’homme. Et dans la panique, le substitut du procureur qui était de service ce jour-là voulait les faire euthanasier sans autre forme de procès, au mépris des lois qui interdisent ce genre d’exécution rapide et sommaire… Ces chiens ne présentaient aucun caractère de dangerosité. Il ne fallait pas être grand clerc pour comprendre ce qu’il s’était passé (lire ici). Nous avons réussi à les sauver.
Le droit… Il va lentement, il bricole, il s’accommode. Souvent, sous prétexte de réglementer, il représente l’aménagement du crime, sa caution morale en quelque sorte. Pour l’instant, le droit animalier est morcelé, indécis, imprécis, parce que notre vision l’est aussi. Tant que nous refuserons de voir dans les animaux des êtres dont la vie et l’intégrité doivent être respectées, même s’ils ne sont pas « sujets » de droit, nous serons condamnés à barboter dans les eaux troubles de ce qui est légal sans être légitime, de ce qui est licite et à la fois intolérable…
Mais nous voulons y croire. Nous voulons croire que, grâce à des juristes comme tous ceux que nous avons cités, et bien d’autres encore, le droit trouvera la voie vers la justice envers les animaux…
Josée Barnérias
Excellente synthèse de l’après midi Josée !
J’étais présent (il n’y avait pas ce vendredi là de match de promotion dans le Cantal ) et j’ai particulièrement apprécié ton intervention dynamique secouant le Landerneau juridique!
Pour information, il y aura à la rentrée prochaine, mis en place par l’Université de Limoges et décentralisé à Brive, un diplôme en droit animalier réparti sur 54h en septembre (lune des participantes au colloque en sera la Directrice: Lucille Boisseau-Sowinski)
À samedi peut être pour la Vegan Place!
Bises