« La corrida hors-la-loi ? »

 

Oui, et après ?…

 

 

 

« Si je voulais argumenter sur la nécessité d'abolir les corridas, il me suffirait d'énumérer les blessures infligées aux taureaux et aux chevaux? À moins d'avoir en face de soi des individus totalement insensibles, le pari serait gagné. Mais je me place sur le terrain de la raison et non de l'émotion? », annonçait en préambule Jacques Leroy, professeur de droit privé à l'Université d'Orléans et rédacteur en chef de la Revue semestrielle de droit animalier (RSDA).

 

Il était en effet l'un des deux intervenants – le second étant Robert Clavijo, président du Colbac, le Comité de liaison biterrois anti-corrida – de la conférence organisée à Clermont-Ferrand par l'association les Vaches rouges et qui avait pour objet « La corrida hors-la-loi ? »

 

Article 521-1 du Code pénal

Impossible de ne pas se référer d’abord à l'article 521-1 du Code pénal qui interdit de pratiquer des « sévices graves ou des actes de cruauté »sur les animaux, et à son alinéa 7 qui introduit deux exceptions à cette règle : la corrida et les combats de coqs, à condition qu'ils se déroulent là où « une tradition locale ininterrompue peut être invoquée ». L'acte de cruauté ne serait donc plus « une infraction pénale dans la mesure où il est culturel », constatait Jacques Leroy. « Ce texte me laisse perplexe et révèle une grave contradiction interne. Cet appel à la tradition me paraît très insuffisant pour justifier la légalité de la corrida, d'autant qu'il n'existe pas de définition de la tradition en droit pénal. »

En France, les corridas ont été introduites, à peu près à la même époque que la loi Grammont(*), par Eugénie de Montijo, l'épouse de Napoléon III. Mais elles ne sont devenues légales qu'en 1951. « Pendant tout le temps où la loi interdisait les corridas par le truchement de l'article 454 du code pénal de 1810, il y a eu des corridas. La loi de 1951 a transformé la coutume qui offense la loipar la coutume acceptée par la loi. Cela peut-il légitimer ce qui est reconnu comme un acte de cruauté ? »

 

Pas d’illusion…

Alors pourquoi cette « permission » qui écorche quelques valeurs fondamentales comme celle qui interdit de nuire à l'intégrité physique d'un être sensible ? Entre autres, le fait qu'il s'agisse d'un spectacle et que cela mette en cause des intérêts économiques, répondait l'orateur.

« Les taurins se situent uniquement sur le plan abstrait : la souffrance est gommée, idéalisée, dissimulée. Ils la transforment en art (et de citer Cocteau, Picasso? NDLR). Fernand Léger a fait de même à partir des brancardiers dans les tranchées. Il y a toujours possibilité de créer de l'art à partir de la souffrance. »

L'argument suivant portait sur le sens du mot « local ». « On a des interprétations différentes. Des juridictions interdiront ce que d'autres autoriseront, sans que l'on sache très bien quels sont les critères. Pourquoi ce qui est considéré comme un crime ici serait-il la norme là-bas ? L'article 521-1 devrait traiter de manière égale les justiciables. Les inégalités sont accentuées par l'imprécision de la loi. »

En dépit d'arguments qui semblent indiscutables, Jacques Leroy ne se montrait pas très optimiste. Il concluait : « Il ne faut pas se faire d'illusion. Ce sera difficile d'obtenir l'abrogation de l'alinéa 7. »

 

En marge des lois

Conférence corrida 31 03 2011Ceux que son exposé n'avait pas réussi à convaincre auront peut-être, ensuite, été secoués par le film de 15 minutes projeté avant l'intervention de Robert Clavijo.

Alinéa 3, de Jérôme Lescure, est une anthologie… Images de la cruauté ordinaire collectées pendant toute une saison (2004) dans les arènes de France.

Robert Clavijo est militant. Le Colbac existe depuis 1993 et porte son combat. Il possède parfaitement son sujet, et maîtrise le langage taurin mieux que ne le feraient certains aficionados. Son discours est sobre, structuré. Et d'entrée, il annonce la couleur : «  Le milieu taurin vit en marge des lois, au-dessus d'elles. »  

Pour mieux en convaincre son auditoire, il faisait la liste des accessoires utilisés, tous en défaut par rapport à la réglementation ; les pratiques telles que le marquage au fer rouge : « Les éleveurs de taureaux de corrida sont les seuls qui marquent au fer. Si c'était indispensable, les autres l'auraient adopté. On ne brûle pas seulement le poil, mais la peau en profondeur, jusqu'à la racine du pelage. Alors que les chevaux ont droit à une marque, il en faut quatre pour les taureaux. Les éleveurs sculptent les oreilles, soit au couteau soit au ciseau, sans anesthésie. C'est de la cruauté gratuite. Les touristes sont invités au spectacle. Les médias locaux ferment les yeux. »

Les fraudes sont légion, d'après Clavijo : coups de barrière perfides et violents ; alimentation destinée à alourdir l'animal ; administration de drogues diverses ; blessures interdites infligées par les picadors ; l'afeitado, qui consiste à scier à vif les cornes, une opération très douloureuse. «  L'afeitado est autorisé dans l'immense majorité des spectacles. Même si la fraude est avérée, il n'y a jamais la moindre enquête, jamais la moindre sanction. »La viande de taureau de corrida, bien que ne correspondant en rien aux critères sanitaires exigés, est souvent mise en vente dans les rayons des boucherie des villes du Sud.

 

 

Toromafia

Enfin, Robert Clavijo évoquait les trafics financiers et un rapport du Conseil économique et social du Languedoc-Roussillon intitulé  L'impact du taureau et de la filière taurine en Languedoc-Roussillon, d'où il ressort que les éleveurs refusent « de livrer le moindre chiffre, que ce soit en rapport avec les surfaces, avec le nombre d'animaux, le montant des subventions qu'ils touchent? Une économie sans chiffres, c'est comme un couteau sans lame ». Le rapport conclut, conciliant : «  La transparence n'est pas dans ces milieux une vertu cardinale . »L'extrême indulgence à l'égard des milieux taurins semble cependant en être une pour le CES Languedoc-Roussillon…

Le militant du Colbac évoquait même la toromafia, bâtie sur le modèle de la mafia italienne.

La corrida, zone de non droit : l'affaire semblait entendue. Ne restait plus qu'à peaufiner, lors du débat qui suivait la conférence. Ou plutôt porter l'estocade (les lecteurs voudront bien pardonner à l’auteur cette métaphore taurine facile, attendue, mais irrésistible…).Outre une constatation qui réjouira les anti-corrida, le territoire occupé par cette pratique diminue inexorablement comme peau de chagrin, le nombre de corridas et les spectateurs également (« La corrida vit de subventions publiques. Sans les férias, il n'y aurait personne dans les arènes »),il semblerait que les taureaux ne soient plus ce qu'ils étaient : les sélections génétiques ont eu pour effet d'arriver à l'exact contraire de ce qu'elles étaient censées produire. Àcause de la consanguinité inévitable, les taureaux seraient de plus en plus fragiles? Ce que corroborait, de façon très inattendue, un aficionado présent dans la salle, et qui avouait son sentiment : « La corrida mourra de l'intérieur »?

 

En attendant, des taureaux, des chevaux sont suppliciés. Va-t-on attendre les bras croisés que le combat cesse, faute de combattants ? Les militants ne semblent pas prêts à rendre les armes, et ils ont raison. La corrida a peut-être commencé son dernier combat. Mais quelle honte pour les législateurs, qui semblent pour l’instant inaccessibles à tout sentiment de compassion et qui préfèrent de toute évidence laisser pourrir la situation, s'ils étaient pris de vitesse par le temps !? Si la mort de la corrida ne venait pas d’eux, mais « de l’intérieur »…

 

                                                                                                                                                              Jeph Barn