L’été est propice à ce genre de marronnier : j’ai vu récemment, lors d’un JT sur une chaîne d’info, un micro-reportage sur les légendaires abandons d’animaux dits de compagnie avant les vacances. Et cela m’a agacée, comme toujours. Je devrais pourtant me réjouir, moi, convaincue que la cause des animaux est la plus juste des causes, que les médias s’intéressent enfin à nos infortunés petits frères. Encore faudrait-il qu’ils ne se fassent pas l’écho des constats approximatifs, des informations erronées et récurrentes dont on ne connaît pas exactement l’origine.

PENSION OU PETSITTER ?

Chaque année, cela revient comme la grippe. On nous montre les box d’un refuge de la SPA (il en existe plus d’une cinquantaine en France) ou d’une autre structure (de nombreuses associations indépendantes sont également gestionnaires de refuges). Les box sont pleins, bien entendu. On oublie de dire que, depuis bien des années, les box sont pleins tout le temps, et pas seulement en été. On aperçoit derrière les grilles les regards implorants de quelques pauvres chiens et les images furtives de trois ou quatre chats qui vaquent à leurs occupations dans un local prévu à cet effet. On tend le micro aux personnels, qu’ils soient salariés ou bénévoles. A quelques mots près, ils tiennent toujours le même discours, qui donne approximativement ceci : « Oui, beaucoup d’animaux sont rentrés ces dernières semaines. Il existe pourtant des solutions pour faire garder son animal pendant les vacances, comme les pensions. On peut faire appel aux amis, à la famille, et aussi avoir recours à un petsitter ». Fin du ban. Qu’on se le dise : c’est hyper facile de s’absenter pour trois semaines et de laisser son ou ses animaux. A condition d’avoir quelques moyens, bien entendu. Une journée de pension, c’est autour de 15 €. Certains sont prêts à faire le sacrifice. D’autres non. D’autres encore ne peuvent tout simplement pas. Avoir un animal aujourd’hui est une sorte de luxe. Nourrir, soigner, faire garder… Tout cela coûte très cher. Il vaut mieux le savoir.

Quant aux chiffres, ils ne varient pas d’un iota depuis des années. On nous annonce avec une constance qui tient de l’acharnement 100.000 abandons par an. C’est bien pratique, c’est un chiffre on ne peut plus rond. C’est beaucoup sans être démesuré. Pour les détails, on repassera. On ne sait ni où, ni qui, ni quand, ni comment, ni pourquoi, mais c’est comme ça.

On ne sait évidemment pas non plus qui a réalisé les comptages. D’où vient ce chiffre, à partir de quelles évaluations, de quelles études l’a-t-on obtenu ?

N’aurait-il pas été bidouillé à partir d’une estimation fantaisiste qui arrange tout le monde et ne peut être étayée en aucune façon ? D’ailleurs, personne ne demandera qu’elle le soit, parce que, à quelques exceptions près, tout le monde s’en fiche.

Et d’ailleurs, un abandon, à quoi le reconnaît-on exactement ?

Oh bien sûr, ce n’est pas nous, minuscule association – dont le quotidien se passe de prises de tête en coups de gueule pour tenter de sauver de la mort ou de l’horreur quelques pauvres bêtes qui semblent pour le coup être nées abandonnées – qui allons pouvoir mener des enquêtes, élaborer des tableaux, des statistiques, inventer une véritable sociologie du traitement des animaux dits de compagnie par la société française des années 2020. Mais, très humblement, nous avons tout de même quelques idées sur la question. Et notre « avantage » à nous, c’est que chaque jour qui passe, depuis treize longues années, nous mettons le nez dans le caca que nous laissent les supposés abandonneurs, les tortionnaires, les abrutis, les malades, les sadiques, les imbéciles incurables, les cas sociaux aussi bien que les bourgeois psychorigides. Donc on sait des trucs.

Alors, pour de vrai, qu’est-ce qu’un abandon d’animal domestique (éventuellement sur la voie publique) ? Qu’est-ce qui le caractérise et qui le pratique ? Et surtout pourquoi ?

SANCTIONNER ? D’ACCORD, MAIS QUI ?

Sans blague, il y aurait en France (là encore, il s’agit d’une estimation parce que, au fond, on ne sait pas…) autour de 8 ou 10 millions de chats orphelins. Orphelins d’un foyer, s’entend. Le chat est un animal de compagnie, or, comme son nom l’indique, il ne devrait pas se trouver à la rue, mais dans une maison ou un appartement, avec des gens. Alors quoi ? Sur ces millions de chats livrés à eux-mêmes, il y en a, c’est sûr, qui ont été abandonnés. Largués, en d’autres termes. Ils se sont reproduits, et ce sont leurs descendants que l’on retrouve, à l’état de sauvageons, dans nos villes comme dans nos campagnes. Ils se reproduisent à leur tour et on arrive à ce que l’on appelle une reproduction exponentielle. Il y a pas mal de casse dans les rangs, sinon, on aurait des populations encore plus importantes. Plus du double.

Et ça continue. Chaque année, un nombre conséquent de petits félins se retrouvent à la rue parce qu’ils se révèlent encombrants, parce qu’ils ont fait pipi sur la carpette de la salle de bains, parce qu’on part en vacances (ça arrive aussi, bien sûr) et qu’on n’a pas de fric pour les faire garder, parce que, lorsqu’elle en voit un, la gamine éternue, parce qu’on les a perdus sur une aire d’autoroute, etc. Certains sont stérilisés, donc ils ne transmettront pas leur infortune, mais ils sont loin de représenter la majorité. Le croiriez-vous ? La loi exige depuis le 1er janvier 2012 que les chats soient identifiés avant l’âge de 7 mois. Mais tous ceux qui survivent, ombres furtives et affamées que l’on ne voit que lorsqu’on les cherche, ne le sont pas ! D’ailleurs, de manière générale, très peu le sont. On recense en France un peu moins de 17 millions de carnivores domestiques identifiés (dont 7 millions de chats alors qu’ils seraient environ 12 millions dans les foyers français). Bien entendu, ces chiffres ne tiennent pas compte des 8 à 10 millions de chats en errance évoqués plus haut.

Les chats ou les chiens jetés à la rue ne sont en principe pas identifiés. S’ils le sont, le détenteur défaillant se rend coupable d’un délit passible de trois ans d’emprisonnement et 45.000 € d’amende (des peines que, de mémoire de justiciable, on n’a jamais vu infliger). De toute façon, si l’animal est retrouvé, le détenteur pourra toujours prétendre qu’il l’avait perdu. Impossible de prouver le contraire. Quant aux animaux laissés seuls dans des appartements, alors que le locataire est parti à la cloche de bois (c’est relativement fréquent), ils seront placés en fourrière. Eventuellement, une plainte pourra être déposée contre le contrevenant, et… classée sans suite, pour cause de tribunaux débordés ou d’indifférence des parquets. En principe cela se passe de la façon suivante : le contrevenant déclare qu’il ne veut pas récupérer son animal, et le susdit reste en fourrière. Avec de la chance, l’abandonné trouvera un nouveau foyer. Si toutefois il ne présente pas de tare rédhibitoire : trop vieux, trop sale, pas assez sociable… Mais on ne demandera rien à l’abandonneur, si ce n’est, parfois, une somme d’argent dérisoire. De même, un détenteur qui oublie de notifier auprès de l’I-CAD son changement d’adresse peut abandonner son animal identifié en toute quiétude : il ne sera jamais retrouvé et le poilu deviendra au bout d’un certain temps propriété de la fourrière où il aura immanquablement été transféré.

On le voit, pas facile de repérer les abandonneurs dans cette jungle. Il n’est pas facile non plus de prévenir les abandons, encore moins de les sanctionner !

Et puis il y a les abandons involontaires. Ceux qui découlent d’accidents tels qu’hospitalisation ou décès. C’est là que l’intervention des associations est décisive. A condition qu’elles aient des solutions pour les pauvres bêtes devenues orphelines. Et les démissions pitoyables des « Je-ne-peux-plus-assumer » devant lesquelles on reste sans voix.

UN OBSERVATOIRE DE LA CONDITION ANIMALE ?

Donc, on ne sait pas. On ne peut évaluer l’ampleur des dégâts que si les animaux sont déclarés officiellement abandonnés dans un refuge ou une association. Mais les refuges acceptent de moins en moins les abandons de cette sorte parce qu’ils sont déjà pleins, ou alors ils mettront le postulant abandonneur sur une longue liste d’attente, ce qui, pense-t-on, lui donnera le temps de réfléchir… Pas évident, d’autant qu’aujourd’hui, rien n’est plus facile que de fourguer un animal sur Internet, via des sites archi-connus. Ce qui est, à mon sens, un abandon déguisé. Et à la faveur duquel les animaux risquent gros : ils ne bénéficient d’aucune protection.

Quant aux associations qui n’ont pas de locaux dédiés à l’accueil des animaux dont on ne veut plus, elles trouvent parfois des solutions. Pas toujours.

Le chat ou le chien, ou n’importe quel animal, qui se retrouve en fourrière et n’est pas récupéré, peut être considéré comme abandonné, mais sait-on exactement combien d’animaux se trouvent dans ce cas, puisque le fonctionnement des fourrières est aussi opaque qu’un cumulonimbus ?

Ne serait-il pas plus juste de déclarer le nombre des animaux abandonnés en fourrière ou dans les refuges en précisant bien qu’il ne s’agit que d’une partie (une petite partie, pensons-nous) des abandons de toutes sortes dont le chiffre réel pourrait bien nous donner le vertige ? Mais non, au lieu de cela, on nous assène des chiffres fantaisistes que personne, ou presque, ne pense à mettre en question.

La Griffe a été officiellement créée en août 2010. Savions-nous alors que nous allions nous trouver confrontés à des problèmes pour lesquels il n’existe aucune solution ? Oui, bien sûr, et c’est même pour cela que l’association a été créée. Cependant nous avons tout de même été surpris par l’ampleur du désastre ! Et loin de cesser, ceci ne fait que s’amplifier un peu plus chaque année.

Qui sont les abandonneurs anonymes ? Des lâches, assurément. Des salopards qui ne laissent aucune chance à l’animal qu’ils sacrifient. Des m’as-tu-vu compulsifs qui n’hésitent pas à mettre des sommes folles dans l’achat d’un chien d’une race « tendance », pour le refourguer un ou deux ans après, et racheter, toujours à prix « éleveur », un représentant d’une autre race qui aura fait son entrée sur le marché. Ou des pauvres types. Pour qui les animaux sont, au mieux, des faire-valoir, des objets sans valeur, au pire des souffre-douleur. On les trouve dans toutes les couches de la société. Il n’existe pas de profil type. Une partie de ces animaux aura de la chance en trouvant une seconde vie auprès de gens bienveillants. Encore faudra-t-il qu’ils ne soient ni trop vieux, ni trop patraques, ni trop grognons. Quant aux autres… Les chiffres (vérifiés ceux-là puisqu’ils proviennent de l’administration) font état, pour l’année 2016, grâce à une enquête menée sur 82 fourrières et 86 refuges en France métropolitaine, des statistiques suivantes : 46% des chats et 13% des chiens entrés en fourrière ou en refuge sont euthanasiés. On avance des raisons diverses, mais il ne fait aucun doute, même si cela n’est pas déclaré, qu’ils sont exterminés pour cause de surnombre. Ne sont pas pris en compte les chiots et les chatons qui finissent leur vie à peine commencée dans un sac poubelle au fond d’une rivière ou sur une décharge. Ni les « NAC », petits mammifères, reptiles, poissons, etc. qui subissent eux aussi l’abandon. Cela fait moins de bruit, mais cela existe et peut engendrer des situations catastrophiques (voir le problème des tortues de Floride lâchées dans la nature, comme d’autres espèces ravageuses).

A notre avis, l’origine de la plupart des maux qui peuvent frapper les animaux de compagnie sont à rechercher dans leur trop grand nombre et le laxisme qui préside à leur commerce et à leur détention.

Le problème, c’est qu’il n’existe aucun contrôle des naissances, ni pour les chiens ni pour les chats, ni pour les autres. Et que la surpopulation peut prospérer tranquillement avec tout ce que cela entraîne comme souffrances diverses, qu’elles soient physiques ou psychologiques, chez les animaux concernés.

Alors, oui, l’histoire des abandons de l’été ressemble de fort près à un mythe. S’il n’y avait qu’aux mois de juin, juillet et août que de tels faits se produisaient, et aussi un peu avant chaque période de vacances scolaires, il serait facile d’y remédier, peu ou prou, pour le moins de limiter la casse. Mais voilà, l’été, en ce qui concerne les « abandons », c’est toute l’année.

Il serait urgent, en admettant que quelqu’un veuille agir vraiment, et non se contenter de balancer des lois inutiles dont l’avenir se résume à pouvoir en dire un jour qu’elles ont existé, de créer un observatoire de la condition animale, qui observe vraiment, qui comptabilise, qui étudie sérieusement tous les aspects du problème, et qui rende publiques ses conclusions, afin que cela représente un socle sur lequel s’appuyer pour prendre des décisions. Pour l’heure, pareille éventualité ressort de l’utopie…

Une prochaine fois, on abordera ce que l’on appelle pudiquement la « maltraitance animale ». C’est en général ce qui précède ou parfois ce qui accompagne un abandon, déguisé ou pas. Car abandon et maltraitance sont les deux faces hideuses d’une même médaille !

Photo. Oxane, abandonnée à La Griffe par son détenteur, a pu retrouver un foyer où elle se sent bien et où elle vit désormais.