La princesse de l’aire du Lac

L’aire du Lac, c’est joli comme nom… On croirait pouvoir y rencontrer des créatures diaphanes, des nymphes et des faunes, libres et heureux, et au lieu de ça, on se retrouve au bord exact de l’autoroute A72… Le ciel est d’une couleur de cendre. Je suis arrivée là en fin de matinée pour essayer d’y capturer un petit chat que l’on m’avait signalé et qui vit ici, tout seul. Qui s’est fait sa maison au milieu des fourrés. Que des gens nourrissent, de temps à autre, au hasard de leurs passages…

 

chat autoroute foto

Le petit chat est le seul occupant permanent de l’aire du Lac.

Pour combien de temps encore ? (Photo Dominique). 

 

 

Dans un écrin de verdure, par un temps franchement dégueulasse, à souhait humide et froid, trône sur cette petite aire sans prétention un bâtiment postmoderne. Il s’agit des toilettes. A part ça, un conteneur pour les déchets, quelques arbres, un peu d’herbe, le « lac » en arrière plan -plutôt un petit étang- et le chat.

À mon avis, il n’est pas arrivé ici tout seul. Si les chats s’avisent de fréquenter les autoroutes, mal leur en prend. Je ne suis pas sur place depuis une minute que je l’aperçois. Il est fort occupé à bouloter un mulot qui ne méritait pas ça. Ce n’est pas méchant de sa part, mais le pauvre mulot n’est pas en très grande forme. Trop tard pour le sauver. Je laisse faire. D’autant que ce prédateur d’opérette prend son mulot dans la gueule et me fait signe de le suivre. J’obtempère. Et je découvre sa tanière, plutôt sa salle à manger, sous les fourrés. Quatre ou cinq plats encombrés de restes de nourriture, de boue et de feuilles mortes constituent le décor de cet appartement champêtre. Le chat me regarde, amusé. Le mulot en profite pour se faire la belle. Le chat ne le retrouvera pas. D’ailleurs, maintenant, c’est plutôt moi qui l’intéresse. Il me suit partout, me fait mille signes, miaule d’une minuscule voix de chaton. Car c’est un très jeune minou, de sexe féminin, apparemment. Blanc avec de larges taches tigrées noires et grises. Une bonne bouille. Je vais chercher tout mon attirail de piégeur de chat : trappe et caisse de transport, mais aussi quelque nourriture fine destinée à appâter le greffier afin qu’il daigne entrer dans la boîte. Mais mes installations ne semblent guère l’émouvoir. Minou n’a pas faim.

Je ne perds pas espoir de le ramener avec moi, même si, dès que je tends la main pour le toucher, il fait un bond en arrière. Je me dis qu’avec pareilles créatures, seule la patience est payante. Je resterai sur place près de deux heures…

Je m’assieds sur un banc de pique-nique en bois trempé. Mademoiselle Chat me tourne autour, me cause, se frotte à mes bottes crottées, et je parviens peu à peu à passer la main sur son épaisse fourrure. Elle ne me quitte plus. Un câlin, et puis un autre, et encore… Je me dis que maintenant, je dois pouvoir m’en saisir… C’est sans compter sur la méfiance innée des chats. Elle ne supporte pas que je l’empoigne. Je n’ai pas assez bien assuré ma prise, mais comment l’aurais-je pu ? Elle est vive comme une truite de rivière. Elle se débat. Griffe et mord. Je tiens bon. Et finis par lâcher : j’ai peur de lui faire mal. Elle part en courant. Pendant une demi-heure, j’attendrai qu’elle se montre, en vain. Je l’ai trahie, elle est vexée. Je ne la reverrai pas.

Je tente pourtant une autre ruse. J’installe le piège au milieu des fourrés, là où je sais qu’elle se cache. Je dépose quelque nourriture de gourmet, et je me résous à quitter les lieux. Je reviendrai plus tard. Je refais cinquante kilomètres pour retourner chez moi. J’en ferai encore cinquante, puis cinquante autres, pour un nouvel aller-retour, deux ou trois heures plus tard. Lorsque je reviens, il tombe quelques flocons de neige. Je suis triste pour elle. Désormais, elle aura souvent froid. J’attends un miracle : et si elle se trouvait dans la cage ? Mais elle n’est pas folle, et pas suffisamment affamée pour avoir mordu à l’hameçon. La mort dans l’âme, je remballe mon matériel. Elle me regarde, un peu plus loin. Elle n’est plus fâchée. Enfin, plus trop. Mais je lui ai fait peur.

Je la laissais à sa solitude, à son hiver, à son autoroute tueuse, et j’avais le sentiment de l’abandonner, cette magnifique petite chatte insoucieuse de ce qui l’attendait, heureuse de rien, inconsciente des dangers qui menaçaient sa toute petite existence.

Et je bouillais de colère envers ceux qui l’avaient laissée ici. Impunément. Car jamais, pour ce crime, ils ne seront punis, ces lâches. L’humanité est parfois bien laide.

                                                                                            Jeph Barn.

La Griffe a décidé de mettre en circulation une pétition pour demander aux élus de prendre enfin en considération le problème douloureux des chats sans maître, d’aider les associations autrement qu’en leur jetant quelques miettes assaisonnées de leur mépris. S’il vous plaît, signez cette pétition, faites-la signer autour de vous.

La Griffe peut adresser une version numérique de la pétition, mais aussi une version papier à tous ceux qui en feront la demande (joindre un timbre pour la version papier).